Vent nouveau sur Bordeaux

© Renaud Callebaut

Appellation redynamisée, chais redessinés, vignerons conscientisés… Le label Bordeaux a entrepris de redorer son blason. Dans la foulée, la ville tout entière se met à l’unisson de cette renaissance.

L’ insolente popularité des vins de Bordeaux à travers le monde – 720 millions de bouteilles vendues par an – n’a pas que des effets positifs. Depuis quelques années, de nombreux professionnels – sommeliers, importateurs… – suspectent l’appellation de s’être endormie sur ses lauriers. En Belgique, beaucoup d’amateurs stigmatisent, depuis plus de dix ans, un immobilisme peu séduisant. Le flacon de bordeaux est très souvent perçu comme l’immuable « bouteille à papa » qui a manqué le rendez-vous avec la vogue du vin nature et, partant, peine à renouveler son audience.

Tout cela est en train de changer. En témoigne, depuis 2009, l’opération Apéros Vintage, importée dans plusieurs grandes villes de l’Hexagone et même chez nous. But de cette manoeuvre initiée par le Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB) ? Montrer que le label aux soixante AOC n’a pas définitivement tourné le dos à l’époque. Le pitch ? Un afterwork décontracté, estampillé « Food, music & art » en 2013, qui prouve que le bordeaux « n’est plus uniquement synonyme de grands crus, de terroir et de tradition », mais qu’il s’agit aussi « de fruit, de plaisir, de partage et de convivialité ». Le tout boosté au moyen de sessions de formation accélérée – vingt minutes pour apprendre le b.a.-ba bordelais – et de bouteilles coups de coeur « disponibles sur le marché belge entre 4 et 20 euros ». Sans oublier une communication renforcée « Bordeaux, le vignoble au XXIe siècle » à coups d’applications pour smartphone (Bordeaux Wine Trip, Smart Bordeaux…) et de diffusion sur les réseaux sociaux. « Exit l’image un rien arrogante, Bordeaux change de peau », résume Benoît Trocard, formateur pour le CIVB.

Les grands crus aussi

Les grands crus classés qui représentent 3 % de l’appellation en volume – mais tellement plus en image ! – ont eux aussi apporté leur pierre à l’édifice. Inspirés par les modèles espagnols et italiens, plusieurs domaines prestigieux ont sollicité des signatures internationales – Herzog et de Meuron, Botta, Bofill, Foster, Wilmotte, Nouvel, Robbrecht & Daem, Pei, Pinto… – afin qu’elles subliment le terroir en un geste architectural unique. Les budgets ? Plutôt costauds : on parle d’une fourchette allant de 1,5 million d’euros pour les projets les plus modestes… jusqu’à 35 millions pour les plus mégalomanes. La vision ? Celle du vin comme produit de grand luxe en proie à toutes les spéculations.

A ce petit jeu, impossible de passer à côté de Cheval Blanc dont le chai sublime, propriété de Bernard Arnault et d’Albert Frère, se pose comme un modèle du genre. On le doit à l’architecte Christian de Portzamparc, premier Pritzker Prize français en 1994 et auteur de la très sculpturale tour LVMH à Manhattan. De loin, le volume se fond parfaitement dans le paysage. Coiffé d’un toit végétalisé, le lieu s’apparente à une dune, un jardin suspendu, voire une onde sensuelle troublant à peine l’horizon. A l’intérieur, la rigueur des lignes fait s’apparenter le lieu à un sanctuaire dans lequel chaque détail est pensé : parois moucharabieh pour faciliter la ventilation, cuves tronconiques en béton – au nombre de 52 pour respecter la sélection parcellaire – ou éclairage mesuré. L’ensemble de la construction fait valoir un certificat « haute qualité environnementale » plutôt atypique dans ce secteur d’activité.

Si Cheval Blanc a des allures de cathédrale, il ne faudrait pas passer pour autant à côté du Château Le Pin, modeste mais géniale chapelle portant la marque de l’architecte gantois Paul Robbrecht. Ce chai situé à Pomerol est la propriété d’un Belge éclairé, Jacques Thienpont, qui peut se targuer d’avoir fait entrer le « less is more » au sein d’un monde trop souvent marqué par la grandiloquence. « Simple et distinguée », comme aime à répéter le propriétaire à propos de cette construction tout en hauteur achevée en septembre 2011. L’architecte de la Whitechapel de Londres a imaginé là une oeuvre totale qui va comme un gant à ce domaine de 2 hectares dont la production ne dépasse pas 6 000 bouteilles par an. Le geste dont il s’est fendu mêle de subtils jeux de lumière, des éléments de mobilier dessinés sur mesure ainsi que quelques touches décoratives inattendues, à l’instar d’un âtre très particulier.

Preuve supplémentaire de l’effervescence qui s’est emparée de Bordeaux, Château Le Pin et surtout Cheval Blanc devront bientôt s’accommoder d’un voisin à la notoriété redorée. La Dominique, grand cru classé de Saint-Emilion vendu vingt fois moins cher que les bouteilles du tandem Arnault et Frère, entend bien rattraper son retard. Pour ce faire, le propriétaire, Clément Fayat, un Corrézien qui a fait fortune dans le bâtiment et les travaux publics, a sollicité Jean Nouvel pour qu’il imagine un « vaisseau futuriste ». Bardé de plaques d’Inox rouges, le futur chai reflétera le paysage à la manière d’un miroir inversé selon un procédé emprunté aux installations du plasticien Anish Kapoor. Ambitieux, le projet en cours – dont la fin de chantier est programmée pour début 2014 – n’a pas pour seul objectif de remettre à niveau le processus de vinification, il s’agit surtout de doter La Dominique d’une vitrine censée magnétiser les regards du monde entier.

Éco-conscience

Bonne nouvelle pour tous ceux qui ont encore dans les oreilles la fameuse phrase « dans le vignoble bordelais, il y a moins de vie microbiologique qu’au Sahara » que l’on doit aux spécialistes de l’étude des sols Claude et Lydia Bourguignon : sur ce terrain-là aussi, la situation change. Même si l’on est loin d’une concentration en vignerons nature telle qu’on la trouve en Loire ou en Beaujolais, Bordeaux revoit sa copie. Lentement mais sûrement. A l’instar de Sébastien Léglise, vigneron de 38 ans basé à Saint-Sulpice-de-Pommiers, dans l’Entre-deux-Mers. L’homme appartient à un groupe pilote qui s’est lancé dans le Projet SME (Système de Management Environnemental), une certification collective qui répond à la norme ISO 14001. Derrière cet intitulé barbare et bureaucratique, se cache une volonté de réduire l’impact de la viticulture sur l’environnement, qu’il s’agisse de pulvérisation, de bruit ou d’énergie. « Le Projet SME repose sur des éléments concrets comme le relevé des indicateurs d’énergie, la consommation de fuel ou d’électricité, mais également la mesure de la biodiversité, explique celui qui incarne une nouvelle génération du vin bordelais. Par exemple, nous déterminons les espèces précises d’abeille qui sont sur nos parcelles afin de pouvoir respecter au mieux le biotope sur lequel nous évoluons. Ce n’est pas facile de changer le paradigme agricole d’une région mais c’est nécessaire, et nous sommes sur la bonne voie… »

Descente en ville

Ce nouveau souffle qui se répand sur le monde du vin touche également Bordeaux, la ville. Autrefois froide et hautaine, la cité inscrite au Patrimoine mondial de l’UNESCO fait désormais valoir qualité de vie et décontraction. La sauce prend : entre 2003 et 2012, la fréquentation touristique a bondi de 57 %. Très emblématiques de ce renouveau, les quais de la Garonne. A l’instar de la convivialité d’une cité comme Valence qui a aménagé l’ancien lit de la rivière Turia, ce tracé est une aubaine pour les habitants qui y réinventent la mobilité urbaine à pied, à vélo ou en rollers.

L’agglomération est en pleine phase de changement avec plusieurs projets architecturaux importants qui sont sur le point d’en redessiner les courbes. Si le tout récent pont Jacques Chaban-Delmas rectifie avec brio la perspective sur le fleuve et la fluidité du trafic, d’autres édifices se font encore attendre. Ainsi d’un nouveau bâtiment pour accueillir les archives de la ville signé par le bureau belge Robbrecht & Daem, mais également de Darwin, un pôle d’économie créative, et de la très attendue Cité des Civilisations du Vin dont les lignes étranges s’inspireront d’un cep et du mouvement du liquide qui tourne dans un verre lors de la dégustation.

A côté de ces constructions imposantes, la perle d’Aquitaine donne également dans le cool. On en prend la mesure du côté du quartier des Chartrons, ancien périmètre des négociants qui a pris l’allure d’un village bobo. Parfait pour chiner ou flâner, l’enchevêtrement de rues, de ruelles et d’impasse, fait place à une douceur de vivre jalonnée de bars tranquilles et de livres que l’on fait circuler via des boîtes d’échange fixées sur les portes.

Les alentours des places Saint-Pierre et Lafargue, rendez-vous prisés de la jeunesse, sont tout aussi relax. C’est dans ces parages que l’on découvre le nouvel esprit viticole bordelais à travers des bars comme l’Oenolimit ou Vinset. Rock’n’roll, la première adresse prend place dans une ancienne fabrique à matelas. Imaginé par Olivier Raynaud et Mathieu Oudot, l’endroit permet de déguster à la fraîche une vingtaine de vins au verre qu’il convient de savourer en terrasse sur de longues tables conviviales. La seconde enseigne, quant à elle, prouve avec la cuvée Vinum Simplex du Château Maison Blanche que l’appellation connaît également les plaisirs sans soufre.

Mais Bordeaux, ce n’est pas que des lieux, c’est aussi de l’humain. Par exemple, Benjamin et Virginie Roques qui, avec La Cour Carrée, livrent un hôtel simple et de bon goût en phase avec le vent nouveau qui rafraîchit la ville. C’est également l’impertinent Bruno Oliver – de la dynastie du chef Raymond Oliver – qui propose le food truck le plus alléchant qu’il nous ait jamais été donné de tester. Au programme, des burgers inoubliables à base d’une viande charolaise hachée sur place et cuite à la graisse de canard ainsi que des buns au curcuma. Pas de doute, Bordeaux bouge bien !

Michel Verlinden

SE RENSEIGNER Office de Tourisme de Bordeaux, 12, cours du 30 juillet, à 33000 Bordeaux. Tél. : +33 5 56 00 66 00. www.bordeaux-tourisme.com

SE LOGER

Le Boutique Hôtel. Adresse plutôt chicos située dans une ancienne maison de maître. Cour intérieure, bar à vin, baignoires balnéo… 3, rue Lafaurie de Monbadon, à 33000 Bordeaux. Tél. : +33 5 56 48 80 40. www.hotelbordeauxcentre.com

La Cour Carrée. Hôtel simple mais joli à l’esprit très chambre d’hôtes. Bien situé et pas cher. 5, rue de Lurbe, à 33000 Bordeaux. Tél. : +33 5 57 35 00 00. www.lacourcarree.fr

BOIRE UN VERRE

Oenolimit. Un bar à vins 2.0 pour Bordeaux. 2, rue des Ayres (place Fernand Lafargue), à 33000 Bordeaux. Tél. : +33 5 57 88 34 19. www.loenolimit.com

Vinset. Très bonne adresse pour découvrir des vins de Bordeaux qui sortent des sentiers battus. 27, rue des Bahutiers, à 33000 Bordeaux. Tél. : +33 9 52 19 09 37. www.vinset.fr

Bar à vins du CIVB. Mise sur pied par le Conseil du Vin de Bordeaux, cette adresse n’est pas « commerciale » à proprement parler. Elle offre donc une vitrine assez unique sur l’appellation. Le tout dans un décor conçu par l’architecte Françoise Bousquet. 3, cours du 30 juillet, à 33075 Bordeaux. Tél. : +33 5 56 00 22 85.

SE RESTAURER

Une Cuisine en ville. Une cuisine d’auteur pratiquée par Philippe Lagraula, un chef qui a abandonné la course aux étoiles pour signer des plats qu’il parsème de fines touches exotiques. 77, rue du Palais Gallien, à 33000 Bordeaux. Tél. : +33 5 56 44 70 93. www.une-cuisine-en-ville.com

Vin Rue Neuve. Très bon restaurant, un peu cher, calé en matière d’accords mets-vins. 23, rue Neuve, à 33000 Bordeaux. Tél. : +33 5 56 43 17 49. www.levinrueneuve.com

Food Truck by Oliver. Il est vivement recommandé de suivre les déplacements de ce camion culinaire bordelais sur Facebook.

SE DIVERTIR

Ecole du Vin de Bordeaux. Cours du soir, stages intensifs, week-ends oenologiques : cette école est le bon plan pour tout savoir sur le vin. 3, cours du 30 juillet, à 33075 Bordeaux. Tél. : +33 5 56 00 22 85.

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