La maison Durieu à Molenbeek, rare témoignage de l’habitat bruxellois des années 50 signée Jacques Dupuis
Cette maison de Jacques Dupuis constitue un rare témoignage de l’habitat bruxellois des années 50. Parfaitement conservée, elle est toujours habitée par la fille des commanditaires qui témoigne de son quotidien dans cet écrin hors du temps.
Située à Molenbeek-Saint-Jean, la maison Durieu incarne la joie de vivre et la discrétion. Elle a été construite en 1954 pour un ingénieur industriel et sa femme enseignante, par l’une des plus grandes figures de l’architecture moderne belge d’après-guerre, Jacques Dupuis, et son associée Simone Hoa. Et dès l’entrée, l’endroit nous plonge au coeur des années 50, avec toutes les particularités de l’époque: les dalles en pierre bleue géométriques, les lignes obliques, les couleurs vives – principalement bleu et jaune -, les plantes tropicales et les luminaires en forme de diabolos. Pour peu, on pourrait voir surgir Don Draper de la série Mad Men.
Pour ce logement aux petites dimensions, l’architecte a su tirer parti de chaque mètre carré. L’alliance des matériaux – bois, béton, verre et métal -, associée à une recherche graphique singulière, expriment l’esthétique enjouée du style de l’Expo 58. Une longue parcelle de jardin s’étire à l’arrière, agrémentée d’une petite pièce d’eau en forme de haricot en contre-bas. « Il y avait un acer planté au milieu du jardin. C’est Jacques Dupuis qui l’avait donné à mes parents. Il avait pour habitude d’offrir cet arbre à ses clients », explique la propriétaire, qui n’est autre que la fille des premiers habitants et qui s’est réinstallée dans ce bâtiment, en 2007.
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Aujourd’hui, l’arbre a été remplacé mais le soleil et la glycine dessinent toujours un beau jeu d’ombres sur la façade arrière.
Poésie de l’angle ouvert
Le modernisme de Jacques Dupuis est moins radical que celui de Le Corbusier et des rationalistes. Le Belge réalisait des maisons-portraits, en respectant le caractère et l’identité de ses commanditaires. « Je me souviens de ce grand monsieur qui nous visitait souvent. C’était un ami de ma mère. Elle avait envie d’une maison moderne et colorée. Il l’a accompagnée et conseillée jusque dans le choix des meubles. »
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Pour répondre aux souhaits de sa cliente, l’architecte a dû changer ses habitudes de contraster le noir et le blanc et employer des couleurs vives et acides, à l’instar du bleu turquoise de la façade à rue, ou du jaune citron du living qui contraste avec la force du bleu pétrole de l’entrée. Cette palette de teintes, très présente, prend part à l’événement architectural et participe à l’atmosphère dynamique de la maison.
Autre particularité: l’ensemble ne présente presque aucun angle droit. Car ce concepteur privilégiait, dans chacun de ses projets, l’usage de l’angle ouvert. Celui-ci lui permettait de donner une impression d’espace beaucoup plus importante, d’adoucir les volumes des pièces et d’inviter les habitants à s’y lover. Grâce à cette géométrie, combinée à des tons marqués, le visiteur ressent une puissante impression de dynamisme. « Cette maison me régénère! Je suis toujours heureuse d’y rentrer, même après les vacances », confie la maîtresse des lieux.
Cette maison me régénère! Je suis toujours heureuse d’y rentrer.
Promenade architecturale
La construction repose sur une structure de poutres et de colonnes indépendantes en béton qui ont permis de mettre en place un plan libre – fluide et peu cloisonné -, cher à l’architecture moderniste. Les colonnes sont volontairement visibles dans les différentes pièces – celle de l’étage est même peinte en jaune! – et participent à l’aménagement intérieur et au rythme de la circulation.
Cette dernière, que Le Corbusier nommait « promenade architecturale », est également essentielle dans les réalisations de Jacques Dupuis. Dans cette maison Durieu, elle est particulièrement agréable, grâce aussi à la lumière qui traverse les espaces de part en part, au travers des grands châssis vitrés – « Des verres Glaverbel qui datent de 1954, comme on peut le lire dans la feuillure. »
Côté meubles, le living et la salle à manger nous plongent au coeur des fifties, puisque le mobilier et les objets de décoration ont été conservés ici depuis 1954! Ils présentent toutes les caractéristiques du design de l’époque, avec des lignes épurées combinant métal et bois. Les chaises métalliques, la banquette, l’enfilade et la table en teck sont de Cees Braakman pour Pastoe.
Les appliques « diabolo », la lampe Arco d’Achille Castiglioni, les tableaux, la radio, les luminaires et les étagères sont toujours en place. La cuisine est une plongée dans un magazine des fifties, avec les éléments préfabriqués Cubex, une création 100% belge par un autre architecte moderniste de notre pays, Louis Herman De Koninck, qui réalisa la première cuisine équipée d’Europe. Cet exemplaire est parfaitement conservé, du sol au plafond, jusqu’à la table à repasser rétractable. Dans le salon, la pièce maîtresse est sans nul doute le faux plafond en planchettes de pin d’Oregon. Il couvre la totalité du living et apporte beaucoup de chaleur à la pièce, avec ses découpes anguleuses et sensuelles, une vraie sculpture aérienne. Une maison témoin d’une époque optimiste grâce à une restauration minutieuse menée par sa propriétaire, qui conclut: « C’est une maison très agréable à vivre. Selon moi, on se sent plus jeune dans cette maison que dans une autre. »
EN BREF : Jacques Dupuis
Il est né à Quaregnon en 1914 et décédé à Mons en 1984.
C’était un architecte humaniste, talentueux et engagé. Mais son nom reste très confidentiel et son oeuvre, particulièrement originale et qualitative, est encore méconnue du public.
Il a réalisé des équipements collectifs, des écoles, des églises, des centres sociaux et une série de maisons unifamiliales à Bruxelles et en Wallonie.
Il dessina notamment l’église Sainte-Alène à Saint-Gilles (1941-1951) et la villa Le Parador à Woluwe-Saint-Pierre, pour son frère (1946).
Selon l’historien André Dartevelle, « son obsession de la blancheur, de la tension entre le blanc et le noir dans ses bâtiments, l’introduction de césures dans les rues laides et satisfaites, tout cela renvoie à sa conviction intime, à sa révolte ».
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