Comment la nourriture est devenue l’ingrédient secret de chaque série à succès
Après le sexe, personnage principal de la plupart des séries cultes de ces dernières années, c’est pour la graille que la télévision s’emballe. L’ingrédient incontournable des séries à succès en 2024? La nourriture, à toutes les sauces.
The Bear. The Great British Bake-Off. Street Food. Chef’s Table. You Are What You Eat… Qu’il s’agisse de fiction, de téléréalité ou encore d’un documentaire, au menu de toutes les séries à succès du moment, le même ingrédient: la graille. Peu importe à quelle sauce les plateformes de streaming nous mangent, ce qui compte, visiblement, c’est qu’il y ait un maximum de gourmandise à l’écran. C’est officiel: après une vague de séries tournant de près ou de loin autour du sexe (Sex Education, Masters of Sex, Euphoria…) désormais, il ne s’agit plus tant de passer à la casserole que de passer à table. Et la tendance ne se limite pas au petit écran: il suffit de voir la proposition française aux Oscars 2024, La Passion de Dodin Bouffant, ode à une vision romantique de la gastronomie avec Benoît Magimel en irrésistible gourmet, et Juliette Binoche en cuisinière complice.
On l’aura compris, l’adage (délicieusement?) rétrograde qui veut que le chemin vers le coeur des hommes passe par l’estomac a été réactualisé version Netflix & co: le coeur des (télé)spectateurs s’atteint en leur chatouillant les papilles et en leur donnant faim. La « loi des séries » est visiblement régie par la nourriture, et le phénomène est tout sauf surprenant.
Partout, tout le temps
D’après une étude réalisée par le Salk Institute, qui rassemble une équipe de scientifiques pluridisciplinaires ayant pour but commun de « percer à jour les secrets de la vie », rien de moins, un tiers de notre cerveau serait exclusivement dédié à la vision. Concrètement, cela veut dire que des éléments visuels, ceux qu’on retrouve dans une série par exemple, nous permettent d’imaginer le goût et la texture d’un plat ou d’un aliment rien quand le regardant. Comprendre: quand on engloutit les épisodes de The Bear ou qu’on se passionne pour l’une ou l’autre compétition de cuisine, on ne regarde pas simplement un programme télé, on vit une expérience multisensorielle… Sans mâcher la moindre bouchée.
Pas étonnant, donc, que le « foodatainment » théorisé dès 1999 par Joanne Finkelstein semble avoir atteint son apogée. C’est qu’ainsi que la sociologue australienne l’explique, plus on voit de la nourriture dans la pop culture, plus on a envie d’en voir. Après tout, l’appétit vient en mangeant, et cela s’applique aussi à la graille par écran interposé: « en mettant la nourriture en scène dans les séries, on assoit sa valeur symbolique. Quand on l’utilise comme fil narratif, on renforce l’idée que la nourriture est partout, sans être banale pour autant. Elle incarne un discours, une allégorie du désir, un système social et un phénomène sociétal qui n’a plus rien à voir avec l’acte de se sustenter » explique Joanne Finkelstein.
Autrement dit: plus vous voyez des films et des séries où la nourriture joue un rôle central, plus cela vous conforte dans l’idée qu’il s’agit-là d’une thématique savoureuse, et plus vous avez envie d’en voir. C’est ainsi que de plus en plus souvent, le Top national de Netflix ressemble à un menu de restaurant, avec un docu food en entrée, une série en plat principal et en dessert, un concours de pâtisserie.
Nourriture en séries et autres illusions d’optique
Mais attention, il ne suffit pas simplement de filmer de la nourriture pour que la magie opère, au contraire. Rendre celle-ci photogénique relève même parfois plus du tour de magie que de la cuisine, ainsi que le sait toute bonne fourchette qui se respecte: ce n’est pas parce que c’est bon que c’est forcément beau aussi, et la photogénie est encore moins garantie.
On le sait, aussi appétissants soient-ils à l’écran, les plats préparés lors de compétitions culinaires sont souvent mangés froids par les membres du jury, qui doivent pourtant s’extasier face caméra. On le sait moins: la plupart des mets montrés dans les séries, aussi foodies soient-elles, sont tout sauf comestibles. La glace fond trop vite pour être filmée? Dans le meilleur des cas, elle est remplacée par de la purée de pommes de terre colorée, mais parfois, il s’agit d’un ersatz de pâte à modeler surmonté de mousse à raser en guise de chantilly. Les sauces brillantes et épaisses qui font saliver? Elles sont agrémentées de cire fondue, tandis que la plupart des gâteaux voient leurs couches séparées par des morceaux de carton pour un rendu plus photogénique.
Et ainsi que l’explique Courtney Storer, productrice culinaire de la série The Bear, pour produire un programme réaliste, il ne s’agit pas seulement de soigner les plats mais bien aussi la choréographie. C’est ainsi que dans la série acclamée de Disney +, « l’aspect physique est vraiment mis en évidence dans l’émission – le fait de transporter des choses, de charger les plateaux. Les ingrédients sont constamment rassemblés, constamment ramassés, constamment coupés en tranches… Il s’agit de montrer la redondance inhérente à la cuisine, indissociable du quotidien de tous les chefs ».
Graille, je vous aime: nos 10 séries coups de coeur
Un quotidien fait de travail physique, d’heures punitives et de niveaux de stress très élevés, ce qui n’empêche pas le grand public d’avoir une image glamour et sexy du métier, notamment grâce à tous les programmes qui y sont consacrés. À commencer par ces dix séries nourriture-centriques et alléchantes à souhait.
- The Bear, qui suit un jeune chef, Carmy, tandis qu’il se bat pour transformer une sandwicherie aux côtés de cuisiniers mal dégrossis (Disney +).
- Chef’s Table, un voyage à la rencontre de stars culinaires du monde entier qui redéfinissent la gastronomie avec des plats innovants et des desserts alléchants (Netflix).
- Street Food, une invitation à découvrir les saveurs uniques de la street food des États-Unis et d’ailleurs, ainsi que la diversité des personnes qui se consacrent corps et âme à leurs recettes (Netflix).
- Stanley Tucci: Searching for Italy, qui voit l’acteur et gourmet traverser l’Italie pour découvrir les secrets et les délices des cuisines régionales du pays (CNN).
- Julia, une fictionnalisation de la vie de Julia Child, célèbre cheffe américaine, qui a ouvert la voie aux émissions culinaires avec sa série au long cours The French Chef(Max).
- Bad Vegan, une série documentaire presqu’incroyable, et pourtant vraie, sur les traces d’une célèbre restauratrice végane qui voit sa vie échapper à tout contrôle après avoir épousé un homme mystérieux qui prétendait pouvoir rendre son chien immortel (Netflix).
- You Are What You Eat, où des jumeaux homozygotes modifient leur régime alimentaire et leur mode de vie pendant huit semaines dans le cadre d’une expérience scientifique unique destinée à étudier l’impact de certains aliments sur l’organisme (Netflix).
- The Great British Bake-Off, le plus feel good de tous les concours de pâtisserie, l’accent britannique exquis en prime (Netflix).
- Salt Fat Acid Heat, dans laquelle la cheffe Samin Nosrat parcourt le monde pour explorer les quatre clés de base d’une cuisine merveilleuse, tout en proposant des festins et des conseils utiles (Netflix).
- Ugly Delicious, où en quête des plus délicieuses tambouilles du monde, le chef étoilé David Chang entraîne ses amis dans un périple culinaire multiculturel (Netflix).
Et si ce bref tour d’horizon rappelle qu’il y en a pour tous les goûts, il ne faut pas pour autant imaginer qu’il n’y a qu’un pas du canapé à la cuisine. Laquelle se savoure de plus en plus de manière virtuelle: en effet, alors que le public des programmes dédiés à la nourriture ne fait qu’augmenter, la proportion de personnes qui cuisinent régulièrement à la maison est, elle, en diminution constante. Ce qui, paradoxalement, ne contribue qu’à augmenter encore la popularité des séries pour foodies. C’est en tout cas ce qu’affirme notre confrère du New York Times Michael Pollan, pour qui « la disparition rapide de la cuisine dans la vie de tous les jours nous rend nostalgiques des images, des odeurs et de la convivialité des fourneaux ».
En attendant d’ajouter une dimension supplémentaire à cette expérience sensorielle? Au sein de l’université britannique de Warwick, l’équipe du Professeur Alan Chalmers travaille actuellement à la mise au point d’un prototype capable de de prendre la composition aromatique de n’importe quel aliment et de la recréer sous forme liquide. L’omelette au Boursin de Sydney dans la saison 2 de The Bear vous fait saliver? Hop, vous programmez ses saveurs et vous vous en offrez une giclée. En voilà un scénario… surprenant. On n’arrête décidément pas plus le progrès que l’engouement pour les séries où la nourriture a un rôle de choix!
Et puisque vous avez faim de pop culture…
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