Les fromages d’Auvergne, nuls au Nutri-Score, mais garants de la tradition et l’authenticité
« Nous, on n’applique pas le Nutri-Score », clame Nicolas Cussac, producteur de bleu d’Auvergne, qui préfère mettre en avant l’authenticité de ses fromages traditionnels plutôt que les notations du système d’étiquetage nutritionnel français.
Cet éleveur de Saint-Flour, dans le Cantal, trait ses vaches à 07H30. Puis le pénicillium — champignon donnant sa couleur bleue au fromage — est incorporé au lait chauffé à 32°C.
« Hier, c’était du foin, aujourd’hui c’est du lait, demain ce sera du fromage », résume-t-il.
Avec la présure — un coagulant d’origine animale —, « le tout forme un gros yaourt, que l’on tranche pour créer des petits grains caillés », décrit le quadragénaire devant la cuve en inox où les grains sont brassés.
Ces grains sont ensuite séparés du sérum jaune clair pour être moulés, puis salés trois jours plus tard avant affinage en cave, pour cinq à six semaines.
« Cela donne de beaux fromages », dit fièrement le producteur en montrant ses produits destinés aux restaurants, crèmeries et fromageries.
Mais, comme le bleu des Causses ou le roquefort, le bleu d’Auvergne est classé E, la pire note du système Nutri-Score. Le plus souvent, les fromages d’appellation AOP sont notés D, en raison de leur taux de sel et de graisse.
Goût altéré
« Comment expliquer que le bleu d’Auvergne soit classé E alors que des frites avant leur cuisson dans l’huile sont notées A ? », s’interroge Sébastien Ramade, président de l’association des fromages AOP d’Auvergne qui produit 38.000 tonnes par an (soit 20% des fromages AOP au lait de vache).
L’association auvergnate demande leur exclusion du système d’étiquetage.
« Le Nutri-Score pousse les industriels à modifier leurs recettes (… ), alors que nous ne pouvons pas le faire. Notre logo, notre cahier des charges suffisent à rassurer le consommateur », estime M. Ramade, également producteur de saint-nectaire.
« Si on diminuait le taux de sel, on sait très bien qu’on aurait des fromages au goût altéré et des problèmes de conservation », assure Nicolas Cussac, qui fabrique 25.000 kilos par an de bleu et de fourme d’Ambert.
François Champeau est fromager à Clermont-Ferrand. Dans sa vitrine, les bleus d’Auvergne côtoient les saint-nectaire, cantals, salers et fourmes d’Ambert, d’autres fromages auvergnats.
« Le Nutri-Score est basé sur 100 grammes de produit, c’est le problème pour nous, car ce n’est pas comparable avec ce que les gens vont consommer. Le fromage, c’est toujours une toute petite part de notre repas, 30 grammes en moyenne », dit ce fromager des « Claies de Saint-Pierre » en précisant ne pas être « contre le Nutri-Score lorsqu’il concerne un plat préparé constituant l’essentiel du repas ».
Et de prendre l’exemple du Parmigiano Reggiano « très gras »: il « sera noté de façon catastrophique mais c’est avant tout un condiment, que l’on consomme en petite quantité ».
Vitrine rouge
« Les recettes ne sont pas modifiables facilement. Ce ne serait plus du cantal, ce ne serait plus du Parmigiano » et « ce sont des fromages qui ont parfois des siècles de tradition et d’usage », insiste le commerçant.
L’effet ne serait pas « catastrophique dans l’immédiat sur notre clientèle si la vitrine est couverte de rouge ou orange », la couleur des notes E et D du Nutri-Score, dit-il, redoutant plutôt les conséquences à long terme sur les nouvelles générations.
Pour Stéphanie Lopes, diététicienne à Clermont-Ferrand, le Nutri-Score « pose question » car il « ne prend pas en compte le degré de transformation des aliments ».
« Cela va à l’encontre de l’objectif initial d’éduquer les gens à bien manger. C’est une approche réductionniste. L’algorithme découpe les nutriments qui constituent l’aliment. Mais c’est le tout qui fait que l’aliment est intéressant ou pas. Derrière le Nutri-Score, on laisse évoluer les produits ultra-transformés, indépendamment du fait que ce soit gras ou sucré », assure-t-elle.
Quant aux fromages AOP, « comme nous en avons en Auvergne, ils sont intéressants dans le sens où ce sont des minéraux naturellement présents dans les matières premières qui composent le fromage. Dans le cadre d’une ration équilibrée, cela va très bien pour répondre à nos besoins ».