En images: une maison de Gaston Eysselinck, restaurée avec minutie
Vivre quatre ans dans un chantier, déchiffrer des plans, sacrifier un peu de son confort… Faire revivre l’âme d’une maison des années 30, sans trahir ses origines, relève du défi. Mais quand la passion pour la vision d’un architecte est aussi grande que celle de Joris et Gino pour Gaston Eysselinck, ça se passe en douceur.
Il y a presque vingt ans, une annonce d’agence immobilière tombe dans la boîte aux lettres de Joris Verdoodt et Gino Bulcke. Parmi les bâtiments en vente figure une exceptionnelle maison d’angle de 1939. A l’époque, le duo ne cherche pas spécialement à acheter un bien, mais le nom de l’architecte les interpelle et les deux hommes décident de visiter l’endroit. « Malgré le mauvais état général et quelques interventions malheureuses des deuxièmes propriétaires – comme un faux plafond, une cheminée en briques avec une poutre en chêne rustique dans le salon et une fenêtre murée au-dessus de l’escalier -, nous avons tout de suite eu le sentiment que c’était notre maison », se souvient Joris. C’est le coup de foudre.
Bonne nouvelle pour les futurs acquéreurs: le bâtiment de Gaston Eysselinck est repris à l’inventaire du Patrimoine immobilier. Il peut donc bénéficier de subsides du service de la Protection des Monuments de la Ville de Gand. Mais cette aide financière ne peut servir que pour une restauration, pas pour une rénovation. « Ça impliquait pas mal de contraintes pour nous, explique Joris. Mais ça insufflait aussi une autre dynamique, celle de respecter l’ouvrage tel qu’il était et non de le façonner à volonté. Dans la vision d’Eysselinck, la cuisine et la salle de bains devaient être très petites. On a dû s’y résigner. »
Finalement, seul le système électrique a été rénové avant le déménagement. Ensuite, Joris et Gino ont vécu quatre années sur un chantier. « Nous n’avions pas le budget pour louer un bien et en même temps rembourser le prêt. Et nous voulions consacrer nos moments libres à cette demeure. Il fallait isoler le toit, remplacer les châssis, réaménager la terrasse où le carrelage se fissurait… », énumère notre interlocuteur.
En bref Gaston Eysselinck
L’oeuvre de Gaston Eysselinck (1907-1953) est un des exemples les plus importants de l’architecture moderniste en Belgique.
Il a participé en 1930 aux Congrès Internationaux d’Architecture Moderne (CIAM) à Bruxelles et figure sur la fameuse photo de groupe aux côtés de Mies van der Rohe et du Corbusier.
Son mobilier est exemplaire en termes de fonctionnalité, de conception et de composition.
Il reçoit en 1937 le prix Van de Ven, la plus importante distinction en architecture en Belgique à l’époque.
Il croit en la faisabilité d’un avenir meilleur à l’aide de l’art de bâtir. La maîtrise du chaos par une organisation rationnelle est une des grandes ambitions que poursuivait ce concepteur.
Ses deux réalisations les plus célèbres sont le bâtiment P.T.T. (1946-1953, devenu aujourd’hui le centre culturel De Grote Post) et le grand magasin SOE (1949-1955, devenu le musée d’art Mu.ZEE), tous deux à Ostende.
Ordre et beauté
Les archives de l’architecte Gaston Eysselinck sont conservées au Design Museum de Gand. Le tandem y a trouvé le cahier des charges et les plans. Il a également visité toutes les maisons réalisées par l’architecte dans la ville. « Sur la base des caractéristiques typiques de son travail, nous avons pu voir comment il avait imaginé ce lieu, à l’origine, et nous avons pu respecter sa volonté. La cuisine à côté de la porte d’entrée est un des éléments importants, avec des détails intelligents comme la fenêtre pour rentrer les courses. Dans la petite armoire à côté, il y a une trappe pour les poubelles. Il ne faut donc pas traverser la maison avec les déchets. »
La plupart des habitants qu’ils ont rencontrés semblaient chérir leur habitation moderniste, de manières diverses toutefois. Certains avaient conservé le style mais opté pour une cuisine contemporaine. D’autres avaient radicalement modifié les choses, dans les pas des propriétaires successifs. « Ici, quasiment rien n’avait été changé de façon irréversible. C’est pour cela que nous avons éprouvé une sorte de responsabilité dans le fait d’agir en puristes », poursuit Joris. C’est surtout Gino qui s’est consacré aux détails techniques des finitions. « Selon le cahier des charges, les murs du hall devaient « être couverts de ciment à l’aspect rugueux jusqu’à la hauteur de la porte et en dessous être enduits de plâtre et peints selon l’échantillon ». Nous avons soigneusement restauré ces matériaux et ces couleurs, y compris la colle mate, réalisée selon la technique originelle. » Il n’y avait pas d’information sur la cuisine et Gino y est allé au scalpel pour mettre à nu toutes les couches de peinture de l’histoire de la maison, à la recherche de la première couleur. « Comme nous savions qu’Eysselinck était fan du Corbusier, nous nous sommes inspirés de la gamme du moderniste franco-suisse pour les chambres, qui étaient destinées à être tapissées. Nous avons ensuite prolongé partout la bande noire du hall, de la cuisine, de la salle de bains et des toilettes. »
Le souci du détail
Contrairement aux grandes lignes de l’habitation, l’ameublement n’est pas né d’une idée globale, même s’ils s’intéressent tous les deux aux meubles conçus par les architectes à cette période. « Nous n’avons pas cherché de manière obsessionnelle, mais nous étions attentifs. La plupart du temps on trouvait des choses chez des commerçants, ou parfois on nous filait des tuyaux. Grâce à la vigilance de ma soeur, nous avons eu la chance de mettre la main sur une paire de chaises rares d’Eysselinck. Elles ne sont pas très confortables, mais elles sont ici chez elles. » Les petits accessoires se sont accumulés au fil des ans. « Nous avons déniché dans des brocantes les roulettes pour les sangles en coton des volets roulants et les tiroirs en verre pour la cuisine », poursuivent les propriétaires.
Si c’était à refaire, le couple avoue qu’il serait aujourd’hui plus sûr de lui face aux entrepreneurs. « Les mettre tous d’accord a été un défi, raconte Joris. Heureusement l’autorité de la Protection des Monuments s’est avérée déterminante pendant les réunions de chantier. » L’unique concession qu’ils ont faite concerne les fenêtres. Mais ils la regrettent aujourd’hui: « Le fait de placer du double vitrage aminci a été une décision difficile. Nous avons dû, pour ça, rendre les profils des fenêtres plus profonds. A présent, quand nous entendons parler d’un simple vitrage isolant malgré tout, notre coeur saigne presque de ne pas avoir pu reproduire les baies à l’identique. »
Certes, Joris et Gino ont mis de côté en partie le confort pour arriver à leurs fins, mais leur amour pour l’architecture les a confortés dans leurs choix. Ils vivent et travaillent désormais dans une maison dotée d’une vision et d’une âme. « Si l’oeuvre d’Eysselinck suscite de l’intérêt, la conservation de celle-ci ne s’en portera que mieux, estiment-ils. Il n’y a pas que les bâtiments spectaculaires, des réalisations plus modestes comme celle-ci méritent aussi d’être traitées et habitées avec respect. Les propriétaires de maisons emblématiques devraient y réfléchir à deux fois avant d’en détruire la moitié parce qu’ils veulent une véranda. » Dont acte.
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