Les 28 et 29 septembre, le chef Stefan Jacobs (Hors-Champs) organise à Gembloux la première édition de Manger Mieux Demain. Marché de producteurs, ateliers, conférences et dégustations : deux jours pour rapprocher consommateurs, cuisiniers et artisans autour d’une même exigence, celle de la cohérence dans l’assiette.
Chef étoilé respecté, Stefan Jacobs (37 ans) suscite l’admiration autant par la générosité de ses menus que par son engagement pour une gastronomie wallonne durable et sincère. Avec Manger Mieux Demain, il franchit une nouvelle étape en lançant un festival où producteurs passionnés (Capucine à Table, Brasserie de la Houppe, Nuu Miso…) et chefs engagés (Sebath Capella de Maison – Lieu de Partage, Grégoire Gillard de Barge, ou Elliott Van de Velde d’Entropy…) se retrouvent pour dialoguer et éveiller les consciences.
Organisé les 28 et 29 septembre prochains sur le site d’une ancienne ferme qu’il a transformée en restaurant (Hors-Champs), boulangerie en chambres d’hôtes, l’événement propose un marché de producteurs, des ateliers participatifs, des conférences et des dégustations. L’occasion de remettre les pendules à l’heure face au greenwashing et d’incarner une autre manière de penser l’assiette. Il revient ici sur les raisons qui l’ont poussé à initier ce projet et sur ses attentes en matière de transmission au public.
Quel constat vous a poussé à créer Manger Mieux Demain avec Aurélie Leempoel?
Cela fait déjà cinq ans que j’ai envie de créer une dynamique autour de la réalité des producteurs, des restaurateurs et de tous les acteurs qui travaillent proprement, durablement et localement. L’idée, c’est vraiment de mettre en lumière ces gens-là.
Pensez-vous qu’ils manquent encore de visibilité?
Je pense surtout qu’il y a un gros manque de vérité. On parle beaucoup de local et de durable, mais il y a aussi énormément durabilité de façade. Des gens se font de l’argent sur le dos des petits producteurs qui, eux, essaient de faire au mieux. Ça me révolte.
Avec ce festival, je veux montrer au public où dénicher de bons produits, rencontrer ceux qui les font et comprendre leur valeur qui en découle. L’idée est un peu « vous avez décidé de consommer mieux ? Voilà la marche à suivre ». En venant découvrir Manger Mieux Demain, vous pourrez accéder à des aliments de qualité et participer à une initiative qui permet de comprendre le travail de ces artisans.
La dimension pédagogique semble cruciale, pourquoi est-ce si important?
Parce qu’on ne peut rien imposer aux gens. L’idée n’est pas de créer une dictature alimentaire mais de montrer la voie. Payer un peu plus pour son pain ou sa viande, c’est reconnaître la valeur réelle de ce qui a été produit. C’est aussi manger plus sainement. Et puis, il s’agit de faire parler la même langue aux consommateurs et aux producteurs, de créer une compréhension mutuelle.
Pourquoi avoir choisi de programmer ce festival le dimanche et le lundi?
Le dimanche est pensé pour les familles, avec un marché, des dégustations et une ambiance conviviale. Le lundi s’adresse davantage aux professionnels – restaurateurs, écoles hôtelières, cuisines de collectivité –, même si le public peut aussi y participer.
L’objectif est alors de bousculer certains automatismes du secteur, comme l’achat en centrales sans tenir compte des saisons, et d’ouvrir les yeux sur d’autres pratiques possibles.
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Le festival est largement autofinancé. Pourquoi avoir pris ce risque?
Parce que c’est notre pari. Si ça marche, tant mieux. Si ça ne marche pas, ce n’est pas grave. On a eu des soutiens, notamment l’Apaq-W et Bio Wallonie, mais on a surtout voulu donner l’impulsion nous-mêmes. Ce n’est pas pour mettre Hors-Champs en avant. On offre un cadre, un contexte, et on verra ce que ça donnera pour la suite.
Le prix d’entrée (25 et 30 euros) peut surprendre certains visiteurs. Comment le justifiez-vous?
Il est vrai que l’entrée est payante mais elle comprend directement six dégustations préparées par des chefs venus de différents horizons. On a voulu varier les styles et les profils, tout en gardant le fil conducteur du local et du durable.
Pour le public, c’est l’occasion de goûter plusieurs assiettes de haut niveau à un prix raisonnable, tout en ayant accès gratuitement aux conférences. Je pense qu’avec cette formule, personne ne peut se sentir lésé.
Certaines conférences vont aborder des questions très concrètes, comme celle de Carlo De Pascale sur l’addition. Pourquoi ce choix?
Parce qu’il y a beaucoup de malentendus. Carlo De Pascale va expliquer où va réellement l’argent dépensé dans un restaurant durable, quels sont les coûts liés à son fonctionnement et comment les prix se construisent. C’est important de démystifier certains aspects et de montrer que, non, un restaurateur n’est pas forcément riche parce qu’il a une salle pleine.
Vous parlez de la fragilité du modèle gastronomique actuel. En quoi cela rejoint-il l’esprit du festival?
Aujourd’hui, beaucoup de restaurateurs cherchent comment rester attractifs dans un contexte difficile. Ce n’est pas seulement le Covid : c’est la crise économique qui freine la fréquentation. Le modèle actuel, avec dix personnes en cuisine pour 40 couverts, ne tient plus. Je crois qu’on va vers une gastronomie à deux vitesses. Mais il existe une voie médiane : une cuisine accessible, locale et durable, qui ne soit pas réservée à une élite.
Vous avez vous-même un agenda très chargé. Comment trouvez-vous le temps pour ce projet?
Avec beaucoup de sacrifices personnels, je ne vais pas mentir. Heureusement, je travaille avec Aurélie, et ça nous permet de nous soutenir. Mais oui, on se coupe en dix-huit pour faire tourner la ferme, la boulangerie, les mariages, les événements… C’est parfois compliqué, mais on le fait parce qu’on y croit et aussi, il ne faut pas le cacher, parce que nous avons des engagements financiers.
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Si je n’avais pas cette pression, je pourrais dégager plus de temps pour moi, ralentir le rythme et me concentrer davantage sur l’essentiel. Aujourd’hui, cette réalité pèse sur chaque décision et explique aussi pourquoi nous travaillons autant.
Peut-on voir aussi dans ce festival une volonté de promouvoir la gastronomie wallonne?
Complètement. On sait qu’il y a un retard par rapport à la Flandre. Mais si on veut que les choses bougent, il faut ouvrir les yeux des consommateurs. Pas en restant enfermés dans nos cuisines, mais en disant la réalité des choses, sans exagération ni faux-semblants. e constate d’ailleurs qu’une nouvelle génération de chefs partage davantage entre confrères et fonctionne de manière plus transversale qu’auparavant.
Cette envie de collaborer, de mutualiser les expériences plutôt que de se voir comme des concurrents, c’est une vraie force pour l’avenir de la gastronomie wallonne.
Le programme inclut un atelier d’« écriture d’un menu durable ». De quoi s’agit-il?
C’est apprendre à analyser son menu, à sourcer correctement ses produits et à réfléchir en termes de durabilité. Par exemple, acheter une bête entière et utiliser différentes parties au fil des mois. Ce genre de démarche peut aussi inspirer les consommateurs dans leurs propres choix chez le boucher ou au marché.
Qu’attendez-vous comme retour concret et immédiat?
Que des gens viennent me dire : «Merci, j’ai compris quelque chose, j’ai changé de point de vue». Je ne fais pas ça pour l’argent, mais pour rendre service à un ensemble d’acteurs dont nous dépendons tous.
Manger Mieux Demain, Hors-Champs, 170, chaussée de Wavre, à 5030 Gembloux. Les 28 et 29 septembre, de 11h à 21h. Entrée : 25 euros en prévente, 30 euros sur place (gratuit pour les moins de 15 ans). Programme ici.