Visite de la maison épurée du dessinateur belge Kamagurka

La maison noue un dialogue avec le monde extérieur et mise beaucoup sur la transparence. Une partie vitrée a été prévue dans le sol de la terrasse à l'étage pour permettre à la lumière de pénétrer dans l'atelier qui se trouve en dessous. © Tim Van de Velde

Kamagurka affectionne les couleurs vives dans ses peintures et bandes dessinées. Mais à son domicile, ce sont les teintes sobres et la simplicité qui priment. Selon lui, les nuances qu’offre le blanc sont magnifiques.

Un étroit chemin privé serpente le long de portails et de hautes rangées d’arbres. Çà et là, on entraperçoit une habitation… Jusqu’à ce que le premier étage d’une villa capte vraiment notre attention. Trois grands tableaux y sont suspendus derrière une impressionnante succession de fenêtres. De toute évidence, ce ne sont pas les habitants qui en profitent, mais les passants. En journée, ces oeuvres colorées contrastent avec l’architecture sobre et les teintes de vert des alentours. Le soir, comme elles sont éclairées, elles attirent encore plus le regard. Bienvenue chez Luc Zeebroek, alias Kamagurka.

L'artiste s'installe souvent à la fenêtre de la cuisine pour dessiner.
L’artiste s’installe souvent à la fenêtre de la cuisine pour dessiner. « Je ne suis pas attaché à mon atelier. Je travaille à l’endroit où je me trouve au moment où j’en ai envie. »© Tim Van de Velde

1000 nuances de blanc

Lorsque l’auteur de bandes dessinées s’est lancé dans ce projet, avec sa femme, Kathy Van de Geuchte, il était à la recherche d’espace, de lumière et surtout de sérénité. C’est donc assez naturellement que le couple a frappé à la porte de Govaert-Vanhoutte Architects, le bureau brugeois étant connu pour sa conception sobre de l’architecture, caractérisée par de la transparence, de l’horizontalité et un sens pointu du détail. « Nous voulions une maison comportant suffisamment de place pour accueillir un atelier, explique Kathy. Pendant des années, Luc a loué un espace près de Gand. Il passait plus de trois heures sur la route. Des déplacements chronophages qui étaient un frein à sa créativité. Ici, il peut se saisir d’un crayon et d’un feutre à tout moment. » Le tandem désirait dès lors un logis où les parties professionnelle et privée s’imbriquaient. C’est pourquoi une porte coulissante dissimulée et une porte vitrée, rarement fermées, délimitent le grand et lumineux espace-atelier du living. « Cette pièce devait être baignée de lumière, de manière à ce que Kamagurka puisse travailler où bon lui semble », précise l’architecte, Benny Govaert. Mission accomplie puisque aujourd’hui, bien qu’il soit souvent à l’atelier, le maître des lieux s’installe aussi parfois à la fenêtre, dans le canapé ou sur la terrasse. « Je ressens très fort l’influence de mon environnement sur mon travail, explique ce dernier. Quand j’étais étudiant, je dessinais régulièrement dans le train. Le léger tremblement de la ligne conférait de la vitesse au trait. Un avantage du dessin est qu’on peut s’y adonner partout. La pointe de votre crayon doit toucher le papier, c’est la seule chose qui compte. »

La chaise orange de Le Corbusier est l'un des rares éléments de couleur dans cette habitation où le blanc et le gris dominent.
La chaise orange de Le Corbusier est l’un des rares éléments de couleur dans cette habitation où le blanc et le gris dominent.© Tim Van de Velde

Cette maison rompt toutefois avec l’image d’un artiste désordonné et chaotique. L’atelier est impeccable, le jardin est sobre et millimétré, les accessoires sont des pièces uniques. Seuls des tableaux colorés signés Kamagurka et quelques touches uniques et éparses – comme un buste de Cowboy Henk, la petite table en verre OEuf sur le plat (une création personnelle) et le fauteuil rouge Cassina Utrecht de Gerrit Rietveld – tranchent avec la sobriété. Ailleurs, les teintes se limitent essentiellement aux blanc, noir et gris, offrant un canevas sobre pour laisser libre cours à la créativité de l’habitant. Lui, ne voit toutefois pas les choses ainsi: « Le blanc comporte tant de couleurs. Il y a quelque temps, j’ai séjourné dans un appartement à la mer. Il ne comportait que des murs blancs. J’ai suivi, fasciné, la manière dont ce blanc changeait au fil des heures, et se teintait d’orangé, de jaune et de rose. Si vous peignez votre mur en bleu, par exemple, vous passez à côté de toutes ces magnifiques nuances. »

Les lignes sobres ont été minutieusement élaborées par Govaert-Vanhoutte Architects. Ici, la ligne du sol en béton se prolonge vers la terrasse pour aboutir le long du chemin du jardin.
Les lignes sobres ont été minutieusement élaborées par Govaert-Vanhoutte Architects. Ici, la ligne du sol en béton se prolonge vers la terrasse pour aboutir le long du chemin du jardin.© Tim Van de Velde

Sound of silence

Naturellement, le calme de l’endroit découle aussi de choix architecturaux. Avec pour slogan « less and nothing more », les architectes Govaert-Vanhoutte n’ont pas leur pareil pour créer des ambiances apaisantes. Ainsi, les différents volumes au coeur de la villa cachent les perturbateurs visuels tels qu’armoire à provisions, dressing et débarras, dissimulés derrière une réalisation sur mesure de Sistem et de SAAI Interieur. Le fait d’avoir opté pour une construction massive confère par ailleurs au bâtiment une grande inertie, et les murs, sols et plafonds régulent les variations de températures, ce qui donne un climat intérieur constant et agréable. Et bien entendu, la simplicité et les lignes sobres offrent un apaisement visuel. « Cette habitation est un puzzle de pièces en préfabriqué qui a demandé une réflexion intense, concède Benny Govaert. Le succès d’une création dépend fortement de la minutie apportée au moment de l’élaboration. Prenez par exemple la ligne du sol en béton. Elle se prolonge vers la terrasse pour aboutir le long du chemin du jardin. Ce genre de détail esthétique accentue le caractère de cette maison. » Le rez-de-chaussée s’ouvre ainsi entièrement sur le jardin, assurant une forte connexion avec le monde extérieur, et apportant une abondante luminosité.

Kamagurka

Luc Zeebroek (65 ans) vit à Wingene avec Kathy Van de Geuchte. Il a trois enfants.

Il a débuté sa carrière comme dessinateur artistique chez Humo et a publié dans de nombreux magazines et journaux, notamment en Belgique, aux Pays-Bas, en France et en Grande-Bretagne. Les personnages Bert en Bobje et Cowboy Henk l’ont également rendu célèbre.

Il collabore depuis des années avec Herr Seele, avec qui il se produit en Belgique et aux Pays-Bas.

Il expose aussi ses toiles dans des galeries et musées néerlandais, belges et allemands.

Govaert-Vanhoutte Architects

En 1989, Benny Govaert fonde, avec Damiaan Vanhoutte, le bureau d’architecture brugeois. Il compte aujourd’hui dix-sept collaborateurs.

Il mène essentiellement des projets résidentiels en Belgique et à l’étranger. De nombreuses entreprises se sont également déjà adressées à lui. Avec comme slogan  » less and nothing more « , le duo est connu pour le jeu de lignes, l’horizontalité et la transparence de ses projets.

Lauréats de nombreux prix, en 2007, ils ont figuré sur la liste des  » 101 of the world’s most exciting architects « .

Les vies privée et professionnelle s'imbriquent dans la tête de l'artiste Kamagurka mais aussi dans sa maison. D'ailleurs, la porte de l'atelier est rarement fermée.
Les vies privée et professionnelle s’imbriquent dans la tête de l’artiste Kamagurka mais aussi dans sa maison. D’ailleurs, la porte de l’atelier est rarement fermée.© Tim Van de Velde

Le silence est aussi particulièrement frappant. La maison est éloignée de la circulation, mais même le bruit ambiant est estompé. « La maison fonctionne un peu comme un sas, explique Kathy. C’est surprenant, mais surtout très agréable. Nous ne mettons presque jamais de musique. Apparemment, au bout d’un moment, on s’attache au silence. La nuit, je laisse la fenêtre ouverte, car j’aime entendre le bruissement des feuilles, le hululement d’un hibou ou une martre farfouillant dans le sol. » A l’arrière de la propriété, dans la partie sauvage, l’étang réniforme attire des insectes, des grenouilles et des canards. Les feuillus sont un mélange d’anciennes essences et de châtaigniers, de chênes et de hêtres plantés récemment. Au réveil, Kamagurka aime observer le graphisme de ces arbres. « Lorsqu’il fait brumeux, vous voyez un simple dessin en noir et blanc. Au printemps, vous obtenez un tableau avec plus de profondeur. »

La façade avant fait en partie office de galerie, où Kamagurka et son épouse Kathy exposent régulièrement d'autres oeuvres.
La façade avant fait en partie office de galerie, où Kamagurka et son épouse Kathy exposent régulièrement d’autres oeuvres. « Désormais, je ne dois plus jamais expliquer où j’habite. »© Tim Van de Velde

Cet été, cela fera trois ans que le couple vit ici. Il a troqué une ville animée contre la simplicité de la campagne. Mais, contrairement à ce qu’il pensait, la vie à Bruges ne lui manque pas du tout. L’effet de la maison sur la création de Kamagurka est énorme. « A présent, je travaille beaucoup plus, et surtout plus efficacement, confie-t-il. Une grande partie de mon travail naît de l’inaction momentanée à laquelle ce lieu invite. Ici, vous avez très vite l’impression d’être oisif, ce qui favorise la détente. Pour avoir de bonnes idées, il faut un genre de moment blanc. Et cette maison est mon moment blanc. »

Un buste du célèbre personnage de Kamagurka et Herr Seele, Cowboy Henk, d'après la bande dessinée éponyme parue dès le début des années 80 dans le journal De Morgen et plus tard dans Humo.
Un buste du célèbre personnage de Kamagurka et Herr Seele, Cowboy Henk, d’après la bande dessinée éponyme parue dès le début des années 80 dans le journal De Morgen et plus tard dans Humo.© Tim Van de Velde

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