Pâques aux fourneaux

© Image Globe

De la frénésie chocolatière aux agapes festives autour de l’agneau, petite mythologie d’une fête aussi religieuse que gourmande.

Avec ses cadeaux et son barbu botté, Noël a plutôt bien survécu au pays de la laïcité. Mais qu’en est-il de Pâques? Instable (quelque part entre mars et avril) autant qu’encombrante (elle occupait une semaine, jeûne compris), la célébration numéro 1 du calendrier chrétien se serait dématérialisée de nos existences urbaines si les chocolatiers ne l’avaient pas confiée aux enfants.

20% du chocolat englouti tous les ans Pour ce faire, on les voit se changer en sculpteurs, rivalisant d’imagination pour pondre des oeufs, des poules et des lapins. Ces moulages haute fantaisie éclusent 20% du chocolat englouti tous les ans -contre 40% aux fêtes de fin d’année- et ont envahi tous les continents. Beau destin pour une coutume vieille de deux siècles, née quand le chocolat « solide » remplaça le cacao en poudre. « C’est alors que les confiseurs de France, de Suisse et de Belgique ont mis au point des moulages qu’ils eurent l’idée d’associer à Pâques », rappelle Gilles Marchal, directeur de la création à la Maison du chocolat, qui travaille des figurines d’une plasticité parfaite, feuilletées par moulages à la main successifs, et rehaussées de chocolat blanc (du beurre de cacao pur) ou au lait pour les besoins du décor. Jusqu’au 25 avril, ses boutiques présentent un rallye automobile de lapins en chocolat aussi fabuleux qu’une vitrine de Noël.

Une fête destinée aux enfants « En France, la fête de Pâques est d’abord destinée aux enfants », confirme le chef Simone Zanoni. Depuis trois ans, son brunch pascal fait le plein de familles versaillaises sur la terrasse et la véranda du Trianon Palace, grouillant d’une nuée d’enfants pressés d’aller chercher les oeufs dans le jardin. Alimenté par un buffet et une noria de chariots (gigot de l’Aveyron confit servi à la coupe), ce picorage d’après-midi n’est pas loin du thé de Pâques que Les Usages du siècle prescrivaient, en 1895, aux familles bourgeoises, après l’interminable messe: « Toasts au foie gras, bouchées aux crevettes. Et, pour les enfants, oranges épluchées, fruits confits, pains d’épice, coupe de bonbons… Le tout servi avec des bourgognes fruités sur des tables ovoïdes, dans de la vaisselle arlequinée ou du vieux sèvres, au milieu d’une débauche de fleurs fraîches. » Dans la plupart des restaurants, à l’inverse, le repas de Pâques est un déjeuner ovin. Agneau de lait frotté à l’ail et confit, ou en carré rôti sur os pour Stéphane Jégo, de l’Ami Jean. Pressé d’agneau à la feta et aux citrons confits pour Matthieu Nadjar, au Cornichon. « Les clients, dit ce dernier, veulent du soleil dans leur assiette. »

La consommation de l’agneau est multiplié par cinq

Il n’y a pas si longtemps, Pâques était une fête de famille, où les enfants ne tenaient pas le premier rôle. Celui-ci était dévolu au gigot-flageolets, religieusement découpé avec la pince à gigot et la fourchette à deux dents, et dont les restes étaient pique-niqués le jour suivant. C’est souvent par la table que les traditions perdurent: en France, la consommation est multipliée par cinq aux alentours de Pâques pour cette viande estivale, friande d’herbes aromatiques. Des gigots, mais aussi des morceaux à cuire en dix minutes, élaborés par une filière qui s’adapte aux us des familles éclatées. Sa présence au printemps n’est pas due aux préparatifs de la tonte ou à l’astrologie (avril est sous le signe du Bélier), mais à la riche symbolique véhiculée par les religions du Livre.

L’autre moitié de l’Europe préfère le jambon Innocent comme la fleur des champs, ce bébé bêlant incarne la plus pure des offrandes. Chez les chrétiens, il est Jésus acceptant la croix. A Pessah, il offre son sang pour détourner la mort des maisons juives. Lors de l’Aïd-el-Kébir, on le dédie à Allah en signe de soumission. Et ça ne rigole pas avec ces fêtes majuscules… Même si aucun fils n’a été renié pour s’être dispensé du gigot-flageolets – qui fut d’ailleurs très longtemps un simple hachis d’agneau. Le vrai festin de Pâques n’est-il pas la messe, où l’on consomme l’Agneau de Dieu sous forme d’hostie? Tout cela précédé d’un long jeûne -le carême-, pour corser les rigueurs de l’hiver et stimuler les appétits… Si l’autre moitié de l’Europe lui préfère le jambon -persillé en Bourgogne, au madère en Espagne, d’York en Grande-Bretagne…-, l’agneau pascal est au menu en Italie, en Grèce et, bien sûr, en France: appelé menoun en Provence, il y est souvent cuisiné au miel ou en blanquette. D’ailleurs, son symbole reste universel. Comme la colombe, sa soeur, il prête sa forme à plusieurs gâteaux de Pâques, le plus célèbre étant alsacien.

Symbole d’abondance printanière Même sans ce retour des viandes sur les tables, Pâques serait abondamment protéiné… Qu’on le fête à l’équinoxe de fin mars, quand les jours et les nuits s’égalent, ou juste avant la fête du muguet, la résurrection du Christ tombe à pic pour célébrer celle de la Nature. Pendant que lièvres et lapins s’épuisent en amours frénétiques, les poules -cycle oblige- se sont mises à pondre à qui mieux mieux… Au cours du carême, où la religion interdisait les aliments carnés, ce somptueux déluge d’oeufs ne pouvait qu’arracher des soupirs aux estomacs perclus. Tout au plus pouvait-on les ébouillanter, par provision, en prenant soin de colorier les coquilles des plus vieux, des dates de ponte version rustique. Voilà pourquoi lapins, poules et oeufs, symboles d’abondance printanière, trônent dans la ménagerie de Pâques. Pour cette fois, ils échappent à la casserole: seuls les oeufs ont intégré le menu pascal.

Une gigantesque omelette

On imagine qu’épuisés par quarante jours de végétarisme, avec en prime le chemin de croix du vendredi saint et la plus longue messe de l’année (le dimanche), les paysans devaient rouler des yeux devant la quantité d’oeufs pondus qui les attendaient chez eux et dont ils ne savaient que faire. En Europe de l’Est, ils se battaient même avec… Dans le sud du continent, le repas de Pâques incluait donc une gigantesque omelette, faite avec des oeufs dûment bénis et parfois relevée de saucisson en dés (Provence). Mais on avait beau en mettre dans les soupes ou les semer dans le jardin, on ne serait jamais venu à bout de tous ces oeufs sans la confection de gâteaux richissimes. Colomba lombarde, tsourekis grecs. Mais aussi feuilletés tourangeaux, cavagnats de Menton, brioches de Metz, couronnes corses… Sans oublier l’alise pacaude de Vendée qu’on défendait aux enfants d’entamer avant le jour dit, en prétextant qu’elle était remplie de crapauds. Aujourd’hui, elle serait plutôt remplie de chocolat… Pour la tradition, la couleur de Pâques n’était certes pas cette friandise aussi sombre que les nuits d’hiver. C’était le jaune d’oeuf, image d’un soleil royal qui invite à croquer une nature à neuf…

Jacques Brunel

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content