Pourquoi les fêtes sont-elles source de tant d’angoisses?
Le décompte avant les réveillons a commencé. Mais même si nous attendons toujours ces fêtes avec impatience, elles apportent aussi leur lot de déceptions. Parce qu’en période festive, viser la lune n’est pas toujours le meilleur moyen d’arriver aux étoiles… à part celle du sapin.
« Au Nouvel An, j’adore porter des paillettes, mais pour le reste, je trouve souvent que c’est décevant, regrette l’animatrice et humoriste Cécile Djunga. On organise un truc, on se réjouit, mais il faut bien l’avouer: ce n’est pas la meilleure fête de l’année. En plus, tout est plus cher ce soir-là. » Et d’ajouter que même si elle tient à marquer ce cap de la nouvelle année, ses « meilleurs réveillons » sont ceux qui n’étaient pas organisés, « quand on s’est retrouvés à quatre ou cinq à l’improviste chez l’un ou l’autre ». « Et puis, c’est hyper dangereux d’être en rue le 31. J’ai déjà failli deux fois me prendre une bouteille de vodka sur la tête », conclut-elle.
Le vrai décompte ne serait-il donc pas celui avant le matin du premier janvier et son retour à la normale? Pour de nombreux déçus des fêtes, la période festive apporte en effet au mieux du stress, au pire de l’angoisse et de la tristesse.
Pas super, comme cadeaux de Noël! Entre les retrouvailles avec des proches qu’on préférerait éviter, les repas trop copieux à répétition ou la pression pour trouver les présents parfaits, la période est quelquefois un rien stressante. Principale raison de cette angoisse ambiante? L’injonction au bonheur, omniprésente dans nos sociétés mais exacerbée quand décembre approche. « On veut nous faire croire qu’il y a toujours plus et mieux, et que si on n’arrive pas à être heureux, c’est qu’il y a quelque chose qui cloche chez nous. C’est incroyablement dévalorisant et culpabilisant, dénonce la psychologue Chloé Martin, pour qui ce sentiment atteint son apogée à l’approche de la fin d’année. Dès l’instant où on a une obligation à être heureux, on devient beaucoup plus sensible à tout ce qui vient perturber l’harmonie parfaite imaginée, donc on en vient à gâcher soi-même son plaisir. »
« Les meilleures fêtes sont souvent celles auxquelles on se rend en traînant les pieds parce qu’on aurait préféré rester chez soi »
Ignace Glorieux, sociologue
Anne-Sophie en sait quelque chose: cette jeune quadra l’avoue, elle s’est « saboté énormément de Noël ces dernières années ». Parce qu’elle n’acceptait pas que ses fêtes soient différentes de celles qu’elle avait idéalisées dans son enfance.
« Ma belle-famille vient d’un milieu socioculturel très différent de celui où j’ai grandi. Leur idée d’un réveillon réussi est donc très différente elle aussi. Comme de nombreux couples, on a accepté bon gré mal gré la fameuse tournante du 24 décembre: une année dans une famille, une année dans l’autre. Chez mes parents, il y a un sapin énorme, de la dinde, du champagne, des chants traditionnels et un feu ouvert. Dans la famille de mon conjoint, c’est pierrade et arbre en plastique. J’ai passé pas mal de soirées en petite forme, à regretter l’ambiance festive des Noël avec mes proches. Puis, j’ai compris que si ces moments dans ma belle-famille me pesaient tant, c’est avant tout parce que j’y allais avec des pieds de plomb, persuadée que ça allait être décevant. Et que je me faisais une petite check-list mentale de chaque moment qui confirmait mon ressenti. »
L’être et le paraître
« On vit dans une société du paraître, en déconnexion totale avec ses propres sentiments. C’est dû essentiellement aux réseaux sociaux, qui nous obligent à avoir l’air heureux en permanence et à montrer une image idéalisée. Les fêtes de fin d’année cristallisent cette nécessité de correspondre à une certaine image qu’on s’en fait, mais passer un bon moment ensemble ne veut pas dire que tout doit être parfait, tempère Chloé Martin. Finalement, c’est quoi une fête réussie? L’important, c’est d’avoir une vue plus générale, et de se dire que même si le repas n’était pas top ou que la compagnie était un peu moins bien que prévu, on a passé un bon moment dans l’ensemble. »
Pour ça, rien de tel que de s’offrir le cadeau ultime: se libérer des diktats. Et pas simplement celui de l’injonction au bonheur. « La période des fêtes est marquée par l’injonction à l’amendement et à la perfection », explique la psychologue Jennifer Moers, spécialisée dans la thérapie cognitivo-comportementale et le travail sur les pensées dysfonctionnelles au centre liégeois Psy Pluriel.
Elle cite diverses études qui ont démontré une tendance à être plus altruiste durant cette période, la propension à « adresser plus facilement un sourire à un inconnu ou se porter bénévole dans des oeuvres de charité. Un sentiment qui s’accompagne malheureusement d’une pression à être irréprochable dans le privé. Table parfaitement dressée, mets fins et rares, vêtements distingués, soirée d’exception… »
Une check-list que s’est longtemps imposée France, maman heureuse d’une famille nombreuse, avant qu’un bouleversement digne d’un film ne lui fasse changer de scénario. « J’ai toujours adoré cuisiner, et je me suis longtemps imposé des menus à rallonge, préparations complexes et ingrédients de prestige. Ça me demandait des jours de préparation, mais aussi un budget conséquent. Et mes proches, qui appréciaient les efforts, ne semblaient jamais prendre la mesure de mon travail. Ils attendaient juste d’avoir fini le repas pour pouvoir offrir les cadeaux. Il y a une dizaine d’années, la région où j’habite a été prise dans une tempête de neige le 24 décembre. Je suis arrivée en même temps que mes hôtes dans notre maison de campagne et j’ai dû remplacer in extremis mon menu gourmet par un repas bricolé dans l’urgence. Chacun a mis la main à la pâte. Cette exaltation d’être tous ensemble dans la cuisine à peler des légumes à tout va reste un de mes plus beaux souvenirs de Noël et m’a permis de comprendre que ce n’était pas le faste qui importait mais bien la qualité du temps passé ensemble. »
Outre ces injonctions qui pèsent sur nos épaules, il faut encore prendre en considération la pandémie, et cette nouvelle vague sévère qui nous arrive, puisque nos retrouvailles risquent, une fois de plus, d’être compromises cet hiver, ce qui ajoute une profondeur supplémentaire à l’effet délétère de la période sur la santé mentale. « Il faut intégrer la situation sanitaire aux difficultés habituelles qu’engendrent les fêtes, ce qui peut générer de l’inconfort parce que la pandémie bouscule les certitudes, avance Jennifer Moers. Est-ce qu’on pourra fêter Noël? Et si oui, à quelles conditions? Comment faire cohabiter vaccinés et non-vaccinés? Plus que jamais, ces moments provoquent des tensions. »
Face à ce constat, il serait donc judicieux pour nous préserver de prendre une bonne résolution et de changer notre approche. Mais ce n’est pas si simple…
S’affranchir des extrêmes
Ainsi que le souligne le sociologue Ignace Glorieux (VUB), « on idéalise énormément le Nouvel An parce qu’il est associé à l’idée d’un nouveau départ, une page blanche sur laquelle on espère corriger ce qu’on estime avoir raté au cours de l’année écoulée. Cette attente extrême génère de la déception. Les meilleures fêtes sont souvent celles auxquelles on se rend en traînant des pieds parce qu’on aurait préféré rester chez soi, puis quand on rentre, on réalise qu’on a passé une super soirée. Au contraire, si on s’était réjoui d’y aller, on serait peut-être rentré déçu. »
Un sentiment qu’a intégré Ani. Petite, sa mère lui a « inculqué malgré elle qu’il fallait s’interdire de penser que les choses vont bien se passer »: « Du coup, j’envisage toujours les pires scénarios pour être sûre de ne pas être déçue, un peu par superstition aussi. » Problème: « Cela crée des tensions dans mon couple, car mon mari a l’attitude inverse et est convaincu qu’il faut partir positif pour que les événements se passent au mieux. »
C’est peut-être dans l’équilibre de leurs deux approches que réside la clé de fêtes de fin d’année apaisées. « Si on anticipe tout en voulant atteindre un idéal, qui est, par définition, inatteignable, on va forcément être déçu. Si on anticipe le pire et qu’il se produit, c’est la double peine parce que non seulement la soirée n’aura pas été agréable, mais en plus, on l’aura ruminée pendant des jours ou des semaines avant. La clé, c’est de se laisser tranquille et d’avoir des attentes plus simples, résume Chloé Martin.
Ce qui n’empêche pas de se réjouir, mais c’est important de se demander de quoi on se réjouit: est-ce que c’est de passer un bon moment ou bien de vivre des fêtes imaginées où tout le monde est heureux tout le temps? On vit dans un monde clivé, il faut apprendre à s’affranchir des extrêmes: ce n’est pas parce qu’un moment n’est pas exceptionnel qu’il est nul pour autant. Il faut accepter la demi-mesure. »
Et aussi s’écouter, même si ce n’est pas évident. « Personne n’a jamais dit que vous étiez obligés de prendre tout le kit Noël et Nouvel An », rappelle Jennifer Moers, qui fait état de patients qui lui disent « se sentir forcés de fêter les deux et qui ressortent émotionnellement lessivés de ce marathon »: « Il est tout à fait possible de se questionner sur les aspects des fêtes qui déplaisent et de prendre ses distances. Vous pouvez décider de vous affranchir de ce qui ne vous ressemble pas et de vous créer une fin d’année sur mesure, avec laquelle vous serez en harmonie. »
Notamment, « en déculpabilisant de ne pas forcément partager l’engouement que ces jours festifs sont supposées susciter », conseille la psychologue liégeoise. Mais aussi et surtout en se rappelant dans la foulée « qu’il n’existe pas de bonne manière de célébrer les fêtes ». Offrez-vous donc le cadeau de trouver celle qui vous correspond.
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