Mariam Kamara, entre bâti contemporain et traditions nigériennes

© SDP / ATELIER MASOMI
Antoine Moreno Journaliste

Mariam Kamara partage son temps entre le Niger et les Etats-Unis et revendique un modernisme ancré dans la culture et la tradition locales. A l’écart des modèles occidentaux, elle imagine des logements, des centres culturels ou des lieux de culte nourris par l’esprit des lieux. Rencontre depuis son atelier à Niamey.

Une pleine page dans le New York Times, des prix à foison, le soutien du grand architecte d’origine ghanéenne David Adjaye dans le cadre du mentorat Rolex, mais aussi des projets au Liberia, au Canada, aux Emirats et bien sûr dans son pays d’origine, le Niger, où se concentre pour le moment l’ensemble de ses réalisations… Le nom de Mariam Kamara, 42 ans, est sur toutes les lèvres. En 2014, après avoir étudié l’architecture à Washington et New York, elle fonde à Niamey, la capitale de son pays, sa propre agence, l’atelier Masomi, dans l’idée très claire d’allier modernité et architecture vernaculaire. Ses modèles se nomment Charles Correa (1930-2015) ou Balkrishna Doshi, 94 ans, deux architectes indiens adeptes d’un fonctionnalisme doux, relié à l’humain. Elle nous livre ici sa vision d’un art de bâtir loin des clichés de la discipline.

En 2016, vous êtes apparue sur la scène de l’architecture contemporaine en prônant l’utilisation de la terre crue. Cela reste une constante dans votre travail. Pour quelles raisons?

Cela a été un objectif dès le départ de mes études en architecture. J’ai passé beaucoup de temps à étudier ce matériau que l’on considère à tort comme pauvre. Pour moi, c’est un matériau aussi noble que le bois ou la pierre. En Afrique subsaharienne, nous nous sommes éloignés de cette tradition avec laquelle nous aurions intérêt à renouer, entre autres pour des raisons économiques car elle ferait tourner l’économie locale. C’est un matériau qui a aussi l’avantage d’être adapté à notre climat. L’utilisation à outrance du béton dans des pays comme les nôtres où il fait excessivement chaud est une aberration.

Le béton est pourtant omniprésent en Afrique…

Oui car le béton est lié à une esthétique qui elle-même est associée à une idée de modernité, de contemporanéité dont on a du mal à se défaire.

Quelles sont les limites à l’utilisation de la terre dans l’architecture?

Il ne s’agit pas de construire en argile comme il y a deux cents ans. Le matériau qu’on utilise est davantage façonné et il est aussi solide que le ciment. Maintenant il ne faut pas verser dans le dogmatisme. S’il s’agit de faire une tour de cinquante étages, il y a des matériaux qui s’imposent. Et la typologie d’un lieu est primordiale. Au Liberia, où nous avons actuellement un projet, nous sommes partis plutôt sur le bois car le pays dispose d’une des réserves les plus importantes et les plus qualitatives de la planète.

Retour à la tradition haoussa

« La nouvelle mosquée de Dandaji a été inspirée par celle de Zaria au Nigeria qui est une architecture traditionnelle haoussa du XVIIe siècle. La plupart des mosquées dans nos régions ressemblent à celles du Moyen-Orient et n’ont plus aucun rapport avec notre identité. Les dômes rendent hommage à ceux qui se trouvaient à l’intérieur de la mosquée originale que nous avons transformée en bibliothèque (située sur le même site). Dans le passé, ces dômes étaient faits de bois et de boue, et dans une conception contemporaine, nous avons utilisé à la fois une maçonnerie en BTC (briques de terre compressée), fabriquée avec de la latérite trouvée sur place, et du béton pour gagner en volume et en hauteur. A l’origine, on nous avait demandé de construire une mosquée pour recevoir 1 000 personnes, ce que je trouvais excessif pour un village de 3 000 habitants. On a donc réalisé une mosquée pour 750 fidèles dont 250 peuvent prier à l’extérieur des volumes. Aujourd’hui, elle est pleine à craquer. Les gens de tous les villages voisins font le chemin tous les vendredis, jour qui coïncide aussi avec le marché. »

Retour à la tradition haoussa
Retour à la tradition haoussa© SDP / JAMES WANG

Vous avez passé une partie de votre enfance à Agadez, en lisière du Sahara et du Sahel. Le centre historique de cette ville est connu pour son architecture séculaire en adobe. Quelle influence ce patrimoine a-t-il eue sur vous?

Il a été primordial. Je ne serais pas l’architecte que je suis aujourd’hui si je n’avais eu cette expérience qui a laissé en moi un souvenir émotionnel, je dirais même épidermique. Je me souviens du contraste entre la chaleur intense du désert et la fraîcheur que l’on trouvait à l’intérieur des maisons en terre. J’avais la sensation de pénétrer dans un havre de paix. Les habitations traditionnelles sont là depuis 400 ans, elles sont toujours habitées et elles tiennent le coup. J’ai également été marquée par les programmes scolaires qui étaient tournés vers l’histoire du Niger avec ses empires, ses royaumes et ses conquêtes. J’ai découvert en classe les peintures rupestres du massif de l’Aïr qui se situent au nord d’Agadez. Avec mes parents, nous nous sommes rendus par la suite sur ces sites archéologiques qui sont d’une richesse extraordinaire. Elles datent de l’époque néolithique. C’était une vision assez hallucinante pour l’enfant que j’étais. Je me suis rendu compte que je venais d’un endroit qui existe depuis tellement longtemps. Tout cela m’a aidée à avoir confiance en mon identité, à grandir sans complexe d’infériorité. Quand je suis partie étudier à 18 ans aux Etats-Unis, on ne pouvait pas me raconter que l’Afrique n’a pas d’histoire! (rires).

Vous insistez sur l’importance de la communauté dans votre travail. Qu’entendez-vous par là?

Je prévois toujours des workshops en amont des projets pour comprendre au mieux les attentes des gens ; je ne parle pas du client mais des personnes qui utiliseront le bâtiment. Ces séances de travail sont un outil qui m’aide à cerner, à élaborer puis à confirmer le programme architectural. Pour le futur Centre culturel de Niamey, nous avons organisé des tables rondes avec des créateurs de mode, de cinéastes, mais aussi des élèves du secondaire avec lesquels nous avons eu des discussions passionnantes sur l’éducation, l’accès aux livres, l’importance de l’écologie ou de la tradition. Je puise mon inspiration dans tous ces échanges pour prendre des directions. Je ne peux pas concevoir les choses en imaginant juste des formes. L’architecture, ce n’est pas de la sculpture.

Un parcours ludique

« Le village de Dandaji était intéressé par un projet de marché permanent pour ses habitants. Il s’agit d’une alternative aux anciennes structures en boue séchée qui requièrent beaucoup d’entretien… On a créé une succession d’étals en brique de terre et des structures d’ombrage individuel en métal recyclé qui compensent la difficulté de faire pousser des arbres dans la région. Les différents niveaux des disques favorisent une ventilation naturelle qui repousse l’air chaud vers le haut. Les auvents colorés forment un parcours et deviennent un élément ludique, entre autres pour les enfants du collège qui est situé juste de l’autre côté de la rue… Comme dans nos autres projets, nous avons aussi le souci de proposer des alternatives peu coûteuses en nous appuyant entre autres sur la main-d’oeuvre locale. Nous avions le budget pour 30 étals et nous avons été capables d’en fournir 52 pour le même montant. »

Un parcours ludique
Un parcours ludique© SDP / ATELIER MASOMI / MAURICE ASCANI

Vous avez récemment transformé une ancienne mosquée en bibliothèque. Comment ce projet en milieu rural a-t-il été reçu par les habitants?

Cela a été un gros challenge. Il y avait pas mal de résistance de la part des hommes d’un certain âge du village qui considéraient cette reconversion comme blasphématoire. De mon côté, je voulais leur démontrer que la connaissance fait partie des devoirs sacrés d’un bon musulman. Le Coran dit que les fidèles devront aller chercher la connaissance « jusqu’en Asie s’il le faut ». La discussion s’est faite sur ce terrain là. Il s’agissait de ne pas brusquer la population. Ensuite, le risque était que le lieu soit construit mais ne soit pas utilisé. La population locale a souvent tendance à dire ce que l’on a envie d’entendre. Il faut lire entre les lignes, c’est tout un art! Aujourd’hui, l’établissement scolaire du village a déménagé sa bibliothèque pour l’installer dans ce nouvel espace où sont organisées des séances de lecture quotidiennes. Cela suffit à donner une vraie vie au lieu.

Vous figurez dans l’anthologie Architecture by women publiée par Phaïdon. Quel sens a pour vous cette catégorisation?

Je ne me vois pas comme une femme architecte. Je ne me positionne pas par rapport à cette étiquette. Ce qui m’intéresse, c’est l’architecture en tant que telle. De la même manière, je ne me considère pas forcément comme une architecte africaine. Néanmoins il est très important d’avoir des exemples pour les générations à venir. Le fait de voir un architecte burkinabé comme Francis Kéré ou d’origine ghanéenne comme David Adjaye avec le succès qu’on leur connaît est la raison pour laquelle je me suis dit un jour que je pourrais faire ce métier. C’est en cela que la représentation est importante.

L’argument économique

« En 2016, nous avons initié, avec l’agence United4design, le programme Niamey2000. C’est un ensemble de dix habitations destinées aux classes moyennes qui manquent cruellement de logements dans la capitale, comme dans la plupart des grandes métropoles africaines. Le fait de construire en briques de terre crue n’était pas gagné. Il a fallu surmonter beaucoup de réticences et rassurer les gens, ce que je comprends parfaitement. Ce type d’habitat est réservé à une population pauvre qui n’est pas du tout valorisante aux yeux de la middle class. J’ai fini par comprendre que dans un pays comme le Niger, on ne peut pas vendre un projet de ce genre en parlant de développement durable. L’argument de vente était purement économique. La terre est un matériau que les gens finissent par adopter parce que cela a un sens financier pour eux, parce qu’il permet de baisser le coût de construction de 30%, d’alléger la facture énergétique à long terme grâce à des mécanismes de ventilation naturelle qui permettent de diminuer les températures internes du bâtiment. Il a fallu deux ans de discussion pour concrétiser le projet. »

L'argument économique
L’argument économique© SDP / UNITED4DESIGN

Tous les collaborateurs de votre agence sont d’origine africaine. Faut-il y voir un message?

Bien sûr. Les capacités à créer ne sont pas exclusives à une partie de la planète. Je n’ai pas eu besoin pour le moment de sortir du continent. Je ne veux pas dire non plus que je n’embaucherai que des Africains mais si les compétences et le savoir-faire sont là, pourquoi irais-je voir ailleurs?

Vous avez grandi au Niger mais vous avez été formée aux Etats-Unis où vous résidez et enseignez une partie de l’année. Comment cohabitent ces deux cultures en vous?

C’est assez complexe. C’est la raison pour laquelle je passe beaucoup de temps à discuter avec la population locale car je sais que je suis « teintée » par mon éducation occidentale (rires). Ce qui m’a aidée, c’est d’avoir abordé l’architecture à 30 ans plutôt qu’à 18. Je savais déjà très spécifiquement ce que je voulais faire. Je ramenais mes recherches universitaires à mon contexte afin d’explorer mon coin de la planète.

En bref

  • Mariam Kamara est née à Saint-Etienne et a déménagé, à l’âge de quelques mois, au Niger.
  • Elle est titulaire d’un Master of Science in Computer Science.
  • En 2013, elle a soutenu sa thèse d’architecture à l’université de Washington (USA).
  • En 2014, elle a fondé l’atelier Masomi à Niamey.
  • Elle a été sacrée lauréate du programme Rolex du mentorat artistique, en 2018.

Mariam Kamara, entre bâti contemporain et traditions nigériennes
© SDP / ATELIER MASOMI

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