Comment bien réussir le merveilleux? Enquête, conseils et recette pour le sublimer
Chaque saison, Michel Verlinden traque la meilleure préparation d’un classique du répertoire gastronomique. Cet hiver, zoom sur le merveilleux.
« Je suis bien chaud aujourd’hui, les gars ! », annonce d’emblée Pierre Marcolini. Le célèbre chocolatier bruxellois, pâtissier avant toute chose, nous a offert une masterclass sur le merveilleux, ce gâteau dont on dit qu’il vient de Belgique et dont la forme serait inspirée par les « Merveilleuses », ces galantes de l’ère Directoire (1795-1799) identifiées pour ce goût prononcé du beau qui a traversé le temps.
Comme si cela ne suffisait pas qu’il consacre trois heures de son temps, l’homme a en plus décidé d’assortir l’expérience d’un déjeuner-hommage à ses origines italiennes. Tout en s’activant, il ne perd pas de vue un délicieux bouillon de vin blanc aux saucisses italiennes attendant d’être généreusement versé sur des orecchiette.
Une version atteignable tout de même
Avant d’entrer dans le vif du sujet, il nous faut préciser que l’intitulé de la rubrique n’a pour une fois pas été totalement respecté. A l’approche des fêtes, il nous intéressait moins de proposer un « merveilleux parfait » qu’un « merveilleux réaliste », comprendre que chacun pourrait réaliser chez soi avec les moyens du bord – Marcolini a joué le jeu à fond, se passant des inévitables douilles pâtissières et bricolant deux gabarits de fortune pour mouler les plaques de meringue.
La seule entorse à ce programme rigoureux a consisté à se servir pour l’occasion d’un robot-pâtissier – le Titanium Chef Pâtissier XL – de la marque Kenwood. Impossible de faire sans cet engin ? Pour peu que l’on soit un peu aguerri, il est tout à fait jouable d’exécuter la recette avec un batteur électrique ou avec un fouet fonctionnant à l’huile de coude. « C’est dommage de considérer le matériel pour la pâtisserie comme accessoire, alors que l’on voit celui pour les plats salés comme indispensable… les mentalités doivent changer », analyse le Meilleur pâtissier du monde 2020.
Un merveilleux version bûche, pour les fêtes
Petite complication supplémentaire, avec Noël en ligne de mire, nous avons demandé à Pierre Marcolini de revisiter le merveilleux sous forme de bûche, soit un bon plan dans la perspective d’un partage en famille. « Le merveilleux possède l’avantage d’être consensuel, explique l’intéressé. C’est important pour cette fête familiale réunissant souvent plusieurs générations.
Depuis trente ans, je passe mon temps dans les boutiques et je me rends compte que nous pâtissiers, nous avons tous le syndrome du créateur. C’est-à-dire que nous revenons par exemple du Japon avec un poivre exceptionnel ou du ponzu, ce mélange de yuzu et de soja. Lorsqu’une famille débarque pour sa commande, vous rêvez de les séduire avec une création alambiquée, vous la défendez avec vos tripes : biscuits sans farine, mousse à base de ponzu, notes d’agrume émanant du poivre… En deux minutes, vous les avez perdus. C’est le moment où une petite voix s’élève pour dire « grand-mère aime tellement le chocolat ». La Noël, c’est le classique. C’est une grande leçon d’humilité. »
Pierre Marcolini a réalisé cette bûche avec d’autant plus d’enthousiasme qu’elle occupe une place de choix dans son imaginaire gastronomique. « C’est le gâteau de mon enfance. Petit, je pouvais échanger des jouets contre un merveilleux. Je ne suis pas certain mais il pourrait être à l’origine de ma vocation. »
Old school le merveilleux ? Pas pour le chocolatier qui, au contraire, loue sa grande modernité. « A l’heure où l’on parle beaucoup du croquant, du croustillant, il est, de plus, naturellement sans gluten. Cet entremets est à l’essence même de la pâtisserie, à son origine. Le merveilleux est extrêmement épuré et il était déjà populaire à une époque où quand on entrait dans une pâtisserie, on avait l’impression d’être dans un bar tellement l’alcool était partout, je pense à ces génoises imbibées de rhum. »
Éviter la pression
Avec pas mal de bon sens, Pierre Marcolini a imaginé un rétroplanning afin de ne pas se retrouver à devoir préparer la bûche le jour J. « L’avantage de la meringue, explique-t-il, c’est qu’on peut la faire une semaine à l’avance, autrefois on la laissait même sécher au soleil. La condition sine qua non est de la garder au sec car l’humidité est son seul ennemi. »
Idéalement, il faut préparer sa meringue le 22 décembre et la ganache le 23 pour que cette dernière « se laisse bien aller ». Anxieux ? Il est même possible de s’y prendre encore plus tôt. « Ce qui est génial avec le merveilleux, c’est qu’il possède une tendance à s’affiner, comme un fromage. On le connaît bien croquant mais au frigo, il s’affine pendant 12 heures, les goûts et les textures sont alors plus fondus. »
Afin de structurer la bûche, il convient de réaliser deux gabarits qui permettent de calibrer trois plaques de meringue en forme de parallélépipède rectangle. Pas envie de bricoler ? Lors de nos premiers essais, nous avons utilisé 2 x 2 albums de bande dessinée, mais par la suite, nous avons acheté des plaques de carton blanc rigide en les collant ensemble avec de la bande adhésive jaune. Les gabarits en question permettent de réaliser deux plaques de 28 x 8 cm et une plaque de 28 x 5 cm, les deux affichant une épaisseur d’un bon centimètre.
Prendre le temps
Une fois l’amalgame blanc d’œuf et sucre obtenu en vue de préparer la meringue, Pierre Marcolini recommande une cuisson lente. « La cuisson classique, c’est 100, voire 120 °C, pendant une heure. Le problème, c’est que la meringue va se gonfler. Ici, nous cherchons une meringue qui n’est pas modifiée. Je préconise donc de la cuire à 70 °C dans un four à chaleur tournante, pendant 2 h 40. C’est une meringue basse température, il n’y a pas de raison que cette méthode soit le seul privilège du veau », plaisante Pierre Marcolini. Pour l’avoir pratiqué plusieurs fois, on valide le procédé qui, en plus de garantir une meringue bien géométrique, permet de conserver l’aspect « colle aux dents » du mélange sous une croûte bien dure.
Dans le but de donner du relief et de la gourmandise à la préparation, le pâtissier a imaginé une sorte de mousse au chocolat très simple, sans blancs d’œufs. Cette ganache fait merveille, coincée entre la crème battue et la meringue. Précaution utile : il faut que cette ganache atteigne une température de 38 °C. « C’est important car c’est ce qui donne la souplesse. Si on est à 32, 33°C, le mélange avec la crème sera trop liquide », commente Marcolini. Envie de mettre la main à la pâte ? Suivez notre recette. Satisfaction garantie au bout de l’effort.
A lire aussi: Notre recette du merveilleux en bûche (aidé par Pierre Marcolini)
Le b.a.-ba du merveilleux
- Attention à éviter les approximations avec les 200 g de blancs d’œufs nécessaires à la meringue. « Une règle que l’on ignore trop souvent, c’est qu’il faut peser les œufs. C’est du bon sens, un œuf n’est jamais un autre. Il faut être précis sur ce sujet. Il peut y avoir 15 grammes d’écart entre deux œufs, ça change tout », assure Pierre Marcolini. Pour ne pas avancer dans le noir, on notera toutefois que 200 g représentent environ 7 œufs.
- Autre astuce relative aux blancs d’œufs, il ne faut pas qu’ils soient trop frais. Plus ils sont proches de leur DLU, plus ils sont faciles à monter en neige.
- Trop de meringue ? C’est possible car la recette est généreuse. Profitez du reste en le cuisant au four sous forme de portion individuelle. Pourquoi ne pas, par exemple, râper du citron vert par-dessus ces bouchées ? La meringue se conserve bien pour peu qu’elle soit au sec.
- Il est possible de booster sa meringue de différentes façons en y intégrant au choix : du poivre, du zeste de citron, des grains de vanille…
- Afin de renforcer la plaque de meringue qui soutient la bûche, il est recommandé de la chablonner, c’est-à-dire de l’enduire de chocolat fondu avec un pinceau.
- Pour la ganache au chocolat – l’astuce vaut également pour le chocolat chaud ou la mousse – Pierre Marcolini est formel : « Le chocolat contient du beurre de cacao qui lui-même recèle de l’acide oléique, une matière grasse. Pour obtenir de bon résultat en termes de texture, il faut toujours mettre un coup de mixer, émulsionner. »
- Il est normal que la crème fouettée ne soit pas sucrée, cela compense ainsi la meringue qui l’est déjà suffisamment.
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