Rencontre avec Virginie Routis, sommelière de l’Elysée

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Dans un grand restaurant, au début de sa carrière, un client lui avait un jour « lancé la carte des vins à la figure », refusant d’être conseillé par une femme. La sommelière Virginie Routis a depuis pris une belle revanche en obtenant les clés de la cave du Palais de l’Elysée.

Cette Bordelaise de 38 ans, en lice pour les trophées « Femmes en Or » qui devaient être décernés mardi, est depuis neuf ans le chef sommelier de la présidence française et c’est la première femme à occuper ce prestigieux poste. Elle veille sur 14.000 bouteilles destinées à être servies lors des dîners d’Etat, officiels, ou déjeuners de travail organisés au palais présidentiel.

François Hollande, le chef de l’Etat, fait confiance à ses choix: « J’ai carte blanche », assure cette femme enjouée et discrète, vêtue d’un tailleur noir.

Dans la cave voûtée et climatisée du sous-sol de l’Elysée, les flacons de prestige (Cheval Blanc, Latour, Bâtard-Montrachet de Joseph Drouhin, Puligny-Montrachet du domaine Leflaive…) côtoient les bouteilles plus abordables. Le vin le plus ancien est un sauternes, un Château Rieussec de 1906.

Les vins de Bordeaux constituent plus de la moitié de la cave, exclusivement française, ceux de Bourgogne environ un quart, mais « toutes les régions sont représentées », précise Virginie Routis.

La sommelière choisit les vins en fonction du menu concocté par le chef des cuisines de l’Elysée, Guillaume Gomez, ainsi que du protocole, avant de les goûter et les servir. « Si on reçoit un chef d’Etat étranger, on va miser sur une valeur sûre, un grand bourgogne blanc, un grand bordeaux rouge, mais pour d’autres déjeuners on peut aller voyager en Alsace, Cahors, Corse… Je joue sur des découvertes, je sais que le président est ouvert à cela », explique-t-elle.

170.000 euros de budget

La cave, créée en 1947 sous la présidence de Vincent Auriol, a en partie été renouvelée grâce à la vente aux enchères en 2013 de quelque 1.200 bouteilles. Certains grands crus étaient disponibles en trop petites quantités pour être servis lors de dîners officiels.

Le budget était en 2015 de 170.000 euros – dont 50.000 euros provenant du produit de la vente aux enchères ont servi à acheter des vins de garde en primeur.

Le dîner d’Etat qui a le plus marqué Virginie Routis a été organisé en l’honneur de la reine Elizabeth II, le 6 juin 2014: « C’était l’un des plus stressants », confie la sommelière.

Virginie Routis avait servi pour l’occasion un sauternes, un Château d’Yquem 1997, du Haut-Brion 1990 et un champagne Pol Roger, cuvée Winston Churchill.

Virginie Routis, sommelière de l'Elysée
Virginie Routis, sommelière de l’Elysée© afp

Née dans une famille d' »amateurs de vins et de bonne chère », formée au lycée hôtelier de Talence (sud-ouest) près de Bordeaux, Virginie Routis a commencé sa carrière en Angleterre, au Manoir aux Quat’Saisons, table étoilée du chef français Raymond Blanc près d’Oxford. La jeune femme a ensuite travaillé cinq ans au Bristol, un palace parisien. Elle n’a pas 30 ans quand elle est nommée à l’Elysée: elle entend dire que la place est à prendre et tente sa chance, avec succès. Comme le président d’alors, Nicolas Sarkozy, ne boit pas de vin, c’est avec son épouse Carla Bruni que Virginie Routis discute de ses choix.

‘Savoir s’imposer’

Dans son métier, majoritairement masculin, « il faut savoir s’imposer », reconnaît cette mère d’une petite fille. Jeune sommelière, elle fut confrontée à la misogynie d’un client âgé en Angleterre: « Je suis arrivée avec la carte des vins, il me l’a lancée à la figure. Il m’a dit: « je veux voir un homme ». Il ne voulait pas me parler, ni que je m’occupe du vin, rien. C’est le maître d’hôtel qui y est allé ! »

Les sommelières sont désormais de plus en plus présentes. « C’est beaucoup plus évident » qu’auparavant, juge Virginie Routis, qui a côtoyé au Bristol Estelle Touzet – aujourd’hui au Ritz, un autre palace parisien – ou encore Marlène Vendramelli, meilleur jeune sommelier de France en 1993. « Je trouve qu’on a un palais plus sensible et peut-être une manière d’expliquer le vin plus simple, moins technique que les hommes. Mais c’est bien d’avoir une équipe mixte », sourit-elle.

« Susciter encore plus de vocations féminines » est d’ailleurs « l’une des ambitions » de Philippe Faure-Brac, meilleur sommelier du monde (1992) et nouveau président de l’Union de la sommellerie française, qui estime entre 15 et 20% la proportion de femmes dans ce métier.

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