Chaque saison, notre journaliste-cuisinier Jorik Leemans traque la meilleure recette d’un classique du répertoire gourmand. Cette fois, il s’intéresse à la purée de pois chiches.
«Il n’y a rien de plus politique que la question de l’alimentation», prétend Anthony Bourdain. Le cuisinier et animateur de télévision américain est convaincu que partager un repas peut donner lieu à plus d’humanité. Lorsque, en 2013, dans le cadre de la série Parts Unknown, il rend visite à plusieurs familles palestiniennes à Gaza, l’idée est de «montrer des citoyens qui font des choses de tous les jours: cuisiner et profiter de repas, jouer avec leurs enfants, parler de leur vie, de leurs espoirs et de leurs rêves. Les gens ne sont pas des statistiques».
En 2014, l’action en ligne #hummusselfies a, elle, appelé à souligner, par le biais de cette purée de pois chiches, les ressemblances entre les peuples israélien et palestinien au lieu de se centrer sur ce qui les divise. Laila El-Haddad, activiste américano-palestinienne et autrice du livre de cuisine The Gaza Kitchen, a qualifié ce mouvement de «hummus kumbaya». «Ce n’est pas aussi simple que dire: «Nous aimons le houmous et vous aussi», s’exclame l’intéressée. Nous ne pouvons pas faire abstraction des problèmes centraux sous-jacents, soit les droits fondamentaux et l’égalité des peuples.»
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Vu les atrocités perpétrées à Gaza, il nous semble tout aussi indécent de chercher la meilleure recette de houmous. Pourtant, les paroles d’Anthony Bourdain contiennent un fond de vérité; elles sont un appel à l’humanité. En effet, «le houmous n’est pas juste un plat», a déclaré un jour le chef palestinien Sami Tamimi. Avec Yotam Ottolenghi, il a contribué à faire entrer la cuisine levantine en Europe de l’Ouest. «Le houmous est une expression de notre identité, de notre histoire et de notre lien avec le pays. Chaque bouchée conte une histoire sur les traditions culinaires séculaires et la vaste palette de saveurs qui caractérise le Moyen-Orient.»
Prendre le temps
Notre recherche commence par le livre de cuisine Jerusalem de Tamimi et Ottolenghi, un must-have pour tout bobo qui se respecte. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le houmous est tout sauf un dip préparé sur le pouce. Certes, le processus n’est pas compliqué, mais il demande un certain temps.
Après avoir laissé tremper les pois chiches secs pendant douze heures, nous les faisons cuire une demi-heure avec un peu de bicarbonate (pour accélérer leur cuisson), sur le conseil des chefs. Ensuite, nous les mixons avec du tahini, du jus de citron, de l’ail et un peu de sel. Après l’ajout d’eau glacée (qui permet d’obtenir une texture lisse), le houmous doit encore reposer une demi-heure de manière à se figer encore un peu. Le mets aime qu’on lui accorde du temps.
Pendant l’attente, nous nous plongeons dans l’histoire de cette préparation. Son origine est assez incertaine, on sait seulement qu’il a vu le jour dans le Levant, la région qui correspond aujourd’hui au territoire de la Syrie, du Liban, de la Palestine et d’Israël. Il doit son nom au mot arabe qui désigne le pois chiche. Vu la grandeur de l’Empire ottoman entre le XIVe et le XXe siècle, le houmous se serait également répandu jusqu’en Grèce, en Turquie et dans les Balkans.
Aujourd’hui, des chefs le déclinent à leur façon, avec des poivrons, des fèves, voire des betteraves rouges. Depuis quelque temps, les supermarchés ont compris l’intérêt d’en proposer une infinité de variantes prêtes à l’emploi. Le houmous a incontestablement conquis le monde.
Il n’y a pas d’ail qui vaille
La première recette écrite daterait du XIIIe siècle. Ainsi, un livre de cuisine syrien évoque le mélange à base de pois chiches, de tahini, d’huile d’olive, de vinaigre, d’épices et des plante aromatiques, le tout agrémenté de fruits secs, de graines et de citron confit. A noter qu’il n’y est fait aucune mention d’ail.
«L’ail n’a pas du tout sa place dans le houmous», souligne Yara Al Adib formellement. Il y a quelques années, cette Syrienne a fondé l’entreprise de catering From Syria with Love, qui consiste à inviter des femmes syriennes derrière les fourneaux. Le houmous figurait immanquablement sur la carte. «Les Belges en raffolent presque autant que nous, plaisante la fondatrice. Au restaurant, il est un des composants des mezzés, mais beaucoup de gens le choisissent seul parce que c’est un plat sain et savoureux à la fois. Quant à l’ail, il a un goût trop dominant à mes yeux.»
Comme le filet américain
«Je mets de l’ail dans mon houmous parce que c’est bon pour la santé, mais il est vrai que traditionnellement, il n’a pas sa place dans la recette classique.» Le chef Nehme Darwiche du restaurant gantois Beiruti compare l’importance du houmous dans la cuisine libanaise à celle d’un filet américain pour les Belges: «Chaque famille a sa recette préférée et en mange régulièrement.»
Chez lui, l’ingrédient secret est la pistache. «Mes grands-parents en étaient les plus grands importateurs à Beyrouth. Un jour, ma grand-mère était en train de préparer du houmous pour le repas de famille dominical et elle est tombée à court de pois chiches. Alors, elle a ajouté des pistaches. Mon grand-père lui a interdit de servir ce plat, car on ne badine pas avec la recette du houmous. Il a passé cette nuit-là sur le balcon, et le lendemain, le houmous de pistache trônait sur la table.» (rires) Dans son livre Goûtez la vraie cuisine libanaise, Nehme Darwiche en donne la recette, en plus d’une version classique.
Mais peu importe la variante, on se retrouve toutefois toujours avec une énorme quantité alors que le houmous ne se conserve que quatre ou cinq jours… «Les quantités ne nous semblent pas démesurées car nous ne le préparons pas seulement comme plat d’accompagnement ou comme dip pour l’apéritif, ajoute le chef en riant. Parfois il remplace le riz ou le pain ou il fait office de petit déjeuner et puis de lunch. Si je pouvais redessiner le drapeau du Liban, j’y représenterais à coup sûr le houmous.»
Nous décidons de réduire les quantités de moitié parce qu’un régime à base de houmous serait un peu too much. Et nous ne viendrions pas à bout de notre filet américain…
Haro sur les boîtes
Contrairement à ce que certains affirment sur la Toile, il n’est pas nécessaire de retirer la coque des pois chiches pour obtenir un résultat onctueux. Le chef Yezen Malouf le confirme: «C’est possible, mais personne n’a envie de faire ça, croyez-moi.» Ce trentenaire d’origine jordanienne gère le restaurant Pois Chiche situé en plein cœur de Bruxelles. Lui se positionne clairement sur un autre point. «Certaines recettes préconisent l’ajout d’huile d’olive. C’est étrange, car lorsque le houmous est réfrigéré, la texture en est modifiée. Le tahini apporte le côté crémeux, et il vaut mieux ajouter l’huile d’olive en dernière minute.»
De plus, c’est la qualité du tahini qui est déterminante pour le goût, souligne Yara Al Adib. «La seule manière de le savoir est de goûter. Au supermarché, il faut bien vérifier s’il comporte d’autres ingrédients que le sésame. Personnellement, ma préférence va à la marque Le Voilier, d’un Syrien établi à Bruxelles qui produit du tahini à base de sésame soudanais.» Sur ses conseils, nous ajoutons une pincée de cumin à notre préparation, pour obtenir un goût plus intense et pour limiter l’effet bourratif des pois chiches.
Et quid des légumes secs en boîte? Nous n’osons pas soulever la question, mais heureusement, Yezen Malouf l’aborde spontanément: «Je comprends que des gens y recourent chez eux pour gagner du temps.» Personnellement, nous trouvons que sur le plan gustatif, ils donnent un bon houmous, mais la texture est assez grumeleuse, même si on a réchauffé les pois chiches avant de les mixer. «Et si on n’a vraiment pas la patience, il y a toujours l’option «houmous prêt à l’emploi» au supermarché», plaisante le chef.
Toutefois, il est un point sur lequel les experts s’accordent: ce mets se déguste à plusieurs. «Avant, il n’y avait pas de Liban, de Palestine et d’Israël, avance Nehme Darwiche, mais un grand territoire peuplé de gens qui avaient beaucoup de points communs. Il est regrettable que les différences prennent le dessus sur les similitudes.» Ou pour reprendre les termes de Yezen Malouf: «Make hummus not war.»
Les faux pas à éviter
1. Vouloir utiliser trop d’ingrédients. Il est préférable de se limiter à une base simple et d’apporter une petite touche personnelle pour la finition.
2. Acheter du tahini de mauvaise qualité, car c’est une des saveurs essentielles. Les experts recommandent les marques Le Voilier, Al Arz et Souq.
3. Ajouter de l’huile d’olive dans le mixeur. Cela altère la texture du houmous lors de la réfrigération. Mais on peut en verser avant de servir.
Notre recette parfaite du houmous
Ingrédients pour environ 400 g
- 125 g de pois chiches secs
- ½ c à c de bicarbonate de soude
- 6 c à s de tahini
- le jus d’un demi-citron
- une pincée de cumin
- une c à c de sel
- 90 ml d’eau glacée
- huile d’olive
- une pincée de sumac
- une pincée de paprika en poudre
- quelques branches de persil plat
- pain pita
Préparation
Faire tremper les pois chiches secs une nuit (12 heures) dans environ trois fois leur volume d’eau. Le lendemain, les égoutter et les plonger dans une casserole d’eau. Ajouter le bicarbonate. Les laisser cuire environ trente minutes, jusqu’à ce qu’on puisse les écraser entre les doigts sans qu’ils ne se décomposent. Ecumer lors de la cuisson.
Egoutter les pois chiches cuits et les mettre dans un blender. Bien mélanger le tahini jusqu’à obtention d’une pâte lisse et en ajouter 6 c à s aux pois chiches, avec le jus de citron, le cumin et le sel.
Mixer le tout jusqu’à obtention d’une pâte lisse. Ensuite ajouter graduellement l’eau glacée jusqu’à obtention de la consistance souhaitée.
Déposer le houmous dans un plat et le couvrir de film fraîcheur, de manière à éviter la formation d’une petite croûte. Laisser le houmous reposer environ une demi-heure. La texture redeviendra un peu plus consistante.
A l’aide d’une cuillère, former un puits au centre du houmous et le remplir d’huile d’olive, d’un peu de paprika en poudre, de sumac et de persil plat fraîchement haché. Servir avec du pain pita.
Astuce: Vous êtes pressé? Dans ce cas, utilisez des pois chiches en boîte et portez-les brièvement à ébullition dans une casserole d’eau chaude. Attention: leur texture ne sera jamais aussi lisse que si vous les cuisez vous-même.