Pizza Mania: le classique italien fait sa révolution

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Bruno Vanspauwen Journaliste
Nathalie Le Blanc Journaliste

Ça bouge dans les pizzerias! Ce plat, dont l’authenticité est rigoureusement surveillée et pour lequel un morceau d’ananas mal placé peut mener au conflit, est en train d’évoluer, chez nous tout particulièrement.

La pizza est un mets emblématique de l’histoire culinaire. A l’instar de nombreux plats populaires, elle émane d’une époque où la nourriture n’était pas aussi abondante qu’aujourd’hui. Il fallait donc trouver des solutions créatives afin de ne rien gaspiller. Sa recette, qui trouve son origine dans les quartiers pauvres de Naples, permettait à la mamma d’utiliser les restes des repas de la veille.

Au milieu du siècle dernier, ce délice s’est exporté hors de la Botte, pour conquérir le monde entier. Les soldats y ont pris goût à la libération de l’Italie, et les nombreux travailleurs italiens, qui ont migré vers le reste de l’Europe et toute l’Amérique, ont emporté avec eux leur amour de la pizza. Depuis 2017, la napolitaine, avec sa pâte tendre et facilement pliable, figure sur la liste du patrimoine universel de l’Unesco.

Mais comme c’est toujours le cas lorsqu’il s’agit de culture culinaire, cette popularité amène de nombreux changements. Chez nous, la qualité de la pizza n’a jamais été aussi élevée, grâce aux fours authentiques rapportés d’Italie, mais aussi grâce aux pizzaiolos qualifiés qui développent de plus en plus leur créativité.

Besoin d’un lifting

Commençons par la base. La plupart des pizzas reposent sur l’un des deux classiques originaux: la marinara avec tomate, ail et origan, ou la margherita avec tomate, mozzarella et basilic. A partir de là, des variantes sont réalisées en ajoutant divers ingrédients: olives, anchois, câpres, champignons, charcuterie…. Et c’est dans cette garniture que les pizzaiolos laissent libre cours à leur imagination.

Connu à Louvain pour son innovant Ristorante Rossi, le chef italien Felice Miluzzi a ouvert l’an dernier une pizzeria sous le nom de Guzzi avec laquelle il était «déterminé à déclencher une révolution de la pizza». «Depuis mon enfance en Italie, ce mets a toujours été ma plus grande passion. Toutefois, j’ai senti que ce plat historique avait besoin d’un lifting, sans pour autant renier la tradition. Avant tout, je désirais une pâte plus savoureuse grâce au levain, en la laissant lever pendant 48 heures pour qu’elle soit plus digeste. Je souhaitais par ailleurs que les clients retrouvent toute la gamme des saveurs de mon restaurant dans une pizza.» Pour ce faire, il crée donc de nouvelles combinaisons d’ingrédients. Comme par exemple une version gastronomique avec tomates cerises, crevettes rouges de Sicile et bisque de crevettes. Ou encore celle avec des champignons frais et séchés et de la saucisse maison aux fleurs de fenouil. Une autre avec parmesan, truffe noire, lardo, shiitake et roquette. Et même une déclinaison garnie de burrata, tomates jaunes, maquereau mariné, œufs de thon et un peu de zeste de citron. «Mais attention, prévient-il, je ne suis pas un de ces cuisiniers qui pensent que l’on peut mettre tout et n’importe quoi sur une pizza. Un pizzaiolo doit lui aussi suivre l’essence de la cuisine italienne: obtenir un maximum de saveurs avec un minimum d’ingrédients. Sans oublier de respecter les saisons dans le choix de ses produits.»

© UNSPLASH / KLARA KULIKOVA

Bio et local

En ce qui concerne les ingrédients justement, la tendance bio et locale a également pénétré ce domaine. Après avoir travaillé comme banquier à Londres, le Belge Sebastian Dupont s’est inspiré des pizzerias contemporaines de la capitale britannique pour ouvrir le Nona, au cœur de Bruxelles: «Dès le départ, j’ai voulu lier la tradition de la pizza italienne aux produits bio belges, notamment ceux du producteur Dries Delanote, qui fournit également des restaurants étoilés.»

Non loin du restaurant 2-étoiles The Jane, à Anvers, la pizzeria Standard emploie pour sa part des légumes et des herbes bio provenant des jardins de toit locaux.

Outre les garnitures, la base de la pizza est cruciale. Et la tendance du pain au levain a aussi fait son apparition dans les adresses dédiées. Comme à La Piola, à Bruxelles. «Un pizzaiolo qui se respecte aujourd’hui utilise une pâte à levée lente avec du levain au lieu de la levure pour sa base, explique Francesco Paolo Martini, le propriétaire. Ce n’est qu’ainsi que l’on obtient le résultat souhaité après quelques minutes au four à 300 ou 400 degrés.» D’ailleurs, l’intéressé est arrivé à la huitième place du classement européen des 50 meilleures pizzas l’année dernière.

Cette récompense ne s’obtient pas sans une pâte et une croûte parfaites. «Même si, parmi les Italiens aussi, il y a débat sur l’aspect de la base et du bord, avance-t-il. La plupart des Belges préfèrent une croûte croustillante, mais cela appartient en fait à la tradition romaine. A Naples, d’où je viens, les pizzas ont une base et un bord souples et élastiques, que certains trouvent trop mous. Je cherche à obtenir un centre savoureux et crémeux et un contour de pâte entre doux et croustillant. Je me situe un peu entre Rome et Naples.» Notre homme fabrique également une pizza dont le bord de la pâte est rempli de ricotta, un bel exemple du savoir-faire des pizzaiolos. Et certains clients viennent chez lui spécialement pour sa calzone, cette déclinaison pliée moins connue.

Ceux qui vont le plus loin dans la rupture de la tradition de la pizza sont sans doute les anciens propriétaires d’Ellis Gourmet Burger. Ils ont ainsi imaginé un concept créatif sous le nom d’Otomat, en collaboration avec la marque Duvel, dont la levure de bière est utilisée pour faire lever la pâte. Les garnitures sont originales et parfois typiquement belges, telles que le vol-au-vent et le waterzooi. Ils ne reculent même pas devant l’ananas mariné ou une version «triple chocolat» du chocolatier Dominique Persoone… Un sacrilège pour les Italiens, mais le jeune public en raffole.

© SDP / PIZZA POP

Plaisir partagé

Alors que nombre de restaurants se sont débattus pour maintenir la tête hors de l’eau en période de pandémie, la pizza est restée ultrapopulaire. C’est un plat idéal à emporter et, pour beaucoup, elle figure en bonne position au rayon comfort food. Aux Etats-Unis, la demande a été telle que la chaîne Domino’s a dû engager 30 000 personnes supplémentaires.

Même aujourd’hui, après la crise sanitaire, la pizza répond à toutes les exigences de la restauration moderne: simple, rapide, bon marché, nutritive, déclinable, partageable, portable et livrable. Valentina Gatti, ancienne journaliste de mode, ne le sait que trop bien, elle qui a fondé la pizzeria Eat Love, à Gand, et suit toujours de près les nouvelles tendances. Elle a par exemple été la première à servir une pizza avec deux garnitures différentes. Un précurseur, en quelque sorte, de la tendance au partage, à laquelle la pizza se prête aussi à merveille. De plus en plus souvent, on voit des tables de quatre personnes prenant chacune une pizza différente, qui sont ensuite toutes divisées, afin que chacun puisse goûter à tout.

D’ailleurs, quel meilleur endroit qu’une pizzeria pour contenter tout le monde, des carnivores aux végétariens, en passant par les flexitariens et les végans? La pâte elle-même est préparée uniquement avec de la farine et de l’eau, et la garniture peut être adaptée aux souhaits de chacun. Aucune autre cuisine n’offre cette possibilité. Enfin, les choses ont aussi bougé côté vin. Si autrefois les pizzerias n’y prêtaient pas attention, n’affichant que des breuvages de mauvaise qualité, désormais, elles sont de plus en plus nombreuses à proposer une belle sélection de bouteilles. Contribuant encore davantage au plaisir de déguster une bonne pizza.

Pendant ce temps, dans le monde

De Buenos Aires à Chicago et de Singapour à Reykjavik, la pizza a conquis le monde entier. Bien évidemment, de nombreux pizzaiolos suivent les règles classiques napolitaines, mais le plat s’est également adapté aux goûts et aux coutumes locales. A Rome, par exemple, les pizzas sont beaucoup plus croustillantes et fines qu’à Naples. La capitale offre un large choix de carrés à emporter pour ceux qui préfèrent manger tout en flânant dans la ville, cela s’appelle l’art de la passeggiata. Chez Bonci, on les déguste avec du potiron et des calamars, des pommes de terre, de la burrata avec du saumon fumé ou même du steak. Tandis qu’à Naples, on se cramponne à l’authenticité, les chefs romains osent une innovation plus radicale. La pizza bianco à la mortadelle roscioli, sans le moindre gramme de tomate, est légendaire. Des restaurants comme La Gatta Mangiona, Sbanco et Giulietta expérimentent des garnitures gastronomiques: figues marinées dans de l’huile de piment, caccio e pepe avec un centimètre et demi de pecorino râpé ou encore tapenade de courgettes, anchois, poutargue et courgettes.

Lorsque la pizza a traversé l’océan Atlantique, les nouveaux pizzaiolos ont apporté leur touche. A Chicago, depuis 1943, on savoure une version profonde, avec une base plus épaisse, qui rendrait les hivers dans la ville plus supportables. La pizza Hawaii, elle, a été inventée en 1962 par un Grec émigré au Canada. Récemment, des chefs, à l’instar de Nancy Silverton, de la Mozza à Los Angeles, ont affiné ce plat simple en s’inspirant de l’Italie. Sa déclinaison à la crème et à la saucisse de fenouil est légendaire. Dans le monde entier, les chefs adaptent la pizza à leur cuisine locale. En France, ils optent pour du fromage comme le comté ou utilisent des baguettes au lieu de la pâte ; au Japon, on emploie du miso dans la sauce et l’anguille est une garniture populaire ; en Argentine, les cuisiniers sont généreux en fromage et la Scandinavie est connue comme la région aux goûts les plus étranges. On pense à des variantes à la banane, au jambon, aux cacahuètes et à la poudre de curry… ou au renne fumé.

La «gastronomisation» de la pizza est une tendance qui se manifeste aux quatre coins du globe. Alors que les garnitures étaient autrefois aussi bon marché que possible, les chefs d’aujourd’hui osent proposer des ingrédients sophistiqués. A noter, ce conseil de Gabriele Bonci, le grand pizzaïolo romain: optez pour un maximum de trois ingrédients, sinon cela devient trop complexe.

Envie d’en savoir plus? Le recueil Modernist Pizza vous dit tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur ce plat en 1 708 pages, et les 1 016 recettes vont des plus authentiques aux plus expérimentales. «La pizza est multiculturelle car on retrouve ce plat dans tous les pays du monde, chacun avec sa version», peut-on lire. Mais c’est aussi magique. «De la farine, de l’eau, de la levure ou du levain et quelques ingrédients simples produisent quelque chose de bien plus complexe que la somme des parties.» Du Japon au Brésil et de l’ordinaire au gastronomique, ce livre fait véritablement le tour du monde de la pizza.

Par Nathalie LeBLanc

Modernist Pizza, par Modernist Cuisine/ The Cooking Lab, sortie de la version française en juillet, 392 euros.

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