On s’est rendu chez Maison Collette, le restaurant de Thijs Vervloet, où l’on mange aussi bien que l’on y dort

En ouvrant son restaurant Maison Colette à Westerlo, le chef doublement étoilé Thijs Vervloet renoue avec ses racines. Et s’inscrit avec brio dans la tendance des chambres d’hôtes qui viennent compléter l’offre gourmande.
Huit heures trente du matin, quelqu’un frappe à la porte de notre chambre. Un homme en élégant costume noir entre prestement. Il nous apporte une desserte sur laquelle sont posés des plateaux en argent et des assiettes en porcelaine contenant un copieux petit déjeuner: grande variété de fromages, croissants, omelette et pain perdu. Tout cela laisse augurer un moment royal. Pourtant, en nous réveillant dix minutes plus tôt, nous nous sentions encore repus du repas étoilé de la veille, qui s’est achevé par de plantureuses mignardises auxquelles nous avons fait honneur.
Dans le restaurant situé au rez-de-chaussée, le personnel dresse déjà méticuleusement les tables en vue du prochain service. Le chef Thijs Vervloet et son épouse, Lore Leys, ont quitté leur restaurant 2-étoiles situé aux étangs d’Averbode pour s’installer à Westerlo, où leur histoire gastronomique a débuté en 2016 dans la maison de la grand-mère du chef, Colette Leemans. Au cours des deux dernières années, ils ont rénové une maison de médecin datant de 1911 pour en faire un restaurant disposant de cinq chambres d’hôtes. La «destination finale» du couple a ouvert officiellement ses portes en janvier dernier. Depuis lors, la presse ne tarit pas d’éloges au sujet du couple et, dans tout le village, les compliments pleuvent à son égard.
A deux pas de la réception, nous pénétrons dans le salon Anna. Cette imposante pièce porte le prénom de l’arrière-grand-mère du chef, la mère de Colette, qui tout au long de sa vie a travaillé comme cuisinière au château de Merode situé à proximité. En optant pour des chaises antiques et plusieurs tableaux, Thijs Vervloet a voulu recréer une certaine atmosphère de château. «L’idée était de rendre hommage à mon aïeule Anna que j’ai très bien connue. Elle est décédée en 2003. J’avais alors 13 ans et elle, 102 ans!», s’exclame-t-il.
Pendant notre entretien, Thijs Vervloet parcourt la pièce de long en large. C’est que ce chef de 35 ans a la bougeotte. Il enchaîne une réunion avec l’électricien, cette interview et un autre rendez-vous. Et puis, il sera temps de préparer le service de midi. «Le rodage prend toujours environ trois mois. Pourtant, plusieurs clients nous ont dit avoir l’impression que sommes ouverts depuis bien plus longtemps», explique le chef.
Ce retour à Westerlo vous trottait-il dans la tête depuis longtemps?
L’envie de revenir aux sources était quand même très forte. L’attrait de la Campine était vraiment présent en moi. Et c’est seulement une fois que nous avons acheté ce bien que j’ai réellement compris à quel point ce retour comptait pour moi. Enfant, j’ai dû passer à vélo devant cette maison des centaines, voire des milliers de fois. C’est une ancienne maison de médecin qui est restée inhabitée pendant environ vingt ans. Lorsque nous sommes venus visiter les lieux, nous avons immédiatement ressenti une connexion. C’est pratique, car nous habitons littéralement juste derrière avec nos enfants et nous pouvons venir à vélo.
Et l’équilibre entre travail et vie privée, dans le secteur de la gastronomie, est une tendance actuelle…
Le «work-life balance» semble en effet être un mot à la mode. Mais qu’est-ce que ça veut dire en fait? Nous avons trois enfants en bas âge et une vie en dehors de notre restaurant, mais quand on fait un investissement comme celui-ci, il faut bosser. Mon épouse et moi avons toujours dit que nous travaillerions cinq jours par semaine, et nous nous y tenons. Nous sommes encore jeunes, motivés et ambitieux. Le dimanche, par exemple, nous ouvrons le midi parce que nous avons remarqué que c’est un jour qui est très prisé.
L’envie de revenir aux sources était très forte. Quand nous avons visité les lieux, nous avons immédiatement ressenti une connexion.
Parce que beaucoup de restaurants ferment le week-end.
C’est un atout, car nous pouvons accueillir les clients qui n’ont pas d’autre choix.
Vous semblez jongler entre travail et vie privée. Lorsque nous sommes arrivés, vos enfants couraient dans la maison.
Ils sont souvent là le mercredi après-midi. Comme notre activité est familiale, les enfants courent dans la salle, et les clients trouvent ça chouette. Cela fait partie de l’histoire émotionnelle de Colette. Ma fille Rosalie a maintenant 5 ans, Lucien 4 ans et Juliette 2 ans. Ils connaissent déjà bien les lieux. Et Lucien adore cuisiner.
La relève est donc assurée?
Je ne vais pas tabler là-dessus, mais j’ai l’impression qu’il a ça dans le sang.
La force des plats à la carte
Revenons à la veille. Nous sommes les premiers à entrer dans la salle, mais celle-ci ne tardera pas à se remplir presque entièrement, et ce, un mercredi. Nous commandons deux coupes de champagne Veuve Cliquot d’un alliage spécial, présenté sur une desserte à boissons réalisée sur mesure. Entre-temps, nous étudions la carte. Outre un menu signature sept services, le chef propose des plats à la carte. Nous optons pour des pommes de terre moscovites, un tartare de veau à la crème de chou-fleur et au caviar en entrée. Comme plats de résistance, nous jetons notre dévolu sur le turbot de la mer du Nord aux épinards, fenouil et homard. Les premiers amuse-bouches promettent, à eux seuls, une soirée savoureuse.
«Depuis notre ouverture en 2016, nous proposons des plats à la carte. Je trouve qu’une des forces d’un restaurant est de ne pas obliger les gens à choisir un menu fixe. C’est surtout important à l’égard de la clientèle régulière, et nous voyons que cela porte ses fruits. On assiste clairement à un tournant dans la gastronomie: de plus en plus de gens commandent à la carte», affirme le patron.
Une entrée coûte en moyenne 100 euros. Il en va de même pour les plats de résistance. Si on additionne le tout, on n’est pas loin du menu signature qui coûte 215 euros. Ces prix rebutent-ils certaines personnes?
En fait, non. Nos clients attachent de l’importance à la qualité des produits qui leur sont servis. Les gens qui veulent manger à la carte sont également disposés à mettre le prix pour se faire plaisir.
Votre ancien restaurant proposait l’hébergement dans des tentes de glamping près du lac. En Belgique et à l’étranger, de plus en plus de «maisons de chef» voient le jour. Aviez-vous d’emblée l’intention de proposer des chambres ici?
A Averbode, plusieurs fois par semaine, voire tous les jours, des clients nous demandaient des adresses de logement. Comme ce lieu se prêtait à la création de cinq chambres, nous avons envisagé ce service qui est un plus pour les clients. Aujourd’hui, boire et conduire ne sont plus tolérés. Les gens qui apprécient un bon verre de vin peuvent donc être tranquilles. Si nous étions à Anvers ou à Bruxelles, nous ne proposerions pas de chambres parce que l’offre en hôtels est largement suffisante, mais dans cette commune, c’est différent. La preuve: les cinq chambres sont réservées tous les week-ends jusqu’à fin mai.
Louer des chambres ne facilite sûrement pas votre équilibre entre travail et vie privée…
C’est pour ça que nous avons engagé le personnel adéquat. Une personne s’occupe du service du petit déjeuner, une autre de la cuisine et une troisième du ménage. C’est faisable si on travaille avec les bonnes personnes. Le dimanche, j’aide à la préparation des petits déjeuners. Oui, en fait nous sommes là en permanence, mais c’est aussi par plaisir et parce que nous nous sentons bien ici.
Avec la fermeture imminente de The Jane à Anvers, la presse annonce la fin des grands restaurants. On peut dès lors dire que Maison Colette nage à contre-courant.
Je ne peux pas me prononcer pour mes collègues. Nous avons 35 ans et comptons travailler dur encore une vingtaine d’années. Nous avons opté pour dix tables larges, soit environ quarante-cinq couverts lorsque c’est complet, une table de chef dans la cuisine et un salon indépendant pouvant accueillir jusqu’à seize personnes. Un bouleversement s’amorce-t-il? Selon moi, il reste bel et bien un marché pour la haute gastronomie. Les Belges sont des bons vivants. Par ailleurs, nous sentons bien entendu que les prix de l’énergie, des produits et du personnel ont connu une énorme hausse depuis le Covid. Les choses ne deviennent pas plus simples.
Au vu de la fermeture ou de la réduction de nombreuses maisons, peut-on affirmer que la gastronomie est en crise?
Quel secteur ne l’est pas? L’automobile se porte mal, la construction a toujours connu des difficultés. Je pense que nous n’avons pas le droit de nous plaindre. Le printemps est toujours une période plus calme, mais les dernières semaines ne l’étaient absolument pas pour nous. Les gens sont curieux de découvrir notre nouveau restaurant.
Il y a un changement en cours dans la gastronomie:
de plus en plus de personnes recommencent à manger
à la carte.
Une ode à la simplicité
Pour l’aménagement intérieur, Thijs Vervloet et Lore Leys ont suivi une ligne claire: dans la Maison Colette, le classique et le contemporain vont de pair. Les architectes d’intérieur de Grain Designoffice ont alterné fauteuils colorés et draps en lin blancs, sur les tables, les assiettes en porcelaine confectionnées sur mesure par Pieter Stockmans côtoient de l’argenterie Marly classique de Christofle.
La décoration de table en céramique en forme de fleurs et d’artichauts réalisée par une artiste parisienne semble tout droit sortie de l’armoire de mamy Colette. Les chambres se caractérisent par une combinaison similaire: cache-sommiers blancs et meubles design contemporains en bois, un carrelage sobre dans les douches qui contraste avec la robinetterie vintage. L’esprit Colette est magnifié par deux hêtres rouges devant la maison. L’un a 140 ans et l’autre, 250.
Figurent sur la carte des ingrédients classiques revisités, du homard aux tomates confites, olives et estragon au bœuf européen avec cœur de laitue, moelle, frites maison et jus de viande. «C’est dans la simplicité qu’on reconnaît le maître», a appris Thijs Vervloet à l’âge de 20 ans, lorsqu’il travaillait dans la cuisine de Joël Robuchon, le chef français qui a reçu pas moins de 32 étoiles Michelin au cours de sa carrière.
C’est dans la simplicité qu’on reconnaît le maître.
«Il était le chef du produit, ajoute notre hôte. Avec lui, j’ai appris à travailler avec un seul produit, agrémenté d’une garniture et d’un jus de viande. Nous servons maximum trois à cinq éléments par assiette. Cette semaine, on m’a complimenté sur mes langoustines, que je sers avec un peu de beurre bruni et une échalote, de l’ail, du persil frais, du jus de citron et du poivre. Une langoustine meunière, en quelque sorte. Le client a déclaré que c’était le plat de l’avenir le plus prometteur. C’est bien entendu le plus beau compliment qu’on puisse faire à un chef.»
Tandis que les autres chefs jouent la carte des influences asiatiques ou latino-américaines, vous optez résolument pour celle de la cuisine française. Celle-ci est-elle toujours valorisée?
A une époque, cette cuisine était la référence, et les chefs belges annonçaient fièrement qu’ils la pratiquaient. Aujourd’hui, je constate que les gens cherchent de nouveau ce qui est connu, le produit, la base. C’est pourquoi nous faisons de la cuisine classique mais de manière contemporaine, en travaillant avec davantage d’acides et des sauces plus légères. Mais notre base est complètement traditionnelle.
Cela limite-t-il parfois la créativité?
Absolument pas, mais je crois que c’est bien de viser une certaine continuité. Il n’est pas toujours nécessaire d’inventer des choses. Il m’arrive aussi de cuisiner avec du yuzu ou du ponzu ou de décorer l’assiette de petites fleurs, mais lorsque nous avons ouvert ce restaurant, j’ai décidé de me détourner de ce genre d’ingrédients. En revanche, je travaille encore avec des plantes aromatiques du jardin qui apportent un petit plus gustatif. Oser renoncer à certaines choses permet aussi de grandir.
La cuisine classique attire-t-elle surtout une clientèle âgée ou touchez-vous également un public plus jeune?
De nombreux jeunes sont ouverts à cela et ils adhèrent à la philosophie du chef. Nous touchons autant des trentenaires qui souhaitent vivre leur première expérience étoilée qu’une clientèle plus âgée qui vient fêter un évènement en famille ou qui partage un repas d’affaires. Nous avons aussi la chance d’avoir beaucoup de clients réguliers. Certains viennent même plusieurs fois par semaine. C’est aussi un luxe pour nous, car même s’il y a moins de réservations, ils sont là.
La carte comporte régulièrement des classiques. Par exemple, lors de la saison du gibier, on y trouve le lièvre à la royale, selon la recette du lièvre en daube du chef français Michel Guérard. Alors que les chefs aiment faire preuve de nouveauté et d’originalité, un tel hommage est plutôt étonnant.
Si une recette est une référence depuis des années, pourquoi la changerais-je? A mes yeux, il est important de maintenir cet hommage dont on peut être fiers. Ces chefs nous ont donné la possibilité de pratiquer la cuisine qui est la nôtre aujourd’hui.
Lequel de vos plats signatures entrera dans l’éternité?
Peut-être mes quatre préparations de langoustine ou ma poularde de Bresse. Il est toujours beau de voir d’anciens collaborateurs se lancer à leur tour et de reconnaître la touche Colette, comme c’est le cas à la maison Jerome à Diest du chef Jente Van der Stappen, qui a travaillé deux années chez nous ou de De Lindehoeve à Tessenderlo ou de mon ancien sous-chef, Pallieter Vaes. Cela veut dire que notre philosophie a vraiment du sens. Les gens perçoivent cela aussi, tout comme les guides gastronomiques.
En parlant de guides: en avril, de nouvelles étoiles Michelin seront décernées. Ce guide est généralement peu enclin à accorder trois étoiles. Ce nouveau restaurant est-il une façon de mettre davantage Colette en avant?
Nous avons avant tout fait ce qui nous plaisait. Nous nous sentons pleinement en accord avec ce projet et souhaitons partager notre philosophie. Les guides sont un instantané qui sert à mettre des restaurants en avant. Nous sommes très heureux d’avoir ces deux étoiles et d’être des ambassadeurs, mais nous ne cuisinons pas pour les guides. Nous cuisinons pour nous et pour nos clients. Sans eux, nous ne pourrions jamais figurer dans ces guides.
En bref
Thijs Vervloet
- Il naît en 1990.
- Il suit une formation de cuisinier à l’école hôtelière Ter Duinen à Coxyde.
- Le chef travaille au Hof Ter Hulst, au Magis, à L’Atelier de Joël Robuchon et au ‘t Fornuis. Plus tard, il est le sous-chef de Viki Geunes au Zilte.
- En 2016, il ouvre avec son épouse Lore Leys le restaurant Colette, à Westerlo, qui est un hommage à sa grand-mère et qui se trouve dans la maison de celle-ci.
- En 2020, il acquiert le domaine De Vijvers à Averbode. Il y décroche sa deuxième étoile Michelin en 2022.
- Il revient à Westerlo, où il ouvre Maison Colette.
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