Premières gorgées d’un maté au cannabis

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En décembre 2013 l’Uruguay, petit pays d’Amérique latine, devenait le premier de la planète à légaliser la production, la distribution et la consommation du cannabis à des fins récréatives. Désormais, il parie aussi sur les dérivés de la plante, jusque dans les tasses de maté, la boisson nationale.

BCBD Medicinal, une société située à Rincon de Pando, à quelque 45 km de Montevideo, est l’une des entreprises qui ont été autorisées à travailler sur des produits dérivés du cannabis. Après trois ans de recherche, elle vient de mettre au point une nouveauté, déjà disponible à la vente dans les supermarchés du pays: un maté au cannabis.

Sous ses serres, de jeunes plants de marijuana poussent dans un environnement tempéré pour éviter le froid de l’hiver austral. Objectif: produire une importante quantité de biomasse de chanvre avec un taux élevé de cannabidiol (CBD), le composant thérapeutique du cannabis.

Ce cannabis est ensuite mélangé avec les feuilles de la plante « yerba mate » qui, torréfiées et pulvérisées, sont à la base du maté, une boisson stimulante à l’image du café ou du thé. Infusion vert bouteille au goût amer, le maté est typique de la région du Rio de la Plata, du sud du Brésil et du Paraguay. Les Uruguayens en boivent tout au long de la journée. « Le secret (du maté au cannabis) réside dans le dosage de la quantité de CBD en fonction de l’arôme (plus ou moins fort) du +yerba mate+ », explique à l’AFP Rodrigo Puente, le gérant de BCBD Medicinal, sans vouloir dévoiler ses secrets de fabrication.

Pas d’inquiétude à avoir en terme sanitaire: un paquet de feuilles de maté ne contient qu’une dose minime de cannabis – pas plus de 2% du volume total, souligne M. Puente. Ce maté revisité n’a qu’un effet très limité par rapport à la marijuana.

Il contient certes de la caféine mais « le CBD a un effet relaxant » et ce mélange « procure de la sérénité », assure M. Puente. Le but recherché est « une sensation de bien-être ».

Engouement croissant

Le lancement de ce maté au cannabis marque un tournant qui pourrait ouvrir la voie à la fabrication de nombreux produits confectionnés à partir de composants du cannabis provenant d’Uruguay, permettant une consolidation de cette industrie balbutiante.

BCBD Medicinal envoie le cannabis qu’elle produit à un fabricant de maté qui introduit ces doses dans du maté conçu à partir de plantes importées. Car l’Uruguay ne produit pas la fameuse « yerba mate », un paradoxe pour ce pays qui détient le record mondial de consommation de cette infusion d’origine indienne, qu’on boit très chaude dans une petite calebasse.

Des commandes de l’étranger – Israël, Espagne ou Allemagne – commencent à parvenir à l’entreprise, alors que le maté, popularisé à l’international par les stars du football telles que l’Uruguayen Luis Suarez, l’Argentin Lionel Messi ou le Français Antoine Griezmann, connaît un engouement croissant.

BCBD Medicinal a développé trente produits, notamment alimentaires, où du cannabis est présent et espère à terme devenir un fournisseur de produits à vocation thérapeutique. Pour l’heure, seules deux entreprises privées produisent du cannabis sous contrôle de l’Etat, tandis que d’autres ont reçu l’autorisation de travailler sur des dérivés, notamment à des fins médicales.

Au milieu des plantations, Alfonso Vilardo, en charge des cultures, dit espérer que les Uruguayens « s’adaptent » et « consomment des produits issus du cannabis ». « Il s’agit d’intégrer le cannabis à la culture locale », dit-il.

En Uruguay, la loi autorise trois modes d’accès pour un usage récréatif: culture à domicile pour consommation personnelle, appartenance à un club cannabique ou achat en pharmacie.

Près de 27.000 personnes se sont inscrites pour se fournir en pharmacie depuis juillet 2017 et près de 7.000 cultivateurs et plus de 100 clubs de culture coopérative ont été enregistrés depuis l’adoption de la loi en 2013.

Cette légalisation, qui gagne progressivement du terrain dans le monde, attire l’attention des grands groupes alimentaires.

Fin août, Pernod Ricard, le géant français des spiritueux a dit « regarder de près » le marché du cannabis.

Quelques semaines auparavant, le groupe propriétaire de la bière Corona, Constellation Brands, annonçait qu’il misait grandement sur le cannabis, injectant des milliards de dollars dans une entreprise canadienne, Canopy Growth, bien placée pour récolter les fruits de la légalisation de la marijuana dans le pays.

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