Baloji, artiste protéiforme: « Ceux qui font un métier aussi fou que le nôtre pour être célèbres se trompent d’objectif »

© Getty Images
Kathleen Wuyard

Révélé avec le groupe Starflam au début des années 2000, le Liégeois Baloji n’a eu de cesse depuis d’explorer sa créativité. Rappeur, auteur-compositeur ou styliste, il a reçu un prix à la Biennale d’architecture de Venise et son premier long-métrage, Augure, était le seul film belge en compétition à Cannes cette année. Tout ça en attendant une expo au MoMu d’Anvers à la rentrée.

Le film

Cannes est très protocolaire. C’était ma première fois au festival, j’étais ravi, mais comme je n’ai pas suivi un parcours typique dans le cinéma, je ne le voyais pas comme un objectif de carrière. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, c’est avant tout un rendez-vous de cinéastes et pas du tout un truc glamour. Comme le film avait été sélectionné en janvier, on a eu le temps de digérer, faire tomber la pression avant de le montrer, même si c’était forcément un moment très émouvant car la majorité de l’équipe a découvert le film sur place.

La reconnaissance

La célébrité n’est ni un vecteur de qualité, ni une garantie de compétences. J’ai côtoyé plein de gens qui ont été très célèbres pendant un an ou deux puis qui ont disparu, d’autres qui ont bossé pendant vingt ans sans jamais atteindre la reconnaissance: c’est une mesure de talent erronée. Les personnes qui font un métier aussi fou que le nôtre pour être célèbres se sont trompées d’objectif: c’est un boulot hyper exigeant, qui demande de se dévouer à son projet à temps plein, donc ce qu’on célèbre, quand on est du milieu, c’est la reconnaissance du travail effectué plutôt que le fait d’être reconnu de tout le monde. Un prix à Cannes hors compétition officielle ressemble à un prix Albert-Londres dans le journalisme: une reconnaissance des initiés.

Le succès

Le métissage a des bons et des mauvais côtés. C’est un sujet sur lequel je ne veux pas m’étendre, parce que je ne veux pas passer pour quelqu’un qui épingle la Belgique, mais ayant vécu un temps sans papiers, mon identité belge sera toujours relative, surtout que j’ai reçu un ordre de quitter le territoire à 19 ans! Mon histoire personnelle est complexe et sinueuse, donc je ne prends pas une réussite comme une finalité et je ne compte pas m’arrêter là ou laisser le succès me distraire de l’essentiel, qui est de travailler.

L’inspiration

Plus on se pose de questions, moins on est créatif. Si on me demande de me décrire, ma réponse dépendra de mon interlocuteur. Mais en règle générale, je me considère comme un créatif. C’est un terme qui englobe les artistes protéiformes qui s’expriment dans plusieurs domaines. Finalement, tout part d’une idée, et c’est quand on essaie de cadrer le processus qu’on en perd le fil. Quand l’inspiration me vient, je vois dans quel médium elle va se développer: pour Augure, par exemple, j’avais envie de raconter une histoire d’une certaine manière, par le biais d’un film, en musique, et sous forme d’exposition mêlant photo et œuvres d’art.

« C’est important de réaliser qu’il est aussi possible d’exister sans être vu« 

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Une ville de cœur

J’aime Liège de tout mon cœur. Chaque fois que j’y suis, je trouve qu’il y a quelque chose d’assez exceptionnel qui s’y passe. Je vis à Gand, aujourd’hui, et je remarque la différence: à Liège, il y a un côté petite Italie qu’on ne retrouve pas dans d’autres endroits du pays.

Le rapport à la mode

Le vêtement est souvent ramené à un rôle figuratif, alors qu’il est tout sauf secondaire. J’aime expérimenter avec mes tenues, cela fait une vingtaine d’années que je m’intéresse à la mode et j’y entretiens un rapport très intuitif. J’ai porté une jupe à Cannes, je sais que ça n’a pas fait l’unanimité, mais le regard des autres ne me préoccupe pas du tout! Au début, dans la musique, on essaie de plaire, mais ce rapport de séduction t’éloigne très souvent de toi-même. J’ai la chance de ne pas du tout ressentir ce besoin de séduction, parce que le public est volatile: ceux qui vous aiment aujourd’hui ne vous aimeront peut-être plus demain, tandis que si vous restez fidèles à qui vous êtes dans votre travail, vos pairs le remarqueront. C’est important de réaliser qu’il est aussi possible d’exister sans être vu.

Questions de genre

La reproduction héréditaire n’est pas une fatalité. J’ai eu une relation compliquée avec mon père, mais je suis hyper proche de ma fille, et je suis persuadé que c’est faux de croire qu’on reproduit forcément ce qu’on a vécu, qu’on doit agir comme ses parents et que c’est une espèce de destinée à laquelle on ne peut pas échapper. Avoir une fille a fait de moi un homme plus ouvert aux questions de genre et aux obstacles que doivent affronter les femmes. Notre société est malheureusement construite autour d’un schéma patriarcal qui est au centre de tout, et c’est hyper important de le remettre en question.

La création

La créativité est un muscle, et plus on l’entraîne, plus il devient flexible. Je travaille minimum 8 à 12 heures par jour, cinq jours par semaine, mais je ne me vois pas comme un workaholic. Il y a un rapport assez jouissif avec la création: plus tu travailles, plus ça devient organique de travailler, plus tu attrapes des méthodes… C’est un énorme kif.

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