Sur les traces des origines du vin en Géorgie

© Karmen Ayvazyan
Bruno Vanspauwen Journaliste

Vins orange, en qvevri ou naturels: en Géorgie, ces produits font l’objet de traditions ancestrales. C’est en réalité ici que notre culture viticole a vu le jour, il y a huit mille ans.

«C’est dans le Caucase que les archéologues ont trouvé les traces les plus reculées de notre culture du vin, explique Ekaterina Gudzeva. Le plus ancien pays viticole est-il donc la Géorgie, ou notre voisin l’Arménie? Le débat fait rage, même si à l’époque, ces pays n’existaient pas.» Ekaterina Gudzeva est née en Géorgie et a émigré en Belgique avec son mari après la chute de l’Union soviétique et l’indépendance géorgienne qui a suivi. «Le pays traversait une période mouvementée, se souvient-elle. Les jeunes diplômés n’y voyaient pas d’avenir. Aujourd’hui encore, les nouvelles générations s’identifient à l’Occident et préféreraient voir leur pays dans l’Union européenne. Mais la Russie occupe deux régions du nord, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud.»

Le vigneron français Bastien Warskotte et son épouse géorgienne Nino ont fondé ensemble un domaine viticole. © Karmen Ayvazyan

L’amour pour sa patrie – deux fois plus grande que la Belgique mais comptant à peine 4 millions d’habitants – persistant, la Belge d’adoption a commencé à importer des vins de là-bas parallèlement à son travail d’interprète. Le millier de domaines viticoles géorgiens s’en tient aux cépages indigènes du pays, ce qui confère aux flacons un profil gustatif particulier. On compte plus de 500 cépages, mais seuls 30 sont encore utilisés pour produire des bouteilles. Et leurs noms ne diront rien à la plupart des amateurs de jus de treille: mtsvane, chinuri, khikhvi, tsolikouri, tsitska, shavkapito… Les plus répandus sont le rkatsiteli (blanc) et le saperavi (rouge). Nous avons voulu aller voir ces ceps prometteurs de plus près.

Naturellement naturel

Notre voyage commence à Tbilissi, la capitale, une ville contemporaine, ouverte et cosmopolite, avec un mélange d’architecture ottomane, est-européenne et arabe. Une fois la métropole derrière nous, le paysage change et nous traversons des villages aux routes mal entretenues, aux maisons à moitié terminées, aux étals délabrés où les habitants essaient de vendre n’importe quoi, parmi les chiens et les vaches errants.


Nous ne nous éloignons pas de Tbilissi pour l’instant, et roulons vers le nord jusqu’à Mtskheta, l’ancienne capitale. Nous y avons rendez-vous avec Iago Bitarishvili, que nous pourrions qualifier de vigneron naturel chez nous. Mais il n’utilise pas cette description. «Je ne sais pas comment faire du vin autrement que de manière naturelle», plaisante-t-il.

Zaza Kbilashvili fabrique des qvevri, l’équivalent géorgien des amphores. © Karmen Ayvazyan


Travailler sans produits chimiques ni additifs est monnaie courante pour de nombreux vignerons du coin, souvent pour une raison financière. «Mais cela ne signifie pas que nous avons moins de boulot, bien au contraire. Il est d’ailleurs plus facile de faire du vin industriel, car les additifs permettent de corriger beaucoup de défauts», insiste le spécialiste.


Les vins naturels sont souvent considérés comme des produits «où l’on laisse la nature suivre son cours». Il en résulte une contamination bactérienne, une petite touche de vinaigre, une oxydation ou une refermentation, ce qui confère au produit final des arômes et des saveurs désagréables et involontaires. Mais Iago est l’un de ces vignerons qui ne laissent rien au hasard, contrôlant méticuleusement le processus et faisant preuve d’une grande hygiène.

Ne dites pas amphore

Notre hôte est surnommé le «magicien du chinuri», un cépage blanc autochtone auquel il consacre tout son temps. Il en tire du vin blanc et du mousseux (un «pétillant naturel», pour lequel le breuvage est mis en bouteille sans avoir complètement fermenté afin qu’il achève plus tard sa transformation). Il produit également du «vin orange», un vin blanc fermenté avec la peau et les pépins comme le vin rouge, ce qui lui confère des arômes différents, plus de couleur et plus d’amertume qu’un blanc ordinaire. «Je sais que c’est à la mode chez vous, ajoute Iago. Mais ici, le «vin ambré», comme on l’appelle, est une tradition ancestrale.»

‘Si les vignobles sont établis aux bons endroits, il n’y a aucune raison pour que les vins géorgiens ne soient pas aussi bons que les français.’

Bastien Warskotte, vigneron

Comme presque partout ailleurs, on retrouve dans sa cave des amphores en argile cuite, enfouies dans le sol, où vieillissent les breuvages. Cette technique est d’ailleurs de plus en plus appréciée car elle permet de conserver un goût pur non affecté par les tanins et les traces vanillées du fût en chêne. «Nous travaillons ainsi depuis la nuit des temps, poursuit Iago. Mais les Géorgiens n’utilisent pas le terme «amphores», ils parlent de «qvevri»: «Amphore» est un terme grec, et nous étions en avance sur eux dans l’utilisation de l’argile cuite.»


Pourquoi un pays doté d’une histoire viticole aussi riche est-il si peu connu? Pour Ekaterina, «lorsque la Géorgie a été intégrée à l’Union soviétique, il y a un siècle, les vignobles ont été nationalisés selon la doctrine communiste. Les viticulteurs devaient apporter leurs raisins à une coopérative, qui les transformait en boisson anonyme. La quantité primait sur la qualité. A cela s’est ajoutée la privation économique, qui a entraîné le déclin de cette culture. Mais aujourd’hui, la tradition renaît de ses cendres».


Toujours à Mtskheta, nous rencontrons à notre grande surprise un vigneron de Champagne, qui a obtenu son diplôme d’œnologie en Bourgogne: Bastien Warskotte. En 2017, avec son épouse géorgienne Nino, il a créé son domaine Ori Marani. Il est convaincu de la tradition ainsi que du potentiel du vin géorgien: «Je n’aurais pas pu fonder ce domaine dans mon pays natal. Les terrains sont devenus beaucoup trop chers en France. Et si les vignobles sont établis aux bons endroits, il n’y a aucune raison pour que les vins géorgiens ne soient pas aussi bons que les français.» Compte tenu de ses origines, il n’est pas étonnant que la moitié de sa production soit constituée de vins mousseux. Pour ce faire, il utilise à la fois la méthode champenoise et la méthode pet’nat. Il produit même un vin mousseux ambré appelé Laora: l’un des meilleurs que nous ayons dégustés dans ce pays.

Un artisanat très demandé

Après un riche et copieux repas traditionnel au restaurant du domaine viticole Rtoni, magnifiquement situé en pleine nature, qui appartient à Keti Kvichidze et à son partenaire, viticulteur attitré des lieux, nous partons en direction de la région viticole de Kakheti, à l’est du pays. Nous y rencontrons Zaza Kbilashvili, un «maître du qvevri», qui pratique l’artisanat géorgien séculaire de la fabrication de ces récipients. Ses deux fils, qui représentent la quatrième génération, travaillent dans l’entreprise. «La fabrication d’un qvevri prend beaucoup de temps, précise-t-il. Il faut trois mois pour produire un exemplaire, plus un mois de séchage. En effet, on ne construit pas un modèle en une fois, il faut ajouter une dizaine de centimètres d’argile tous les deux ou trois jours. Et tout se fait à la main, sans outil.» Les qvevri sont ensuite enfournés dans le four à bois pendant sept jours – «Nous ne dormons alors presque plus, car nous devons veiller à ce que la température reste constante.»


La demande internationale augmente, mais Zaza ne peut produire que 30 exemplaires par an: «Il y a juste assez d’artisans spécialisés en Géorgie pour approvisionner nos propres vignerons. Les autres pays devront attendre un peu.»

Le sommelier du domaine Nekresi Estate dans la cave de maturation du vin mousseux. © Karmen Ayvazyan

Vignes sauvages

L’intérêt croissant pour le vin géorgien a aussi donné des idées aux entrepreneurs. Ils créent de grandes sociétés vinicoles où les vins sont élaborés dans le «style européen», comme on l’appelle ici. Par exemple, Chateau Mere – qui se double d’un hôtel-restaurant – a été fondé par trois hommes d’affaires locaux. Giorgi Kharubadze, quant à lui, est un businessman qui a repris les activités du domaine historique de Tsinandali, un grand château nationalisé appartenant à la dernière famille royale de Géorgie. Le domaine Nekresi, à Kvareli, a lui été fondé en 2015 par deux créatifs, qui en ont fait un projet écologique contemporain. Enfin, les monastères orthodoxes produisent également des vins à leur nom, comme celui du monastère d’Alaverdi, qui vaut la peine d’être visité pour son magnifique bâtiment du XIe siècle.


Nous clôturons notre périple de découverte dans le restaurant du musée de Lado Gudiashvili, l’un des peintres les plus importants de Géorgie. Ekaterina Gudzova nous y sert deux vins très spéciaux du vigneron Giorgi Natenadze, de la région méridionale de Meskhétie. Cet aventurier a cherché et trouvé des vignes centenaires qui poussent à l’état sauvage, parfois très haut dans les arbres. Il en résulte des vins d’une qualité spectaculaire, qui viennent compléter ce fascinant voyage dans le berceau du vin.

georgianqvevriwine.com

Le food sharing est une tradition ancestrale en Géorgie. © Karmen Ayvazyan

Aux fourneaux

Même lorsque la Géorgie faisait partie de l’Union soviétique, le pays était réputé pour sa culture culinaire. Les Géorgiens étaient appelés les Bourguignons de l’Est. La cuisine rappelle celle de la Grèce et de la Turquie, avec des touches du Moyen-Orient. Les saveurs sont bien spécifiques grâce à l’utilisation d’épices – le fenugrec bleu, la coriandre, le basilic pourpre et les piments –, de fleurs, de légumes fermentés et d’huiles de noix et de tournesol. Les plats géorgiens sanctifient le produit, en s’axant sur les végétaux. De nombreux mets sont disposés au centre de la table et partagés entre tous les convives: ici, le « food 
sharing » n’est pas une tendance, mais une tradition. Ensuite, un plat principal est souvent consommé individuellement. Avec toujours un point commun: des portions généreuses.

Manger à Tbilissi

Ninia’s Garden. Une cuisine traditionnelle raffinée et un beau jardin.
Poliphonia. Restaurant du vigneron John Wurdeman.
Keto & Kote. Un établissement inclus dans la liste World’s 50 Best Discovery.
Makashvilebtan. Une cuisine familiale dans une maison historique.
Otsy. Une cuisine raffinée basée sur la tradition géorgienne.
Barbarestan. Un établissement du World’s 50 Best Discovery proposant une cuisine franco-géorgienne.
Dadi Winebar. Une sélection de vins géorgiens et de petits plats exquis.

L’endroit le plus branché de Tbilissi: Fabrika, une auberge de style industriel avec un bar, un salon et une cour remplie de lieux de restauration. © Karmen Ayvazyan

Dormir à Tbilissi

Rooms et Stamba. Des adresses locales branchées, non loin l’une de l’autre, avec un excellent service.

Radisson. Une adresse internationale à la situation centrale. Vue panoramique des chambres et petit déjeuner délicieux.

Fabrika. Une auberge de jeunesse de style industriel avec un bar, un salon confortable et une cour avec de nombreux bars et lieux de restauration.

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