En direct de la Biennale d’architecture de Venise : un monde meilleur est possible
La Biennale d’architecture de Venise ouvre ce 20 mai et se penche sur l’avenir de notre planète. A grand renfort d’idées, d’utopies et de convictions affichées haut et fort, avec un focus important sur l’art de bâtir africain. La Belgique n’est pas en reste avec un pavillon national, signé Bento, qui questionne l’avenir du mycélium comme matériau de construction. On était à l’inauguration.
Ils sont jeunes, motivés, plein d’idées et surtout ils n’ont pas perdu leur optimisme face à un monde que beaucoup estiment perdu. Florian Mahieu, Corentin Dalon et Charles Palliez se sont connus à l’école d’architecture La Cambre à Bruxelles… Et aujourd’hui, ils sont là, dans le pavillon belge qu’ils ont imaginé pour la Biennale de Venise, fiers de présenter le travail qui les animent depuis plusieurs années déjà : l’expérimentation du mycélium (la partie végétative des champignons) comme matériau de construction alternatif.
Une alternative au béton parmi d’autres
Pour donner corps aux idées de leur collectif, nommé Bento, ils ont réalisé une structure en bois de la forêt de Soignes sur laquelle ils ont fixé 640 panneaux en mycélium ayant poussé dans les caves de Tour et Taxis. L’aspect est particulièrement réussi, on dirait de loin une pierre naturelle couleur sable. Mais lorsqu’on s’approche, on se rend compte de la texture organique.
« Nous nous sommes posés cette question : comment penser l’architecture dans un monde aux ressources finies ?, explique Corentin Dalon, alors que l’équipe sélectionnée par la Fédération Wallonie-Bruxelles fait visiter le pavillon en primeur. Nous ne disons pas que les champignons sont la solution à tout. L’idée est de proposer une alternative parmi d’autres au tout-au-béton qui règne dans l’architecture depuis des décennies. »
Des champignons qui communiquent
Et la team de se laisser aller à imaginer que le mycélium pourrait pousser progressivement le long d’une structure pour au final former un bâtiment. Ou encore qu’elle travaillerait dans un atelier d’architecture où les bureaux seraient en champignon et se régénéreraient lorsqu’on en enlèverait un bout… « Il faut rêver, c’est important », souligne Florian Mahieu pour conclure la présentation.
Pour aller encore plus loin dans la prospection, Bento s’est associé à la philosophe Vincianne Despret qui a co-rédigé un catalogue de l’expo sous forme d’une fiction en livre de poche.
« L’histoire commence ici, dans le pavillon, en 2023, et les fonges sont le personnage de cette fiction, raconte-t-elle. On a imaginé de toute pièce des archives sur les recherches qui pourraient être faites sur le sujet entre 2023 et 2050. C’est donc un mélange d’observation évidemment fakes mais basées sur des faits scientifiques. Progressivement, les chercheurs, dans cette fiction, vont se rendre compte que les champignons laissent des messages et communiquent… »
Algorithmes, réemploi et déplastification
Alors que la Biennale d’architecture ouvre ses portes, le propos de l’équipe belge, innovant mais pas utopique, fait clairement mouche auprès du public. Et surtout s’inscrit parfaitement dans la thématique de cette édition : « The laboratory of the future ».
La Biennale entend en effet cette année miser sur l’avenir en se demandant comment nous bâtirons un monde meilleur demain et comment enrayer le processus qui nous mène aujourd’hui vers une catastrophe annoncée. Les 64 pays présents proposent ainsi le fruit de leurs réflexions. Et cela part dans toutes les directions…
La Pologne se penche sur le règne des datas qui pourraient générer des espaces par algorithmes dans le futur… Mais avec quelles limites ? Les Etats-Unis dénoncent notre dépendance au plastique avec des œuvres d’art intrigantes. L’Allemagne, elle, focusse sur le réemploi en utilisant dans son pavillon les résidus de la Biennale d’art 2022 et les Pays nordiques mettent l’accent sur l’artisanat par une installation réalisée avec le peuple des Samis…
L’Afrique à l’avant-plan
Mais la Biennale est aussi l’occasion de nombreuses expositions proposées par divers « praticiens » – un terme que les organisateurs préfèrent à celui d’ »architecte », « urbaniste », « designer » ou même d’ « universitaire ». L’ensemble étant orchestré par une commissaire, la très engagée Lesley Lokko.
Le choix de la romancière et architecte ghanéenne et écossaise Lesley Lokko n’est pas anodin car cette Biennale 2023 donne plus que jamais la parole au continent africain, jusque-là plutôt délaissé dans le débat sur l’art de bâtir.
Lire aussi: L’Afrique, berceau de l’inventivité
Sur la moitié des 89 participants, plus de la moitié sont originaires d’Afrique ou de la diaspora africaine. Pour le président de la Biennale, Roberto Cicutto, le choix de cette curatrice a permis « d’écouter de l’intérieur les nombreuses voix qui viennent d’Afrique et de dialoguer avec le reste du monde, nous obligeant à abandonner l’image de ce continent et de ses habitants que nous avons perpétuée pendant des siècles, de l’Afrique vue plutôt comme un problème (migrants, pauvreté, faim, conflits…) ou simplement comme un pays qui a besoin d’aide».
Et de poursuivre : «Ce changement de perspective, alors que nous apprenons à connaître un continent qui est démographiquement le plus jeune de la planète et qui, pour de nombreux pays, est devenu un partenaire à part entière dans le cadre d’accords économiques concernant l’approvisionnement en énergie ou les investissements dans les infrastructures, comporte une révolution importante. »
Le Brésil et Sammy Baloji primés
Lors de la remise des Lions d’or et d’argent, qui récompensent les meilleures interventions de chaque édition, c’est le Pavillon du Brésil qui a reçu le titre de plus pertinent pavillon national avec son projet Terra(Earth). L’entièreté du sol et des présentoirs de l’espace d’exposition ont été réalisés avec de la terre, mettant le visiteur en lien direct et physique avec les terres indigènes et l’architecture locale brésilienne. Cocorico : parmi les autres titres décernés, dans l’exposition principale du Laboratory of the future, l’artiste belgo-congolais Sammy Baloji a remporté une mention spéciale pour son intervention Aequare avec la société de production Twenty Nine Studio. Au travers d’un film et d’une maquette, le créateur revisite le projet de Palais monumental du Congo imaginé par Henry Lacoste pour l’expo universelle de 1935. Et dénonce en filigrane les promesses de prospérité du passé colonial, face à la réalité du Congo d’aujourd’hui.
Plein de prétextes pour aller à Venise
Cette Biennale particulièrement novatrice et engagée est dès lors le parfait prétexte pour partir cet été faire un tour sur la lagune, d’autant que d’autres événements culturels de taille peuvent agrémenter également le trip. Que ce soit la nouvelle expo de la Fondation Prada, Everybody Talks About the Weather, la première grande rétrospective des chefs-d’œuvre issus des archives de Condé Nast, Chronorama, au Palazzo Grassi ou encore le nouvel accrochage de la Punta della Dogana, Icônes, reprenant des œuvres provenant de la Pinault Collection, invitant à une réflexion sur le thème de l’icône et du statut de l’image.
La Biennale d’architecture de Venise se tient à l’Arsenal et au parc du Giardini jusqu’au 26 novembre. Plus d’infos.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici