Eduardo Souto de Moura, architecte: « C’est dans les moments de crise que le changement apparaît »

© ID/ BRECHT VAN MAELE

Eduardo Souto de Moura (71 ans), lauréat du prix Pritzker en 2011, vit et travaille à Porto. Parmi ses projets figurent le stade de football de Braga, le crématorium de Courtrai et le centre des congrès de Bruges. Il sera l’invité de Lunch with an architect à Flagey, à Bruxelles, ce 10 octobre.

Architecture vs art

L’architecture n’est pas de l’art. Une sculpture ou une peinture peut se suffire à elle-même, tandis que l’architecture fournit un service et doit répondre à un besoin pratique ou à un problème. Sa réponse peut être si bonne que la communauté en vient ensuite à la considérer comme patrimoine culturel, et comme de l’art donc. C’est ce qui s’est passé, par exemple, avec la Villa La Roche de Le Corbusier à Paris. Mais cela n’a été possible que parce qu’il travaillait d’abord sur une maison. Un architecte qui veut faire de l’art n’obtiendra jamais un bon projet.

Les limites

Enfant, j’étais limité dans mes capacités. J’ai eu une enfance heureuse, avec beaucoup de stimuli intellectuels et culturels à la maison, et j’ai fréquenté une école italienne qui était beaucoup plus avant-gardiste que le régime politique en vigueur au Portugal à l’époque. Mais ce qui m’a aussi marqué, c’est que j’avais une faiblesse aux poumons, ce qui rendait impossibles les activités physiques intensives. Psychologiquement, cela a eu un impact énorme et a affecté ma confiance en moi. Mais cela m’a poussé à lire et à dessiner beaucoup, ce qui a contribué à mon parcours par la suite.

Le crématorium de Souto De Moura à Courtrai. Copyright : courtesy Lunch with an architect

Le maître

Je dois beaucoup à Álvaro Siza. J’ai travaillé avec cet architecte portugais pendant cinq ans, jusqu’à ce que je crée ma propre agence sur ses conseils en 1980. «Si tu travailles toute ta vie pour quelqu’un d’autre, tu ne seras jamais un véritable architecte», m’a-t-il dit à l’époque.

Aujourd’hui encore, il reste un exemple pour moi, plus pour l’homme qu’il est, ses valeurs, son éthique de travail et sa méthodologie que pour son architecture. Il travaille jour et nuit, n’est jamais satisfait et s’efforce toujours de rendre la réalité meilleure qu’elle ne l’est – une attitude à laquelle je m’identifie beaucoup.

« Il faut d’abord être en accord avec nous-mêmes
et savoir ce qui nous rend heureux.« 

La patience

L’architecture prend du temps. Il faut le temps de réfléchir, de formuler des solutions, de tester et d’ajuster. Malheureusement, ce temps n’est guère accordé aux architectes aujourd’hui: tout doit être fait de plus en plus vite. Les nouveaux matériaux, la technologie numérique et les techniques de construction ont leur valeur, mais l’idée qu’ils accélèrent et simplifient tout est absurde. Faire de la bonne architecture n’est pas une question d’outils, mais de faire les choses rigoureusement.

La conscience de la finitude

La finitude de la vie ne fait que m’encourager à travailler encore plus dur. J’ai fumé comme un fou, ce qui m’a fait perdre la moitié de mes poumons et, à un moment donné, le médecin me donnait encore seulement cinq mois à vivre. Pourtant, je n’ai jamais baissé les bras. J’ai pensé à ma famille et à toutes les choses que je voulais encore faire et, depuis, je suis encore plus enthousiaste et plein d’espoir. La réalité est ce qu’elle est et ma dépendance à un respirateur rend les longs voyages en avion impossibles. Mais ce n’est pas une raison pour ne pas en tirer le meilleur parti.

La Comédie de Souto De Moura à Clermont-Ferrand. Copyright : Mathieu Noël

La nourriture

Ce n’est pas la connaissance de la grammaire qui fait l’écrivain. Parfois, ce sont les déviations et les erreurs flagrantes qui font un chef-d’œuvre. Il en va de même pour un architecte. Tout commence par l’étude du métier en tant que tel, mais il est tout aussi important de se nourrir d’autres choses. Il faut voyager, goûter le plus possible à l’art, à la littérature, à la poésie, au cinéma et à la photographie, et être parmi les gens. Tout ce que vous absorbez ne se manifeste pas immédiatement, mais il enrichira votre travail avec le temps.

Le convention center de Bruges signé Souto De Moura. Copyright : courtesy Lunch with an architect

Innover

L’avenir exige une nouvelle approche, avec de nouvelles règles. Le monde est devenu si complexe et instable et la réalité change si vite que les valeurs, les solutions et les outils traditionnels des architectes sont de plus en plus inadéquats. Mais c’est aussi dans ces moments de désespoir et de crise que le changement apparaît et que nous prenons conscience de sa nécessité. Il suffit de regarder les développements autour de l’écologie. Jusqu’à récemment, on disait que les anciennes technologies étaient intrinsèquement mauvaises et nous ignorions les inconvénients des nouvelles technologies. Aujourd’hui, nous commençons à en parler de manière beaucoup plus nuancée.

Spinoza

L’une des choses les plus importantes dans la vie est d’être en harmonie avec son environnement. Mais pour y parvenir, il faut être un peu égoïste. Je ne suis qu’un architecte et non un philosophe comme Spinoza. Mais je suis d’accord avec son idée que tout commence par soi-même. Il faut d’abord être en accord avec nous-mêmes et savoir ce qui nous rend heureux. Ce n’est qu’ensuite que l’on peut faire preuve d’empathie, aider les autres et changer le monde.

L’inscription à la conférence d’Eduardo Souto de Moura se fait via lunchwithanarchitect.be

Lire aussi: « L’arbre, la meilleure machine climatique possible »: rencontre avec le paysagiste belge Bas Smets

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content