Du crookie aux versions salées plutôt osées, le croissant vit une surprenante renaissance
On l’avait crue menacée, reléguée par l’obsession du corps sculpté aux goûters de mamie, et pourtant, la pâtisserie est plus alléchante que jamais. La faute aux réseaux sociaux, vitrine idéale de créations toujours plus audacieuses, à l’image des versions parfois très surprenantes de croissant qui apparaissent ci et là.
Depuis sa création en 2022 par le boulanger-pâtissier parisien Stéphane Louvard, le crookie, ou croissant fourré à la pâte de cookie, connaît un succès international grâce aux réseaux sociaux. On en trouve désormais des déclinaisons dans les capitales les plus branchées de la planète. D’abord Paris, puis Bruxelles, New York, Tel Aviv et Singapour… Suite au buzz généré par la publication de deux vidéos, sur Instagram puis sur TikTok, Parisiens et touristes s’arrachent le crookie de la Maison Louvard, bistro-boulangerie du 9e arrondissement.
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L’hypercalorique gâteau est bientôt imité par des boulangers du monde entier passés maîtres dans l’art de mettre en scène leurs créations et leur marque en surfant sur les codes de réseaux qui encouragent la mise en scène de la consommation. En décembre 2022, premier buzz avec une vidéo du compte Instagram « Le guide ultime », spécialisé dans les restaurants parisiens, qui met en valeur cette recette.
« Ce n’était pas un produit phare mais quelque chose qui plaisait plutôt aux habitués », explique Stéphane Louvard dans l’atelier de sa boulangerie, entouré de ses employés occupés à étaler la pâte de cookie dans des croissants. « Et puis, suite à la vidéo, on s’est mis à vendre 150, 200 par jour ».
Un crookie dans une main, un smartphone dans l’autre
Le véritable tournant a lieu en février 2023, quand l’influenceur Johan Papz se met en scène sur TikTok en train de croquer dans la pâtisserie d’un air satisfait.
Dans les semaines qui suivent, la queue ne semble jamais diminuer devant la porte de la Maison Louvard. « On a vu arriver des centaines de personnes, la plupart des jeunes femmes d’entre 18 et 25 ans, smartphone à la main pour se prendre en photo avec », raconte Stéphane Louvard. La production passe entre 1.000 et 1.600 crookies par jour. « C’est quand même un peu du délire », remarque Stéphane Louvard. Pour faire face à l’explosion de la demande, l’artisan doit engager deux personnes supplémentaires.
Les imitations qui se multiplient et la presse internationale qui se presse dans ses cuisines, le boulanger s’en félicite, mais pas question de déposer un brevet: « Pour quoi faire, me retrouver en procès avec la moitié de la planète ? »
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Ce n’est pas la première fois qu’une pâtisserie cause de tels remous. La comparaison est régulièrement faite avec le cronut (mélange de croissant et de donut) de Dominique Ansel, pâtissier français installé à New York, qui avait poussé des New-Yorkais à dormir devant son établissement afin de s’en procurer en 2013.
Et en 2022, le New York roll, mélange de croissant et de bombolone (une pâtisserie italienne), cause l’une des plus grandes frénésies: les vidéos mettant en scène le gâteau cumulent rapidement des centaines de millions de vues sur TikTok, aiguisant les appétits des influenceurs en quête d’audience et de contenu.
Pâtisserie 2.0
Depuis les années 1990, les pâtissiers ont appris à tirer profit des nouveaux outils de communication. « Pierre Hermé a été le premier à proposer une autre pâtisserie, empruntant à la haute couture ses notions de collection, d’éditions limitées, avec une communication artistique », explique Nathalie Louisgrand, enseignante-chercheuse spécialisée dans la gastronomie française et ses évolutions à Grenoble Ecole de Management, dans l’est de la France.
Mais ce sont les réseaux sociaux, aux côtés de grands succès télévisés comme l’émission « Le meilleur pâtissier » (lancée en 2012 en France), qui ont favorisé cet intérêt pour ce pan de la gastronomie, longtemps demeuré mineur. « La pâtisserie se prête parfaitement à la communication par l’image qui prime sur les réseaux: on se régale d’avance des couleurs, on peut imaginer la texture, et ça a tant et si bien marché qu’on a fini par la retrouver partout sur le web », ajoute l’experte. Ainsi une vidéo du pâtissier Amaury Guichon faisant une démonstration de sa propre recette de crookie cumule quasiment neuf millions de vues sur TikTok depuis le 4 mars.
« Les stars de la pâtisserie maîtrisent désormais totalement ces codes », conclut Nathalie Louisgrand, citant les chefs Cyril Lignac ou Nina Métayer et surtout Cédric Grolet, « qui a parfaitement compris l’utilité des influenceurs, des images de foules qui se pressent pour déguster des créations rares, éphémères, comme un bouche-à-oreille géant ».
Votre croissant, avec ou sans escargots à l’ail ?
Plus c’est fou, plus ça plaît ? Un simple coup d’oeil aux alternatives salées suffit pour s’en convaincre. C’est que là où le crookie fait office d’hybride délicieusement barré, quand on passe du côté sodium de la force, tout est permis. Croissant transformé en sandwich, avec jambon, fromage et crudité entre deux délicats matelas de pâte feuilletée ? C’est tellement 2012.
Désormais, il faut voir grand, et surtout, surprenant, pour se grignoter une place dans l’espace surchargé du feed Instagram. Dont acte, donc: à Londres, à l’été 2024, la pâtisserie virale du moment est un « avocado croast », imaginé dans les cuisines du resto étoilé Pavyllon et qui, comme son nom le laisse supposer, marie plusieurs tendances food et fait d’un croissant passé au grill un toast à l’avocat 2.0 généreusement saupoudré de « shaved parmesan », autre incontournable du moment.
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Vous avez bof envie de guacamole ? Qu’à cela ne tienne, goûtez donc à l’hybride de croissant et de hot-dog imaginé par la développeuse de recettes Shannon Dowling pour le compte de Delish – une recette créée en l’honneur des JO de Paris, car rien ne dit plus « France » qu’un croissant, même si, il n’est pas certain que nos voisins au tempérament quelque peu grincheux apprécient de voir leur pâtisserie emblématique ainsi garnie de moutarde et d’une saucisse.
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Pourtant, à bien y réfléchir, c’est l’une d’entre eux, la cheffe Amandine Chaignot, qui a eu l’idée de mettre à la carte de son Café de Luce un croissant garni aux escargots à l’ail. Trop, c’est trop ? Si les puristes ne manqueront pas de crier au scandale, il ne s’agirait pas d’oublier que les escargots servis dans un ramequin surmonté d’une couche croustillante de pâte feuilletée sont depuis belle lurette une spécialité acclamée en Bourgogne. Or quel est l’ingrédient principal du croissant ? Mais oui, la pâte feuilletée pardi !
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Reste que parfois, à trop vouloir innover, on finit avec un résultat, si pas franchement indigeste, du moins, difficile à avaler pour les critiques. C’est ainsi qu’en 2023, une tentative batave de faire du « crompouce » une alternative locale au crookie s’était soldée par une hype initiale, suivie de pléthore de vidéos perplexes en ligne, le glaçage rose bonbon typique du Tom Pouce ayant en effet un rendu peu appétissant une fois transposé sur un croissant. Et ne nous lancez pas sur le « croissandel », bâtard du pain saucisse à base, vous l’aviez deviné, de pâte à croissant et de fricadelle.
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Vous nous direz: là où il y a de la gêne, il n’y a pas de plaisir, et on ne pourra qu’acquiescer.
Même si, en découvrant qu’il existe quelque part sur Internet une recette de « croissants mijotés à la sauce brune et à la viande hachée », on se dit que peut-être, le chef français Sylvain Claudius Goy, à qui on attribue en 1915 la paternité du croissant tel qu’on le connaît aujourd’hui, serait, comme nombre de parents avant lui, « pas fâché, juste déçu ».
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Article rédigé en partie sur base d’une dépêche AFP.
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