La cuisine à la mode africaine (+ 3 recettes)

Pascale Marthine Tayou dans son atelier gantois. © Hannes Vandenbroucke
Agnes Goyvaerts Journaliste

Qui a dit que la mode et la nourriture ne faisaient pas bon ménage ? La styliste Jo De Visscher réussit cette osmose depuis sa première collection. Et rien que pour nous, elle s’est mise aux fourneaux avec son époux, l’artiste camerounais Pascale Marthine Tayou.

En septembre, le label jodevisscher soufflait ses dix bougies dans le gigantesque atelier de Pascale Marthine Tayou avec un défilé… et plein de gâteaux.  » Dans la famille, nous avons toujours eu cette habitude de nous réunir pour les anniversaires des enfants, frères et soeurs, cousins et cousines, oncles et tantes. Toujours avec du café et des préparations sucrées « , raconte Jo De Visscher. Il faut dire que celle-ci, côté paternel, descend d’une famille de boulangers-pâtissiers. Elle se souvient très bien du tableau : quand il fallait préparer un gâteau d’anniversaire, c’était souvent une construction très élaborée, avec abondance de crème au beurre.  » Un des hommes s’y mettait dès la veille. C’était hors de question d’aller acheter une tarte, comme je le fais hélas aujourd’hui, par manque de temps, pour mes propres enfants.  »

J’ai un esprit mathématique : je suis les recettes à la lettre.

Les ustensiles de son grand-père restent pour Jo une surprenante source d’inspiration :  » J’adore ses vieux moules, que je compte utiliser dans ma boutique de Gand pour présenter la collection automne-hiver. Celle-ci est entièrement placée sous le signe des tartes et des gâteaux, tant au travers de ses formes (des cercles et des triangles) que de ses couleurs (jaune d’oeuf, rouge fraise, bleu myrtille et vert pistache). Le motif pied-de-poule est un clin d’oeil au traditionnel pantalon de boulanger, et les petites taches dans la structure des tissus évoquent la poussière de farine.  »

L’appel des couleurs

Ainsi, depuis sa première collection dédiée au chocolat, la styliste a régulièrement puisé ses idées dans sa propre assiette. Une originalité qui se greffe à une autre marque de fabrique : en 2014, en lisant un ouvrage sur Nelson Mandela, Jo a décidé de teinter ses créations de nuances africaines. Une influence qui lui colle d’autant plus à la peau que, désormais, elle se rend régulièrement en Afrique de l’Ouest avec son époux camerounais, pour passer quelque temps dans leur maison de Yaoundé. Le coup de foudre s’est produit il y a une vingtaine d’années à la gare de Gand, où l’extravagant artiste était invité par feu Jan Hoet pour participer à un parcours baptisé Traffic. Jo, restauratrice d’oeuvres contemporaines, était chargée de l’accueillir et de lui servir de guide… Pascale lui a pris la main et ne l’a plus jamais lâchée.

La cuisine à la mode africaine (+ 3 recettes)
© Hannes Vandenbroucke

D’abord installé à Bruxelles, le couple vit désormais à Gand avec ses enfants. Jo y façonne des vêtements tout en sobriété, avec une prédilection pour les belles étoffes et les formes géométriques bien ajustées. Les fioritures, très peu pour elle. Même quand elle se la joue  » food « , ce n’est jamais avec des imprimés à motifs de citrons ou de tomates façon Dolce & Gabbana. Elle préfère la subtilité, le non-dit, les tons qui évoquent au lieu de montrer. Pascale, lui, expose partout dans le monde ses installations monumentales hautes en couleurs, en faisant danser son imagination dans son atelier gantois.

Au marché des souvenirs

Mais revenons à nos fourneaux. Si Pascale est un vrai cuisinier qui agit au feeling, Jo se définit plutôt comme une pâtissière, préférant  » suivre une recette à la lettre « , ce qui correspond mieux à son  » esprit mathématique « . Son avis sur la cuisine camerounaise ?  » Très honnêtement, elle n’est pas terriblement raffinée, estime la créatrice. Entre les pommes de terre, le manioc, les spaghettis ou les haricots, c’est surtout l’amidon qui domine les menus. Les légumes, eux, sont beaucoup moins utilisés que chez nous. Ils consomment surtout des tomates, alors qu’on trouve de tout sur les marchés – courgettes, aubergines, poivrons… Aussi, quand on est là-bas, je fais une liste à Pascale. C’est toujours lui qui fait les courses, parce que si je l’accompagne, le prix augmente comme par magie… « , sourit-elle.

Là-bas, personne n’utilise d’huile d’olive.

Dans leur atelier, les deux créateurs nous accueillent à bras ouverts, en nous dévoilant aussi bien leurs techniques que leurs outils.  » La première fois que j’ai accompagné Pascale au Cameroun, j’ai rapporté une pierre destinée à écraser des épices séchées, explique Jo en nous montrant deux pierres, l’une plate et rugueuse, l’autre plus petite et ronde pour servir de pilon. J’ai également acheté une casserole isotherme – fabriquée en Inde -, que les femmes utilisent pour transporter les plats chauds qu’elles vont vendre au marché.  »

À table !

La styliste Jo De Visscher.
La styliste Jo De Visscher.© Hannes Vandenbroucke

Le couple s’active à cuire les pommes de terre, hacher les échalotes et rincer les haricots.  » C’est la dame qui pile « , déclare Pascale, avant d’évoquer ses souvenirs :  » Chez nous, on n’avait jamais besoin de crier  » à table !  » Quand on entendait maman piler, on savait que le dîner était presque prêt. En attendant, les hommes s’en allaient faire un tour, s’ouvraient une bière et venaient s’asseoir tranquillement, une fois le repas servi. Ici, bien sûr, tout le monde participe…  »

Petit débat sur l’huile de palme, que Pascale refuse de troquer contre de l’huile d’olive.  » C’est elle qui donne sa couleur, son odeur et sa saveur au plat. Et les règles de l’art, ça se respecte.  » Et Jo d’ajouter que  » là-bas, l’huile d’olive est très chère, donc personne ne l’utilise « . Ensuite, il est temps de s’attabler, tout en se posant une question clé : le pilé se mange-t-il à midi ou le soir ? La réponse fuse :  » Les deux ! Et le reste est servi le lendemain au petit-déjeuner.  » Le plus jeune fils du couple, Iziz, nous observe de loin en souriant face à la portion énorme qui atterrit sur notre assiette. Lui n’est pas plus tenté que ça : il préfère de loin… les frites.

Trois recettes à découvrir

  • Le Pilé

Pour 4 personnes

700 g de haricots rouges (séchés ou en conserve), 2 kg de pommes de terre, 250 ml d’huile de palme, 1 échalote, piment (frais ou séché), sel.

À vos fourneaux

Si vous utilisez des haricots secs, il faudra d’abord les faire tremper dans une grande quantité d’eau pendant au moins 6 heures.

Jeter l’eau utilisée pour le trempage, rincer les haricots et les faire cuire à point dans une grande casserole d’eau. Eplucher les pommes de terre et les faire cuire à point.

Laisser égoutter les haricots. Ecraser soigneusement les piments dans un mortier.

Faire dorer l’échalote hachée à l’huile de palme dans une grande casserole et ajouter le piment. Placer la casserole sur une surface plane, y ajouter les pommes de terre cuites et les écraser (longuement) à l’aide d’un presse-purée, jusqu’à obtenir un mélange bien lisse. En absorbant l’huile, elles vont prendre une belle couleur jaune orangé.

Ajouter les haricots et continuer à écraser le tout prudemment jusqu’à ce qu’ils soient parfaitement incorporés à la purée. Goûter et ajouter du sel si nécessaire. Lisser la surface du plat, laisser refroidir un peu et servir.

  • Poisson au barbecue à la camerounaise

Pour 4 personnes

4 dorades royales de taille moyenne, 2 dl d’huile d’arachides, 5 piments rouges, 20 g de gingembre, 3 éclats d’ail, 30 graines de djansan (facultatif), 150 g d’oignons, 30 g de céleri, 150 g de tomates, quelques tiges de persil, poivre et sel.

À vos fourneaux

Nettoyer les poissons, les rincer et les sécher au papier essuie-tout. Hacher les légumes et les épices, les écraser au mortier et les faire dorer dans l’huile à feu doux dans une petite casserole pendant une vingtaine de minutes.

Parsemer les poissons de poivre et de sel, et les badigeonner d’huile des deux côtés. Les disposer sur la grille brûlante du barbecue et les laisser cuire sur les deux faces pendant une quinzaine de minutes, en les arrosant régulièrement du mélange d’huile et d’épices.

Disposer les poissons dans un plat ovale et garnir d’une tige de persil. Servir avec la sauce (à part), accompagné de riz ou de manioc.

  • Poulet dégé (directeur général)

Pour 4 personnes

1 poulet (d’environ 2 kg), 1 kg de bananes plantains, 70 cl d’huile de friture, 400 g de poivrons rouges et verts, 200 g d’oignons, 200 g de carottes, 150 g de poireaux, 50 g de gingembre, 100 g de céleri, 5 éclats d’ail, 20 cl d’eau, quelques tiges de persil, 1 bouquet garni, sel et poivre.

À vos fourneaux

Diviser le poulet en douze morceaux. Hacher finement les oignons, l’ail et le gingembre, et les réserver dans un bol.

Dans une grande casserole, disposer les morceaux de poulet et le mélange à base d’oignon. Saler et poivrer. Humecter de 20 cl d’eau. Ajouter le bouquet garni, les poivrons en lamelles, le céleri en morceaux et les carottes en rondelles. Mélanger le tout et laisser mijoter à feu doux pendant 15 à 20 min.

Peler les plantains et les couper en rondelles. Faire chauffer l’huile et y faire rissoler les bananes en rondelles par petites quantités. Egoutter et réserver.

Lorsque les morceaux de poulet sont cuits, les retirer de la casserole, les égoutter et les faire dorer brièvement à l’huile. Ajouter les rondelles de plantains, la garniture et le jus de cuisson, laisser cuire le tout ensemble pendant 5 min et servir chaud dans une assiette profonde ou un bol, parsemé de persil.

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