Sobres en énergie et autonomes, les earthships, habitats idéals de demain

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Les earthships ont vu le jour dans le désert du Nouveau-Mexique, aux Etats-Unis, mais ils se sont depuis implantés aux quatre coins du monde. © EARTSHIP BIOTECTURE
Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Face aux crises climatique et énergétique, les earthships sont des modèles d’autonomie et de sobriété. Une autre façon d’habiter.

Imaginez une maison où l’on pourrait se passer d’énergie fossile pour avoir chaud en hiver et être rafraîchi en été. Une maison où l’on retirerait un maximum de bienfaits de l’eau de pluie. Une maison où il suffirait de faire quelques mètres pour s’approvisionner en fruits, herbes et légumes frais. Une maison qui offrirait en plus une réponse au traitement des déchets. Cette maison existe, et même en plusieurs exemplaires. Ces maisons, ce sont les earthships, littéralement les «vaisseaux de la terre», appelées géonefs en français.

Elles ont vu le jour dans les années 70 à Taos, en plein désert du Nouveau-Mexique, des rêves d’un architecte américain qui n’était plus en phase avec les valeurs de sa profession, et qui a décidé de s’y prendre autrement. Au fil d’un processus de construction expérimentale, il a amélioré avec son équipe les principes des earthships pour en faire des bâtiments autonomes, hors réseau et ultrarésilients. Des avantages particulièrement intéressants alors que la crise climatique se double actuellement d’une crise énergétique qui risque de durer.

En tee-shirt en novembre

«Nous avons découvert les earthships à Taos en 2014 et ça a vraiment été un coup de foudre. On était très impressionnés parce qu’on était en novembre et il faisait très froid, il neigeait la nuit, il devait faire -5, -6 °C dehors et nous, nous étions en tee-shirt à l’intérieur et on nous disait qu’il n’y avait pas de chauffage, se souvient Pauline Massart. Le fait d’avoir expérimenté cela physiquement nous a beaucoup marqués.»

Séduits par cette expérience, cette Belge originaire de Bruxelles et son conjoint français, Benjamin Adler, décident de se lancer dans l’aventure. «Alors qu’à ce moment-là, avoir une maison n’était pas du tout une priorité pour nous, on ne s’était pas projetés comme propriétaires. C’est quelque chose qui nous est tombé dessus. Les earthships correspondaient à nos valeurs. On n’était pas juste dans l’épuisement des ressources, mais plutôt dans quelque chose de vertueux, dans une vraie relation à l’habitat.»

Tout en longueur et semi-enterré comme il se doit: l’earthship de la famille de Pauline Massart, à Biras, en Dordogne.
Tout en longueur et semi-enterré comme il se doit: l’earthship de la famille de Pauline Massart, à Biras, en Dordogne. © KEVIN QUIDEAU

C’est à Biras, en Dordogne, que le couple a fait construire son earthship, en faisant appel à la société de Michael Reynolds, Earthship Biotecture. Le chantier a duré un mois, pendant l’été 2017. A l’époque, c’était la deuxième géonefs de France. Budget: 250 000 euros. «Il y avait 70 personnes à gérer quotidiennement sur le chantier. Logistiquement, c’était vraiment intense, se rappelle Pauline Massart. Mike Reynolds était là tout le temps, avec son équipe, et avec des étudiants anglophones et francophones venus apprendre les techniques.»

Cultiver des kiwis

Un des principes majeurs de la conception de ces volumes est de maximiser les ressources de la nature. Le bâtiment, semi-enterré et construit tout en longueur, tire pleinement profit de l’énergie du soleil, avec une orientation optimisée, des panneaux solaires installés sur le toit et reliés à des batteries, un chauffe-eau solaire, une façade avant entièrement vitrée et un couloir distribuant les différentes pièces qui fait aussi office de serre, avec un grand bac sur toute la longueur où l’on peut cultiver tomates, poivrons, concombres, bananes, agrumes, kiwis ou encore des herbes aromatiques. En été, la chaleur est emmagasinée dans le mur du fond, édifié avec des pneus usagés tassés de terre et empilés, et sera progressivement redistribuée en hiver, grâce à la masse thermique. Les pneus ne sont pas les seuls déchets à être recyclés dans un earthship: les murs intègrent également des canettes et des sections de bouteilles en verre, avec de surprenants effets de couleurs, à la manière de vitraux contemporains. L’eau de pluie est récoltée dans des citernes, filtrée et utilisée plusieurs fois avant d’être rejetée à l’extérieur de la maison dans une station de phytoépuration. Et quand il fait chaud, de l’air frais circule grâce à un système de puits canadien (l’air extérieur est refroidi en circulant dans le sol).

© PAULINE MASSART

Earthship-like

Bien sûr, une telle construction n’est pas possible partout. «Pour une maison semblable à la nôtre, de 150 m2, il faut au moins 1 000 m2 de terrain», précise Pauline Massart. «Parce qu’il faut décaisser 500 m2 pour placer les citernes et installer les puits canadiens à l’arrière. La pente du terrain n’est pas obligatoire mais c’est plus simple, car l’habitation va s’insérer dans cette pente, ce qui maximisera la masse thermique. Alors que sur un terrain plat, il faudra recouvrir de terre toute la partie arrière du logis.»

Par contre, le concept s’adapte aux différents climats et est loin d’être réservé aux Etats les plus méridionaux des USA ou au Sud de la France. Dans le village d’Olst, au centre des Pays-Pas, c’est tout un quartier qui a vu le jour. Vingt-trois maisons au total. Pas des earthships en tant que tels, puisque le terme est réservé aux constructions validées par Earthship Biotecture, mais des habitations «earthship-like», inspirées par les principes open source de Michael Reynolds. «En 2006, Paul, mon voisin, est parti en Suède participer à la construction d’un earthship qui devait servir d’hôtel, avec l’équipe de Michael Reynolds. Il est revenu de ce chantier avec des photos et des récits enthousiastes. Autour de lui s’est formé un groupe qui partageait le désir de faire la même chose ici, aux Pays-Bas», résume Mirjam Burema, membre de l’association Aardehuizen («maisons de terre»). Il aura fallu huit ans pour que le quartier voie le jour, certaines maisons disposant du fameux mur de pneus et d’autres ayant eu recours, pour accélérer le chantier, à la paille, bon isolant mais sans l’effet de masse thermique.

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Autre exemple proche et tout récent: l’Aërdschëff de Redange, au Grand-Duché du Luxembourg, à quelques minutes de la frontière belge. «C’est le seul earthship au monde dont un Etat est le propriétaire», précise Katy Fox, initiatrice du projet. Avec ses 300 m2 de superficie, l’Aërdschëff est en effet plus qu’une habitation, c’est un bâtiment d’utilité publique: on peut y dormir, y manger et s’y laver, mais il abrite surtout un centre de formation à l’économie circulaire et aux low-tech. Par rapport aux earthships construits par Reynolds, la construction de l’Aërdschëff s’est étendue sur une période beaucoup plus longue – de 2019 à 2022, la pandémie de Covid-19 ayant évidemment compliqué le processus – au cours de chantiers participatifs impliquant des jeunes.

Nous avons aussi réduit le plus possible la part de béton qui a une empreinte écologique problématique

«Nous avons aussi fait plusieurs adaptations, développe Katy Fox. Nous avons utilisé beaucoup plus de matériaux naturels, beaucoup d’argile par exemple, et différentes techniques d’étanchéisation sans plastique. Nous avons aussi réduit le plus possible la part de béton, qui a une empreinte écologique problématique, et nous avons utilisé une structure en bois.» L’Aërdschëff, qui peut accueillir jusqu’à 50 personnes par jour, sert aussi de test pour le Luxembourg. «Des capteurs vont mesurer la température intérieure et le taux d’humidité dans la colline à l’arrière, pour voir comment le bâtiment se comporte, ce qui fonctionne, ce qui ne fonctionne pas, ce qu’il faut améliorer. Ces données seront affichées sur un serveur et pourront être utilisées par l’Administration des bâtiments publics.»

Mike Reynolds a été présent pendant tout le chantier de l’earthship de Biras.
Mike Reynolds a été présent pendant tout le chantier de l’earthship de Biras. © PAULINE MASSART

Un pari sur l’avenir

Et en Belgique? Si pour l’instant aucune géonefs n’est sortie officiellement de terre au plat pays, c’est justement chez nous que le premier exemple européen aurait dû être édifié. Plus exactement à Boingt, en province de Liège, où Josephine Overeem, une Néerlandaise active dans la presse et installée dans notre pays, avait invité Michael Reynolds à construire une maison. Le permis ayant été refusé, le projet s’est réduit à un abri de jardin, au domicile de la maître d’œuvre, à Strombeek.

Sur trente ans, on économise à peu près 30% de l’investissement initial

«On parle souvent du problème des pneus comme principal obstacle, mais cela a déjà été fait à plusieurs reprises en Belgique dans des murs de soutènement. Je ne pense pas qu’il y ait une limite légale. Je crois que les gens ne sont tout simplement pas au courant que ça existe», affirme de son côté Tanguy Euben, du bureau d’études Pointzero, qui s’est formé à l’Académie Earthship Biotecture, a travaillé pendant plusieurs années aux quatre coins du monde avec l’équipe de Reynolds et accompagne aujourd’hui avec son épouse Laelia Nogueira une série de projets de ce type, principalement en France.

«En Région wallonne, il faudrait trouver des personnes qui ont suffisamment de terrain, qui ont cette vision écologique, qui ont entendu parler des earthships et qui auraient assez de budget pour en construire un, poursuit-il. Le problème, c’est qu’on a tendance à considérer cela comme une solution à bas prix parce qu’on utilise des matériaux de récupération. Mais un earthship va coûter au mètre carré le même prix qu’une maison conventionnelle. La différence, et le gros avantage, c’est qu’une fois qu’on est dedans, ce bâtiment génère très peu de coûts, le moins possible en termes énergétiques. On estime que sur trente ans, on économise à peu près 30% de l’investissement initial.»

A 77 ans, l’architecte Mike Reynolds met toujours la main à la pâte.
A 77 ans, l’architecte Mike Reynolds met toujours la main à la pâte. © EARTSHIP BIOTECTURE

Vivre autrement

Une fois construit, ce bâtiment entraîne peu de frais énergétiques, mais il transforme aussi la manière d’habiter. «Nous avons compris qu’on ne pouvait pas vivre ici de la même façon que dans une maison normale, conclut Pauline Massart. Parce qu’on est limité en énergie, on ne peut pas utiliser tous les appareils qu’on veut quand on veut. Cette maison nous a poussés à prendre d’autres habitudes. Par exemple, au lieu d’avoir une bouilloire électrique qu’on allume quinze fois par jour, on fait chauffer l’eau le matin et on la conserve dans un thermos. Ce sont des choses qu’on aurait pu faire avant, mais tant qu’on n’est pas forcé, c’est difficile de les mettre en place. Nous avons un four et un séchoir solaires et d’autres outils low-tech qui nous permettent de sortir de la dépendance. Et quand il n’y a pas de soleil, on sait se débrouiller, nous ne sommes pas du tout frustrés. Nous avons développé de nouveaux réflexes qui nous permettent une nouvelle liberté, parce que nous maîtrisons nos ressources.»

Plus qu’une maison, un art de vivre, une manière d’être au monde.

Pour en savoir plus, un livre: La Maison magique – Earthship, l’habitat autonome du nouveau monde, par Pauline Massart et Benjamin Adler, éditions Massot, 124 pages.

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