Le Bauhaus fête ses 100 ans, et l’extrême droite allemande en profite pour dénoncer sa « laideur accablante »

Pour l'AfD, l'architecture Bauhaus est d'une
Pour l'AfD, l'architecture Bauhaus est d'une "laideur affligeante" - Getty Images

À l’approche des festivités de 2025 pour le centenaire de l’école de Dessau, berceau du Bauhaus, la formation d’extrême droite allemande AfD a proposé au parlement régional de Saxe-Anhalt un « examen critique » plutôt qu’une « glorification simpliste de l’héritage du Bauhaus ».

Sur la photo d’archive, sept étudiants se bousculent sur un minuscule balcon carré, devant une façade austère: la cité universitaire de Dessau fondée en 1925 à une centaine de kilomètres au sud de Berlin par le mouvement « Bauhaus », est une révolution pour l’architecture de l’époque.

La simplicité du bâtiment, son côté pratique font alors son succès: les mêmes attributs invoqués aujourd’hui par le parti d’extrême droite AfD pour critiquer ce courant artistique allemand, à l’approche d’élections législatives organisées le 23 février. En deuxième position des sondages avec environ 20% d’intentions de vote, la formation anti-immigration et pro-russe s’aventure en général peu sur les questions culturelles.

Mais en octobre, à l’approche des festivités de 2025 pour le centenaire de l’école de Dessau, elle a proposé au parlement régional de Saxe-Anhalt un « examen critique » plutôt qu’une « glorification simpliste de l’héritage du Bauhaus ».

Style épuré, se voulant anti-bourgeois et fonctionnel plutôt qu’esthétique : les principes du Bauhaus, lancés au sortir de la Première guerre mondiale, ont infusé dans tous les domaines artistiques, du design à la peinture en passant par l’architecture, et lui ont valu le qualificatif d' »art dégénéré » sous le nazisme.

Une « laideur accablante »?

Pour l’AfD, le « péché » du Bauhaus est d’avoir propagé une « laideur accablante » en Allemagne, avec la construction massive d’immeubles gris en béton dans les villes d’ex-Allemagne de l’Est.

En effet, l’urbanisme promu par le régime communiste au pouvoir à partir de 1953 à l’Est a largement puisé dans ses préceptes pour construire ces « Plattenbau », grands immeubles en préfabriqués où la population pouvait se loger à bas prix. « Une vision d’horreur, une vie dans un espace restreint, pleine d’interdictions et de restrictions », a fustigé le député AfD Hans-Thomas Tillschneider au parlement de Saxe-Anhalt, la région où se situe Dessau.

Dans sa motion, le parti accuse aussi le Bauhaus de vouloir noyer les différences régionales dans une « esthétique universelle » et de porter « une idéologie proche du communisme ».

Pour le monde culturel, ce débat n’est pas sans rappeler la croisade des nazis à l’encontre du Bauhaus, interdit en 1933 par le régime.

En dénonçant la « folie de la modernité » dans sa motion, l’AfD reprend d’ailleurs à son compte une formule célèbre de l’architecte nazi Paul Schultze-Naumburg.

Une réflexion critique sur le mouvement? « Nous le voulons aussi et nous le faisons déjà », assure Barbara Steiner, directrice de la fondation Bauhaus de Dessau, logée dans l’ancienne cité universitaire.

Le visiteur y découvre l’histoire du Bauhaus, né en 1919 à Weimar avant de déménager à Dessau pour se soustraire à la pression des nazis, ainsi que ses expressions plus contemporaines, qui traitent par exemple du changement climatique.

Les arguments de l’AfD centrés sur l’esthétique, poursuit-elle, sont « absurdes » et ignorent tout du « progrès » qu’ont représenté les « Plattenbau » pour la population.

« Après guerre, les gens s’installaient dans les préfabriqués parce qu’ils avaient de l’eau chaude, un balcon, qu’il n’y avait pas de fuite dans le plafond », défend-elle.

La politologue Natascha Strobl doute que la critique de l’extrême droite trouve un relais dans la population car « personne n’est plus choqué par l’architecture Bauhaus ».

Mais, dit-elle, cela participe d’une « stratégie pour attirer l’attention » sans prendre de risque électoral car « l’AfD ne reçoit de toute façon pas de voix du milieu universitaire et culturel ».

Le passé trouble de « l’école du Bauhaus »

Depuis cette controverse, les visiteurs expriment davantage de curiosité pour l’histoire du mouvement, se réjouit Mme Steiner. Les représentants de l’AfD contactés par l’AFP ont décliné les demandes d’interview.

La fondation de Dessau, ville de 80.000 habitants, traite aussi de certaines ambiguïtés des tenants du Bauhaus sous le national-socialisme, un aspect longtemps éclipsé par ses représentants.

Si près de la moitié de ses 1.200 étudiants ont en effet quitté l’Allemagne après 1933, 200 se sont engagés dans le parti nazi : Fritz Ertl, 30 ans, a aidé à concevoir le camp de concentration d’Auschwitz; Herbert Bayer a croqué un « surhomme » aryen pour une affiche de propagande nazie.

« Le national-socialisme n’était pas uniquement synonyme de ringardise, de mode ancienne et de tradition » et s’est servi de la modernité de manière « stratégique », explique Anke Blümm, historienne de l’art spécialiste du Bauhaus.

Barbara Steiner milite pour le dialogue avec l’AfD, après des échanges décrits comme « constructifs » avec des cadres locaux. « Mais ils n’en resteront pas là », dit-elle, redoutant une nouvelle charge en septembre, au début des festivités du centenaire.

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