Pascal Devalkeneer: « Nos enfants n’auront pas la même liberté que nous »

© PHOTO SERGE LEBLON

Star des fourneaux en arrêt de travail forcé, Pascal Devalkeneer nous a consacré un peu de son temps désormais libre pour quelques considérations sur le passé, le présent et l’avenir, lui qui vient de fêter les 20 ans de son établissement doublement étoilé, Le Chalet de la Forêt, à Bruxelles.

Nos enfants n’auront pas la même liberté que nous. On ne mesure pas encore l’impact que cette crise aura, mais on sait qu’on a poussé très loin des secteurs comme les transports ou l’économie, il faudrait s’en servir comme d’une bonne leçon – mais je ne sais pas si ce sera le cas parce qu’on oublie très vite les choses. On vit actuellement quelque chose d’unique, d’historique, qui, je l’espère, laissera aussi des traces positives. Moi, c’est la première fois en trente-cinq ans qu’on m’oblige à ne pas travailler. Je profite de l’instant, je réfléchis à la situation, mais je ne vous cache pas que j’ai dormi pendant cinq jours, sans culpabiliser. Je suis à l’arrêt, ça ne m’était jamais arrivé.

Je profite de l’instant, je réfléchis à la situation, mais je ne vous cache pas que j’ai dormi pendant cinq jours, sans culpabiliser.

Quand vous ouvrez un bistrot, il n’y a pas de pression. Vous faites bien à manger, les gens sont contents. Mais quand vous ouvrez Le Chalet de la Forêt, la pression, vous commencez à la sentir. Très fort. Dès le deuxième jour, le Michelin est venu et m’a dit: « Monsieur Devalkeneer, vous avez mis la barre haut. Eh bien nous allons mettre la barre très haut avec vous. » Et pendant huit ans, ils m’ont enfoncé. Il a fallu attendre le renvoi du directeur de l’époque pour que le nouveau m’octroie une étoile. Mon dossier a été enterré, c’était clairement personnel.

Recevoir une étoile, c’est une libération. Quand vous n’avez pas d’étoile, mine de rien, c’est toujours compliqué d’investir, de grandir. Elle vous le permet parce qu’elle traduit la confiance du public, des gastronomes qui s’intéressent à vous, etc. Même s’ils sont déjà là avant et disent qu’on la mérite – ce qui est d’ailleurs dangereux. Quand les gens vous affirment que « ce n’est pas normal, tu devrais l’avoir », ça peut parfois monter à la tête. Moi, je ne suis pas superstitieux, mais je refusais d’en parler. Il ne faut pas être obnubilé.

Je compare souvent la cuisine à la mode. Il faut se réinventer mais ne jamais oublier d’où l’on vient. Et surtout bien comprendre les raisons qui ont fait de votre maison ce qu’elle est devenue. Si vous prenez des grandes maisons comme Chanel ou Dior, même si elles font deux collections par an, elles vont toujours conserver leur identité. Et en voyant le défilé, on sait si c’est Dior, Chanel ou Saint Laurent, parce qu’on reconnaît une ligne, une coupe, des couleurs ou des matières. Pour un cuisinier, c’est la même chose.

Un produit, ça se mérite – et le produit lui-même le mérite. Le mettre en exergue, c’est le but de tout cuisinier. Au Chalet, si vous venez manger un ris de veau, vous allez en manger un entier, la paume du ris de veau, ça fait 180 ou 200 grammes. Il est là, le produit. L’amateur de ris de veau, il n’a pas envie de venir pour deux petits cubes dans une salade avec de la mangue et du crabe.

1.0Pommes de terre grillées, thym citron et foie et cœur de volaille 🌿lechaletdelaforethttps://www.instagram.com/lechaletdelaforet30837443742293671288364988723_3083744374Instagramhttps://www.instagram.comrich658

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Si vous allez sur Instagram, vous ne pouvez plus dire qui a fait un plat, c’est de la cuisine Meccano. C’est tout ce que je déteste à l’heure actuelle, d’ailleurs c’est comme avec la cuisine moléculaire: il y a eu quelques grands, trois ou quatre maximum, et après il y a tous les sous-lieutenants et les apprentis sorciers qui ont voulu imiter les maîtres sans y parvenir. Beaucoup de cuisiniers actuels, ce qu’ils font c’est: du koppert cress, une gelée, une meringue, un peu de sponge, et on compose l’assiette avec des couleurs et des textures. Mais où est l’âme du plat? On va bientôt assister à un énorme retour aux origines, aux sources.

Par rapport aux villes internationales, l’énorme problème en Belgique, c’est la clientèle fidèle. On doit la soigner aussi bien que le client qui vient de Tokyo et qui veut découvrir « l’expérience Chalet ». C’est plus complexe que de gérer, par exemple, le NOMA (NDLR: le fameux restaurant de Copenhague) avec une carte qui dure six mois et la même chose servie à tout le monde. Au Chalet, nous avons des gens qui viennent chaque semaine! Vous ne pouvez pas leur dire, à chaque fois: « Vous allez découvrir l’expérience Chalet. » Ils vont me répondre: « Pascal, t’es gentil mais on est venus il y a un mois. »

Est-ce que la gastronomie aura encore la place qu’elle a actuellement dans vingt ans? Je n’en sais rien.

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