Pourquoi les chefs ne soutiennent pas plus les agriculteurs en détresse

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Les grands chefs soutiennent les agriculteurs - Vif Weekend

A la veille du Salon de l’agriculture à Paris, très peu de figures de la gastronomie française ont décidé de soutenir ouvertement les revendications agricoles, malgré les liens organiques entre les métiers de la restauration et le monde paysan.

Les chefs qui ne jurent que par le « 100% français », obsédés par le « sourcing » en circuit court, ont observé un silence remarqué autour de la crise actuelle. Rare toque à s’être exprimée publiquement, le chef français Thierry Marx a apporté dans une tribune son soutien aux demandes des agriculteurs se disant asphyxiés par les prix, pourfendant le « low cost » et la concurrence déloyale.

« Sans les produits français de très grande qualité et la diversité dans l’excellence qui fait la particularité de notre pays, nous ne serions pas grand-chose », estime dans l’hebdomadaire Marianne le chef, devenu porte-parole de l’association d’industriels pour le « bien manger » Bleu-Blanc-Coeur. Ce lien est emblématique pour toute une génération de chefs qui se définissent comme « cuisiniers paysans », d’Alain Passard à Marc Veyrat, vivant les pieds dans la terre et les mains en cuisine.

Si « la mise en place commence dans les champs », note auprès de l’AFP le chef doublement étoilé Pascal Barbot, de l’Astrance à Paris, « on se doit de montrer l’exemple, mettre nos producteurs en avant et les accompagner tout en étant fidèles ». Le chef Barbot, qui est en négociations avec une centaine de producteurs pour ses tables, veille « à leur santé économique mais aussi morale », les encourage à se diversifier, « sans céder aux modes qui vont, qui viennent », comme celle de l’agrume en ce moment.

A Nantes, Lucie Berthier Gembara du Sépia explique s’engager « à l’année » avec les producteurs sur des « plans entiers, des volumes, avec avance de trésorerie et coup de main sur certains projets ». Un approvisionnement qu’elle complète avec son potager urbain, installé avec son frère sur un toit de la ville.

Des agriculteurs aux chefs, un « écosystème fermé »

Des navets de potagers d’excellence pour tables étoilées aux négociations de l’agro-industrie avec la grande distribution sur le lait, deux agricultures françaises poussent, sans se parler.

« Les chefs n’ont pas la vision globale de l’agriculture, de la PAC (Politique agricole commune), de l’Ecophyto ou de la loi Egalim. Ils ont un écosystème très fermé avec quelques producteurs en face d’eux et peu de temps en dehors des fourneaux « , décrypte Franck Pinay-Rabaroust, rédacteur en chef du média culinaire Bouillant(e)s, qui déplore un monde « peu politisé, peu ouvert sur la société ».

Avec des exceptions: au grand raout des plus grands chefs européens, les Grandes Tables du monde, le pâtissier étoilé Sébastien Vauxon a dédié, en smoking et trophée en main, sa récompense au « monde agricole en souffrance ». « Nous, chefs, on se doit de les encourager et de les soutenir. C’est eux qui nous font vivre », a lancé ce fils de maraîcher qui a ouvert le premier restaurant gastronomique pâtissier étoilé au monde et officie au Sarkara à Courchevel (Savoie).

Gare au retour de bâton moral

De son côté, le chef des Hauts-de-France et ancien candidat finaliste de Top Chef (2013) Florent Ladeyn a supplié sur les réseaux sociaux le milieu et les consommateurs à s’engager au-delà des « filtres et photos de profil » pour les agriculteurs. « C’est ensemble qu’on les sortira de l’équation, il n’y a pas de petits choix quand il s’agit de défendre ceux qui nous nourrissent », a t-il écrit, invitant professionnels et particuliers à choisir « une agriculture française, responsable et indépendante avant des logos ou des marques ».

Les chefs, surtout les plus médiatiques, craignent aussi le retour de bâton moral, tant ils sont dans l’impossibilité d’assurer pour la plupart une exemplarité sans faille sur la provenance des produits. « Dans ce milieu, personne n’a les mains complètement propres », indique à l’AFP le rédacteur en chef de Bouillant(e)s. « Il y a des approvisionnements pas nets, avec quelques kilos achetés en début de saison chez des producteurs stars, l’huître d’untel ou la blette de machin affichés au menu, et, ensuite, ils vont acheter ailleurs ».

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