A la découverte de La Grande Motte, cette mystérieuse cité d’or

La Grande Motte
La Cité Oasis - un Rêve Futuriste au bord de la Méditerranée © Charly Broyez & Laurent Kronental © Charly Broyez & Laurent Kronental

Il y a cinquante ans, sur les terres hostiles des marais de Camargue, un architecte audacieux, Jean Balladur, dessina La Grande-Motte et ses pyramides. Longtemps décriée pour son esthétique bétonnée, la cité des sables s’est progressivement muée en écrin de verdure.

Eden, Poséidon, Le Temple du Soleil, Capri, Bali… Autant de noms divins et de destinations idylliques qui baptisent les immeubles de la ville. Le décor est planté: nous ne sommes pas dans une cité traditionnelle. La Grande-Motte, c’est l’histoire d’un rêve exaucé: celui de bâtir une ville de toutes pièces à partir du néant, où chacun viendrait s’y ressourcer.

Mais comment attribuer une histoire à un tel lieu? Jean Balladur a répondu à ce défi par une architecture monumentale doublée d’une trame verte puissante, devenue iconique. Une cité végétale dotée d’un urbanisme solaire, oscillant entre souvenir d’un passé ancestral et utopie d’un futur fantasmé. Cette année 2024 célèbre un double anniversaire pour la cité: ses 50 ans et les 100 ans de son architecte-concepteur.

La Cité Oasis – un Rêve Futuriste au bord de la Méditerranée © Charly Broyez & Laurent Kronental © Charly Broyez & Laurent Kronental

Objectif: des vacances pour tous

A l’époque de sa construction dans les années 60-70, La Grande-Motte n’a pas bonne presse. Elle incarne la bétonnisation du littoral et les clichés du tourisme de masse. Edifiée durant les Trente Glorieuses, elle voit le jour dans le cadre de la mission Racine, de 1963, qui vise l’aménagement touristique du littoral du Languedoc-Roussillon. Initiée par le gouvernement Pompidou sous l’impulsion du général de Gaulle, cette mission joue un rôle clé dans l’essor du tourisme de masse destiné aux classes populaires.

Aux côtés de La Grande-Motte seront aménagées les stations de Port-Camargue, Le Cap d’Agde, Gruissan, Port Leucate, Port Barcarès et Saint-Cyprien. Des chantiers titanesques, qui entraînent la construction de nouveaux ports, routes et autoroutes, aéroports… Infesté de moustiques, le bord de mer local se voit assaini par des opérations d’assèchement, de démoustication et de désalinisation. Mais La Grande-Motte se distingue de ses voisines par sa création ex nihilo, à l’image de deux autres villes à l’époque: Brasilia, la capitale du Brésil construite par Oscar Niemeyer en 1960, et Chandigarh en Inde, édifiée par Le Corbusier, en 1966.

© Charly Broyez & Laurent Kronental

Un humaniste aux commandes

Après des études de philosophie et lettres en Khâgne à Paris, où il aura pour professeur Jean-Paul Sartre, Jean Balladur (1924-2002) se tourne vers l’architecture. Sa formation littéraire est un vecteur d’humanisme dans son œuvre, pensée autour de la place de l’homme dans la société. Il continuera à écrire tout au long de sa vie, principalement sur l’architecture et la ville. «Si j’étais Dieu, je me méfierais des architectes! Ils sont les instruments subversifs du projet secret de l’espèce humaine: reconstruire le Paradis perdu», écrivait-il au sujet de ce site français.
De 1963 à 1992, il est donc l’architecte et urbaniste en chef de la ville, son compositeur. Il subit les critiques de ses confrères et du public, qui la surnommeront «La Grande Moche» ou encore «Sarcelles-sur-Mer». En cause, l’usage massif du béton et les formes pyramidales, jugées trop décoratives et à l’encontre des principes de la modernité. Mais Balladur croit en son modèle, quitte à s’attirer les foudres de ses pairs. «Je cherchais à planter un décor heureux, c’est-à-dire libre du présent comme du passé. J’embrassais l’hérésie», confiait le créateur dans un entretien.

La Cité Oasis – un Rêve Futuriste au bord de la Méditerranée © Charly Broyez & Laurent Kronental © Charly Broyez & Laurent Kronental

Culte du soleil et du végétal

«La Grande-Motte est en quelque sorte un lieu saint. Les hommes et les femmes viennent y adorer le soleil», disait Jean Balladur. La région présente en effet deux atouts majeurs: un soleil quasi omniprésent, et la mer. Dans son programme, Balladur rend hommage aux éléments, tout en s’inspirant de divers modèles qu’il a visités: Brasilia en 1962, l’Egypte et le Mexique, plus spécialement les pyramides tronquées de Teotihuacan. Il s’inspire aussi des immeubles à gradins d’Henri Sauvage à Paris et on repère également les audaces architecturales de Le Corbusier et l’esthétique de Mies van der Rohe.

Evocatrices d’un passé ancestral, les pyramides apportent une histoire à la ville créée de toutes pièces. Si cette forme inédite et audacieuse suscite la critique, pour son initiateur, cette volumétrie évoque la dune, habillant en douceur l’horizontalité du littoral, contrairement aux immeubles-tours, trop radicaux. Elle offre des vues sur l’environnement maritime et montagneux, le Pic Saint-Loup et les Cévennes en toile de fond. Il les oriente de sorte que chaque appartement puisse bénéficier d’une terrasse ensoleillée et de la vue sur les flots, comble du luxe.
Pour compléter le bâti, l’architecte s’associe avec le paysagiste Pierre Pillet qui réalise un travail colossal: 36.000 arbres sont plantés, plaçant l’écologie au centre des préoccupations, une ville verte avant l’heure. Ce maillage protège les rues des agressions du sel et du vent. Mais il aura fallu des dizaines d’années pour jouir pleinement de cet aspect végétal, le temps pour les pins parasols, les tamaris, les lauriers, et autres essences d’arriver à leur apogée. A ce jour, aucune station du littoral européen n’offre une telle présence végétale.

© Charly Broyez & Laurent Kronental

Un art total, comme au cinéma

La diversité formelle des bâtiments atteste de l’inventivité sans marges de Jean Balladur. La variété des détails graphiques des balcons et des loggias – la modénature – crée un effet vibrant sur les façades, un exemple rare d’architecture cinétique, évoquant les tableaux de Vasarely. La pluralité des effets plastiques s’harmonise dans une grande homogénéité architecturale, qui donne son identité à l’endroit. Les multiples jeux de pleins et de vides, les larges allées piétonnes, l’attention portée au mobilier urbain, les nombreux îlots plantés et la voiture reléguée à l’arrière-plan, tout cela fait de La Grande-Motte un havre de paix, et une œuvre d’art totale.

La ville du soleil offre un décor de cinéma empli de symboles, de voyages et d’ésotérisme. Aujourd’hui, revival des années 60-70 oblige, les amateurs d’art de bâtir et de vintage se marient au public familial et populaire, faisant de La Grande-Motte une destination pour tous, comme son souhait originel.

La Cité Oasis – un Rêve Futuriste au bord de la Méditerranée © Charly Broyez & Laurent Kronental © Charly Broyez & Laurent Kronental

La Grande-Motte en bref

° Dates de construction: 1962 – 1983.
° Nombre d’habitants à l’année: 9.000. En saison: 100.000!
° Avec ses 10,6 km2, elle présente 7 km de côte.
° Elle est composée de 70% d’espaces verts et 30% d’espaces bâtis, en faisant la ville balnéaire la plus verte d’Europe.
° Plusieurs artistes ont complété la ville d’œuvres d’art monumentales, à l’instar de Michèle Goalard, Joséphine Chevry et Ilio Signori.
° En 1974, arrive l’indépendance de La Grande-Motte vis-à-vis de Mauguio, commune voisine. On convient de cette date comme naissance de la ville.
° En 2010, elle reçoit le label Patrimoine du XXe siècle.

lagrandemotte.com

Remerciements à l’Office du Tourisme de La Grande-Motte pour son accueil chaleureux et à Atout France et Eurostar pour le voyage.

Un livre pour aller plus loin

Entre 2019 et 2023, deux photographes parisiens ont capturé La Grande-Motte, valorisant son patrimoine architectural et son environnement paysager. Le résultat? Une série nommée La Cité Oasis qui s’apparente à un voyage poétique, à mi-chemin entre documentaire et fiction. Charly Broyez (1985) et Laurent Kronental (1987) partagent une passion commune pour l’art de bâtir, qu’ils illustrent à travers leur pratique. Un attrait qui les a menés jusqu’à la Camargue, à l’automne 2019. Durant quatre ans, ils sont revenus à différentes saisons pour capter l’essence de la cité. Travaillant uniquement à l’argentique, ils posent un regard nouveau sur ce lieu, avec des images à la chromatique douce et très onirique. «La ville apparaît telle une oasis sortie des sables. Nous avions la sensation d’un autre monde, d’une autre temporalité», témoignent-ils de concert.
La Cité Oasis, éditions sur la Crète, parution en juillet 2025. charly-broyez.net et laurentkronental.com

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