Serveur, un job « en attendant mieux »? Des vétérans de l’Horeca racontent leur passion
Travailler dans le secteur de l’Horeca est souvent vu comme une étape intermédiaire vers une « vraie » carrière… Pourtant, ce n’est pas le cas pour tout le monde. Alors que la qualité du service diminue en raison de la pénurie de personnel qualifié, les anciens sont les gardiens du métier. Et racontent ce qui n’est pas pour eux un simple job mais bien une vocation.
Jadis, on les retrouvait dans presque tous les restaurants ou brasseries. Des messieurs élégants vêtus de chemises blanches amidonnées et aux cheveux gris bien peignés, des dames aimables et expérimentées accueillant leurs clients avec la confiance acquise au gré des années, ou encore des chefs fougueux chez qui le passage du temps n’avait fait qu’exalter la passion du métier. Autant de professionnels de l’Horeca dotés d’une expertise, d’un savoir et d’un style considérables, qui veillent à ce qu’un établissement dégage une certaine sérénité et un certain charme. Du genre à connaître leurs clients mieux que leur propre famille, et à sublimer l’expérience d’une soirée au restaurant.
Mais aujourd’hui, ils semblent être une rareté, une relique d’une autre époque, une race en voie de disparition. Alors que la demande de personnel est plus forte que jamais dans la quasi-totalité du secteur de l’hôtellerie et de la restauration, nous sommes parti à la rencontre de quelques vétérans du métier. Car heureusement, ils existent encore, ces anciens de l’Horeca qui, malgré leur âge, continuent à contribuer passionnément à un secteur où les heures de travail sont longues et pénibles.
Chez Minerva, à Anvers
Fernand De Buck, 67 ans, travaille depuis 15 ans chez Minerva et a près de 50 ans d’expérience dans l’Horeca.
« À mon époque, l’hôtellerie était un secteur facile et bien rémunéré pour travailler pendant les vacances ou les week-ends. C’est ainsi que j’ai commencé : un cousin tenait le Parkhotel à Lokeren, et j’y ai débuté ma carrière. Dans les années qui ont suivi, j’ai travaillé ici et là pendant de longues périodes, notamment dans les restaurants De Potaarde à Rumst et De Rare Kat à Schilde. Lorsque ce dernier a fermé ses portes, des habitués m’ont parlé du restaurant Minerva, et le reste appartient à l’Histoire.
C’est sûr, je vais terminer ma carrière ici, mais je n’y pense pas pour l’instant. A la fin de ma semaine de travail, je ressens une certaine fatigue, mais c’est pareil pour tout le monde, non ? Mon tempérament actif me permet de tenir le rythme du métier, mais mon principal talent est de bien cerner les gens. C’est vraiment nécessaire pour offrir au client une expérience parfaite.
Quand je pense aux nouvelles générations qui arrivent dans l’Horeca, j’ai le cœur un peu serré. J’aime particulièrement travailler avec les jeunes, mais il n’est pas rare que je constate un manque de connaissances, de discipline et d’intérêt général. Ici, au restaurant, nous mettons l’accent sur le service classique en salle, comme la découpe de la viande et du poisson à table : pour la génération actuelle, il s’agit de quelque chose d’inédit. Grâce à ma longue expérience du métier, je pourrais le transmettre aux petits nouveaux, mais je n’ai pas la patience pour cela ».
Et ses employeurs Philip Yserbyt et Ann Feyens, de renchérir : « L’ADN de Minerva est le même depuis vingt-cinq ans. Nous servons une cuisine classique, avec l’accent sur le service à table. Il est donc particulièrement agréable pour nous de collaborer avec quelqu’un qui a de l’expérience, qui connaît les produits et le métier, des atouts que l’on trouve moins chez les jeunes générations. Beaucoup de nos habitués sont très attachés à Fernand. Pour nombre d’entre eux, la combinaison de son style fluide et de sa connaissance de leurs préférences et habitudes compte pour la moitié de leur attachement à notre établissement ».
Au Bristol, à Knokke-Heist
Geert De Vliegere, 54 ans, a 38 ans de maison au Bristol.
« Il y a des années, le Bristol était un hôtel où travaillaient ma mère et ma grand-mère. Il semblait donc presque évident que j’y postule pour mon premier emploi de vacances. Quasi immédiatement, j’ai attrapé le virus de l’hospitalité et j’ai décidé d’aller à l’école hôtelière.
J’ai effectué mon stage ici, puis j’ai travaillé brièvement dans d’autres établissements, mais je suis vite revenu « chez moi », au Bristol.
C’était il y a presque quarante ans, et j’ai toujours autant de plaisir à venir travailler. Bien sûr, au fil des ans, j’ai parfois pu être attiré par d’autres restaurants ou établissements Horeca, mais les liens que j’entretiens ici avec mes collègues, mes clients et mon employeur sont trop précieux pour moi.
Pour l’instant, l’aspect physique du métier n’est pas trop pénible et je n’envisage pas du tout d’arrêter. Je pense aussi qu’il faut avoir un certain type de personnalité pour faire ce travail. Je suis d’un naturel calme et rarement stressé, j’aime le contact avec les gens. Quand je vois des jeunes au travail, je suis toujours frappé par le fait que ces qualités se retrouvent beaucoup moinns chez eux ».
Au KingkongCoffee, à Hasselt
Avec son mari Marc Vandebroek, Gemma Leenen (56 ans) gère depuis 12 ans le bar à café le plus célèbre de Hasselt.
« Si vous m’aviez dit il y a 15 ans que je dirigerais ma propre entreprise de restauration avec mon mari, je vous aurais dit que vous étiez fou. Les avertissements de ma mère, qui a travaillé des années à son compte dans l’Horeca, m’ont longtemps empêchée de sauter le pas. Mais voilà : les voies de l’amour et de la vie sont impénétrables…
Après près de 20 ans, Marc en avait assez de son travail, et une période mouvementée au sein de son entreprise l’a convaincu de créer sa propre entreprise. À l’époque, il s’intéressait déjà beaucoup au café de spécialité et en faisant une petite étude de marché, il a constaté que les bars à expresso d’Anvers et de Malines connaissaient un franc succès.
Des recherches plus approfondies et une formation plus tard, KingKongCoffee ouvrait ses portes. Mon mari était à nouveau heureux, et moi, je continuais à travailler à La Poste. Du moins, durant un moment. Dès le premier jour, succès oblige, Marc a eu besoin d’un coup de main, mais embaucher du personnel était un pari financier risqué, donc j’ai rapidement mis la main à la pâte en dehors de mes heures de travail.
Des heures supplémentaires qui se sont rapidement accumulées, donc j’ai décidé de faire ce que je n’aurais jamais cru possible : quitter mon emploi régulier et rejoindre l’entreprise.
Les gens ne venaient plus seulement pour leur cappuccino ou leur lait chocolaté, mais aussi pour une discussion ou un conseil. Pour les jeunes générations en particulier, nous sommes parfois des parents de substitution ou une sorte de psychologue : cela donne énormément de satisfaction et d’énergie. Malgré notre âge, je pense que nous continuerons encore quelques années et nous pouvons remercier la pandémie pour cela.
Avant le COVID, nous travaillions cinq longues journées par semaine au café, auxquelles s’ajoutaient l’administration, les achats, l’entretien et d’autres tracas. Cela a commencé à nous peser de plus en plus lourd, ce qui nous a amenés à nous interroger sur notre avenir. En étant forcés par la pandémie d’appuyer sur le bouton « pause », nous avons pris conscience qu’il était possible de faire les choses différemment. Un rythme de quatre jours plus courts par semaine s’est imposé, ce qui nous a offert un second souffle. Je nous vois bien vieillir ensemble dans notre établissement, avec Marc derrière la machine à expresso et moi au service ».
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