Rencontre avec Carine Amery, sommelière du thé
Lorsque l’on parle sommellerie, tout le monde pense au monde du vin, à l’oenologie et aux accords mets et vins. Mais qui pense au thé ? Et pourtant, Carine Amery est bien sommelière du thé. Une spécialiste des thés, de leurs couleurs, odeurs, saveurs et nuances. Rencontre avec l’une des deux expertes du genre en Belgique.
Carine Amery a cinq ans, lorsque de manière tout à fait inexplicable, elle goûte un thé qui change sa vie. « Comme un coup de foudre. Ou comme quand l’on jette un morceau d’aimant dans la limaille de fer. Tout s’est ordonné autour de ça ». Et pourtant, selon la spécialiste, ce n’était pas bon. Ce thé était amer, de mauvaise qualité et infusé trop longtemps. Peu importe, cette tasse la fascine. Encore un mystère à ce jour. Mais, avec le recul, Carine le voit comme un signe de la vie : il ne faut jamais s’arrêter à l’amertume des choses et toujours chercher plus loin.
Depuis ce jour, le thé est devenu une passion. Son premier argent de poche, elle l’a dépensé pour se rendre dans des salons de thé de la Mer du Nord, lorsqu’elle rendait visite à ses grands-parents.
A l’âge adulte, Carine devient bibliothécaire. L’envie d’ouvrir son propre salon de thé est bien présente. Elle se forme au métier de restaurateur. Et c’est là qu’elle découvre la sommellerie du vin. Les similitudes entre les mondes du thé et du vin lui semblent évidentes. Comme pour la vigne, il faut cinq ans pour le théier entre la plantation et la première récolte marchande. Ce sont les deux grands fluides de convivialité de l’humanité, tous les deux se sont développés en parallèle de la diffusion de grands courants spirituels, le christianisme et le bouddhisme. « J’ai été frappée par la comparaison possible entre ces deux univers, des univers à la fois comparables et complémentaires. Je voyais déjà le thé comme pouvant se glisser là où le vin n’était pas pertinent ». Son salon de thé devra fermer ses portes neuf ans après son ouverture, faute de rentabilité.
Les six ans qui suivent, Carine travaille comme employée administrative dans un hôpital. Et puis, toutes les personnes qui n’avaient pas un CDI ont été remerciées. Elle faisait partie du lot.
A l’époque, elle a du mal à retrouver un travail. Un jour, deux de ses amis, qui ne se connaissaient pas, lui disent que ce qu’ils ont appris à sa table leur a sauvé la vie. Elle explique : « Quand je reçois chez moi, je sers toujours du thé et du vin. Et, ils se trouvent que ces deux amis, pour des raisons très différentes, ne pouvaient absolument plus consommer d’alcool. Ils n’acceptaient plus de verre au bureau, ils n’allaient plus au restaurant, ils n’invitaient plus personne, ils n’allaient plus nulle part. Leurs épouses respectives en avaient marre, ils étaient au bord du divorce ». Ses deux proches comprennent alors qu’ils pourraient remplacer le vin par du thé à table. Ils se sont mis à réinviter leurs proches à manger chez eux et apportaient le thé lorsqu’ils acceptaient une invitation à dîner. Carine se rend compte qu’elle pourrait appliquer cela à un niveau professionnel. Elle explore. A cette époque-là, les chiffres officiels de l’horeca montrent que 16,5% de personnes s’attablent au restaurant sans consommer d’alcool. Cette voie lui semble prometteuse.
Carine se rend rapidement compte que sur le terrain, ce n’est pas si simple. Les restaurateurs ont bien du mal à sauter le pas. Proposer une alternative à l’alcool n’est pas du tout dans les moeurs. C’est un préjugé qu’il faut combattre. Le thé est un produit intéressant qui répond à une demande existante et criante. Les restaurateurs ont tendance à se braquer et pensent que leur rentabilité sera mise à mal par le fait de proposer une alternative à l’alcool. Selon Carine, c’est une erreur : « quelqu’un qui, pour des raisons de santé, ne peut pas boire d’alcool, n’ira pas dans les restaurants qui ne proposent pas d’alternative. Les gens qui ne boivent pas d’alcool ont des raisons de le faire et si on ne propose pas d’alternatives ils fréquenteront d’autres maisons ».
La sommelière estime que « le thé est un produit gastronomique à part entière ». Il existe plus de 6000 crus rien qu’en Chine alors que, dans le monde entier, il y a environ 5000 sortes de vignes cultivées. De plus, avec une seule récolte de feuilles, on peut produire, en fonction de la manufacture, six variétés de thé différentes qui correspondent aux six couleurs de la nomenclature chinoise (voir infra.). « C’est un monde infini ». Le thé contient également un exhausteur de goût naturel, la théanine. Ainsi, les mets consommés en présence de thé sont plus savoureux. Tout ceci plaide en faveur du thé au moment des repas.
Aujourd’hui, son travail consiste à convaincre les restaurateurs de tous horizons que le thé n’a pas à rougir face au vin. Elle démarche, prospecte, téléphone. Puisque les restaurateurs ne sont pas encore prêts à proposer une carte de thés pour l’entièreté des repas, Carine travaille principalement avec ceux qui souhaitent améliorer leur offre de thés au moment du dessert. Elle leur demande la liste des ingrédients qui composent les douceurs et leur propose ensuite cinq thés qui se marient avec, tout en précisant pourquoi tel thé s’accorde avec tel dessert. Un même thé peut donner un effet tout à fait différent selon le dessert avec lequel il est accordé. « Par exemple un Darjeeling à la bergamote se marie très bien avec le chocolat. Mais il va fort alléger le chocolat, donner une sensation de fraîcheur. Alors qu’avec une tarte au citron, il mettra l’accent à la fois sur le côté fruité et sur les notes de beurre, le côté moelleux du dessert. Le thé que je propose doit toujours constituer un accord : le dessert est mis en valeur par le thé et le thé donne un aspect de lui-même qui est différent en fonction du dessert qui l’accompagne ».
Récemment, certains restaurants commencent à glisser la carte des thés dans celle des boissons, de manière à ce que quelqu’un qui désire prendre un thé avec son repas s’y sente autorisé.
Au fil du temps, d’autres activités sont venues se greffer. Carine donne régulièrement des ateliers-découvertes dans des centres culturels, des ateliers à destination de particuliers ou de professionnels ainsi que dans l’enseignement hôtelier. Elle a également créé une marque qui s’appelle « Le thé s’habille » : elle réalise pour des musées et institutions des recettes de thé qu’elle conditionne ensuite dans des boîtes métalliques fabriquées artisanalement.
Leila Fery
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