Accro au maquillage et/ou à la médecine esthétique? La faute à l’instinct, affirme un biologiste

accro au maquillage
Pourquoi on peut devenir accro au maquillage ou à la médecine esthétique - Getty Images

Avec The Blue Egg, le biologiste moléculaire danois Nicklas Brendborg signe un livre sur les raisons pour lesquelles les humains veulent toujours plus et mieux. Et en profite pour s’intéresser à la popularité du maquillage et des procédures cosmétiques visant à améliorer la beauté des femmes.

Des oiseaux comme l’étourneau et le rouge-gorge pondent des œufs bleus et les protègent au péril de leur vie. Mais lorsque les scientifiques les remplacent par des œufs en plastique plus gros et d’un bleu plus profond, les oiseaux abandonnent leurs propres œufs pour se jeter sur les faux. Les œufs de taille anormale sont appelés stimuli supernormaux ou superstimuli pour faire court. Il s’agit de versions exagérées de ce vers quoi l’animal est naturellement attiré: quelque chose de plus grand, de plus coloré ou de plus fort que ce que l’on trouve dans la nature.

En tant qu’êtres humains, nous tombons facilement sous le charme des superstimuli, tels que la crème glacée truffée de morceaux de caramel salé, les drogues ou encore le carrousel permanent de vidéos TikTok. Et selon Nicklas Brendborg, ce n’est pas un manque de volonté qui est à l’origine de ce phénomène. Les « coupables » sont nos instincts naturels – et les entrepreneurs astucieux qui ne sont que trop contents de les exploiter. Et cela s’applique également au domaine de l’apparence, ainsi que le révèle en avant-première ce chapitre de The Blue Egg, dont la publication est prévue début 2025 en anglais, mais que vous pouvez déjà vous procurer dans la langue de Vondel, où il est paru en avril dernier sous le titre de Gewoontedieren.

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« L’hirondelle rustique américaine est un oiseau de la taille d’un moineau. Son dos est bleu acier et les plumes de sa poitrine sont orange. Comme pour beaucoup d’autres oiseaux, les mâles sont plus colorés que les femelles. En effet, les femelles préfèrent s’accoupler avec les mâles au plumage bigarré. Chez l’hirondelle rustique américaine, les femelles s’intéressent surtout aux plumes de la poitrine des mâles. Celles-ci peuvent être orange clair ou d’une couleur très foncée tirant sur le rouge. Les femelles hirondelles rustiques préfèrent les mâles dont les plumes de poitrine sont les plus foncées, ce qui leur assure d’avoir le plus grand nombre de jeunes.

Cependant, cela ne signifie pas que les mâles à la poitrine claire sont condamnés à mourir seuls. Au contraire, même, puisque des chercheurs américains ont trouvé un moyen de leur donner un coup de pouce. Si les hirondelles rustiques mâles sont capturés et que leurs plumes de poitrine sont assombries à l’aide d’un marqueur bon marché, ils acquièrent rapidement un statut de Casanova : les femelles les recherchent, de sorte que les mâles colorés par le marqueur obtiennent davantage de descendants. Leur taux de testostérone augmente également.

Cela vous rappelle peut-être quelque chose de similaire chez l’être humain. En effet, nous utilisons nous aussi également des superstimuli pour nous rendre plus attirants.

À chacun ses canons de beauté

Attention, il est évidemment important de mentionner qu’il est plus difficile de trouver une formule pour l’apparence humaine que pour celle d’un oiseau. Les êtres humains sont des créatures culturelles ; ce qui veut dire que ce que nous trouvons beau n’est pas déterminé uniquement par notre biologie. Cette interprétation est aussi influencée par le monde qui nous entoure. Par exemple, dans de nombreuses cultures, les idéaux de beauté diffèrent de ceux que l’on retrouve en Occident aujourd’hui.

Chez les tribus Mursi et Surma d’Éthiopie, par exemple, les femmes étirent leurs lèvres inférieures avec des tablettes d’argile pour donner l’impression qu’il y a une assiette à l’intérieur. Cela pourrait peut-être donner des idées aux adeptes de la vaisselle Royal Copenhagen, mais il est peu probable que cette tendance soit reprise ici.

Un autre exemple est celui du peuple Kayan de Birmanie, où les femmes se mettent des anneaux autour du cou qui déforment leurs clavicules et donnent l’impression que leur nuque est anormalement longue. Et puis il y a le Japon ancien, où il était considéré comme séduisant de se teindre les dents en noir. Il ne fait donc aucun doute que notre culture influence ce que nous trouvons beau. Après tout, je ne pense pas que vous seriez très impressionné si votre partenaire se présentait avec des chicots noirs dans la bouche de nos jours…

Nature vs nurture

Même si les idéaux de genre sont déterminés par la culture et ont une longue histoire, cela ne signifie pas qu’ils ne peuvent pas être subordonnés à des superstimuli. En effet, on peut aussi créer ces derniers pour quelque chose d’appris. Nous le savons, entre autres, grâce au principe d’apprentissage appelé « peak shift ». Les psychologues et les neuroscientifiques ont ainsi constaté que lorsqu’un animal apprend un certain modèle, il peut avoir tendance à privilégier ses variantes exagérées.

Par exemple, les rats peuvent apprendre à distinguer les triangles des rectangles. Pour ce faire, il suffit de leur montrer un exemple de chaque forme côte à côte avec un bouton sous les images. Si le rat appuie sur le bouton du rectangle, il reçoit une récompense. Un nouveau triangle et un nouveau rectangle sont ensuite montrés. Le rat se rend vite compte que les rectangles sont suivis d’une récompense et il les choisit donc à chaque fois.

Ensuite, vous pouvez provoquer une réaction encore plus forte chez le rat en passant à des rectangles exagérés, c’est-à-dire des rectangles qui s’écartent encore plus du triangle que les rectangles que le rat a vus au cours de son entraînement jusqu’à présent. Par exemple, il peut s’agir de rectangles beaucoup plus longs que la normale. Cela indique donc que le rat a appris « rectangle = bon » et qu’il conclut donc lui-même « super rectangle = super bon ».

Nous ne savons pas exactement pourquoi les rats font cela. C’est probablement lié à la façon dont les animaux apprennent les différences dans leur environnement. Lorsque les rats voient le super rectangle, ils sont encore plus certains qu’il s’agit d’un rectangle que s’ils voyaient un rectangle normal. Par conséquent, s’ils savent également qu’un rectangle apporte une récompense, ils choisissent celui dont ils sont le plus sûrs, c’est-à-dire le super rectangle.

Quelle qu’en soit la raison, l’effet « peak shift » montre que même si nos idéaux de beauté sont appris, il est toujours possible de concevoir des superstimuli spéciaux pour eux. Ce phénomène psychologique peut même être utilisé pour expliquer pourquoi nous observons souvent des tendances totalement exagérées d’une culture à l’autre. Ce qui commence par « salut, ce ras-de-cou est génial » se transforme en « j’ai tellement de ras-de-cou que mes clavicules se déforment pour leur faire de la place ».

Bien que nos idéaux de beauté soient en partie déterminés par la culture, nous ne pouvons ignorer qu’il existe également un aspect biologique à la beauté. Ainsi, certaines préférences innées sont inscrites dans notre nature.

C’est ce qui ressort clairement d’études dans lesquelles des chercheurs montrent des photos de différentes personnes à des personnes issues de diverses cultures à travers le monde et leur demandent ensuite de juger de la beauté de la personne sur la photo. Sur ce point, les gens du monde entier sont tout à fait d’accord.

Les mêmes personnes sont jugées belles, qu’il s’agisse d’un Européen, d’un Africain ou d’un Asiatique. Et ce, que les personnes jugées soient européennes, africaines ou asiatiques. En d’autres termes, des personnes de cultures très différentes – par exemple un Danois et un Coréen – s’accordent raisonnablement sur la beauté d’un Danois ou d’un Coréen. Cet accord est, bien sûr, dû à notre nature interpersonnelle. Il y a simplement quelques traits de base que nous apprécions universellement.

Augmenter le contraste

Dans la plupart des espèces animales, les mâles sont principalement jugés sur leur apparence. Mais chez les humains, il n’y a aucun doute : ce sont les femmes qui sont jugées. Là encore, la cause pourrait être culturelle ou biologique, nous ne le savons pas exactement. Quoi qu’il en soit, les femmes ont la version humaine de l’astuce des hirondelles et du marqueur : le maquillage.

Il faut savoir que les plumes sombres de la poitrine de l’hirondelle rustique sont des traits sexuellement dimorphiques, c’est-à-dire des traits qui différencient les sexes – comme la crinière d’un lion mâle ou la belle queue de notre vieil ami le paon (que l’on ne trouve que chez les mâles). Dans les deux cas, les femelles sont attirées par les caractéristiques sexuellement dimorphiques. Par conséquent, si vous voulez concevoir un maquillage pour les lions, vous devrez inventer quelque chose qui rendra leur crinière encore plus fournie et plus grande. Si vous vouliez concevoir un maquillage pour les paons, vous pourriez inventer quelque chose qui rendrait leur queue encore plus colorée.

Chez l’homme, le maquillage semble mettre en valeur les caractéristiques sexuellement dimorphiques. Il donne à un visage quelque chose de féminin. Par exemple, les femmes ont généralement des yeux plus grands que les hommes par rapport au reste du visage. Par conséquent, si vous parvenez à agrandir vos yeux, votre visage paraît également plus féminin. C’est exactement la raison d’être du mascara et des cils artificiels.

Autre exemple : le visage des femmes est naturellement plus contrasté que celui des hommes. En d’autres termes, les différences de couleur entre les différentes parties du visage des femmes sont plus importantes que chez les hommes. Par conséquent, si vous prenez un visage sans sexe, vous pouvez le rendre plus masculin en réduisant les contrastes, ou vous pouvez le rendre plus féminin en augmentant le contraste des couleurs. C’est ce que vous pouvez faire avec le maquillage. L’eye-liner ou l’ombre à paupières augmente le contraste entre les yeux et le reste du visage. Le rouge à lèvres fait de même pour la bouche et le blush pour les pommettes.

La course à la beauté

Imaginez un monde où les cosmétiques n’auraient pas été inventés. Dans la réalité, toutes sortes de variantes de la plupart des maquillages existent depuis des milliers d’années. Même nos anciens amis les Sumériens avaient des versions primitives de fard à paupières et de rouge à lèvres il y a cinq mille ans de ça .

Cependant, dans ce monde fictif que nous devons maintenant imaginer, les gens n’ont jamais eu l’idée qu’il existait un moyen d’être plus séduisant. L’apparence de chacun est telle qu’elle est. Certains sont beaux, d’autres non, il n’y a rien à faire. Comme dans notre monde, il y a des avantages à être physiquement attirant. Non seulement si vous cherchez un partenaire, mais aussi si vous cherchez un emploi ; en effet, des études ont montré que les personnes belles gagnent mieux leur vie et sont considérées comme plus compétentes.

Dans notre univers fictif, les gens ne le remarquent pas autant. Mais un jour, les avantages de la beauté sont remarqués par une jeune femme, que nous appellerons Elizabeth. Elle se rend compte qu’elle peut améliorer sa position dans la société si elle fait quelque chose pour son apparence. Après réflexion, elle invente le maquillage tel que nous le connaissons. Grâce à ce maquillage, Elizabeth est plus séduisante qu’avant et plus séduisante que les autres femmes. Elle reçoit plus d’attention de la part du sexe opposé et obtient même une augmentation au boulot. Bien entendu, grâce à toute cette attention supplémentaire, l’invention d’Elizabeth ne reste pas longtemps secrète. En peu de temps, d’autres femmes commencent à expérimenter leur apparence.

Au début, il n’y en a que quelques-unes, ce qui ne dérange pas beaucoup Elizabeth, mais au bout d’un certain temps, la plupart des femmes se maquillent. Maintenant, l’avantage qu’avait Elizabeth a disparu. Tout le monde est désormais plus beau qu’avant. Si nous imaginons que le maquillage améliore l’apparence de chacun de manière égale, tout le monde se retrouve soudain dans la même situation. Les femmes les plus séduisantes sont à nouveau les plus séduisantes, et les moins séduisantes sont à nouveau les moins séduisantes. La seule différence est qu’il faut maintenant se maquiller pour être compétitif.

Si Elizabeth est occupée un jour et ne se maquille pas, elle aura l’air moins séduisante que les autres et des remarques du genre « tu as l’air fatiguée aujourd’hui » pourront être lancées. Elizabeth n’a pas envie de cela, elle veut redevenir la plus belle du pays, alors elle retourne à la planche à dessin. Grâce à sa sagacité, elle trouve une nouvelle façon d’améliorer son apparence : la chirurgie plastique.

Elle commence par une simple intervention cosmétique, comme l’injection d’un liquide dans ses lèvres pour les rendre plus pulpeuses. Pendant un certain temps, tout le monde parle de la beauté des lèvres d’Elizabeth, mais peu de temps après, d’autres femmes subissent le même traitement. Elizabeth passe donc à l’étape suivante. Peut-être se concentre-t-elle désormais sur son corps et non plus sur son visage, et fait-elle ressortir un autre trait de dimorphisme sexuel en faisant grossir ses seins à l’aide de silicone. Là encore, les autres suivent rapidement, et ainsi de suite. Elizabeth court et court, mais elle finit toujours au même endroit.

Dans cette histoire, j’ai bien sûr exagéré, mais il se passe quelque chose de similaire dans la société moderne. Il est très courant de modifier ses photos sur les réseaux sociaux à l’aide d’applications destinées à améliorer son apparence. Les applications les plus populaires ne le cachent même pas et utilisent des noms comme « Facetune ». Avec cette application, vous pouvez tout faire, de l’uniformisation de votre peau au remodelage complet de votre visage.

Il est désormais possible de faire de même dans les vidéos, jadis généralement plus naturelles. C’est presque devenu un sport sur internet d’exposer les différentes célébrités qui ont affiné leur taille, ce que l’on peut voir dès que le filtre de leur vidéo tombe un instant.

Dans la réalité, la course à la beauté se traduit par une augmentation du recours à la chirurgie plastique. Les chiffres de l’autorité sanitaire danoise montrent qu’en 2022, plus de six fois plus d’opérations d’augmentation mammaire auront été pratiquées qu’en 2005. Le nombre de liftings du visage et du cou a également été multiplié par 20, celui des liposuccions par 6 et celui des élévations de sourcils par près de 10. Dans de nombreux autres pays, cette course est encore plus extrême. Il suffit de prendre l’exemple de la Corée du Sud, où la chirurgie plastique est devenue si courante que 31 % des femmes ont subi au moins une opération de chirurgie esthétique.

Bien dans sa peau

Il est donc temps de répondre à la question de savoir pourquoi tant de jeunes femmes d’aujourd’hui se sentent si mal dans leur peau. Pour des raisons culturelles et biologiques, les jeunes femmes ont tendance à être très absorbées par leur apparence. Cela les met mal à l’aise dans un monde de plus en plus dominé par les médias sociaux : chaque post est une tentative de retenir notre attention pour gagner de l’argent, et comme nous sommes instinctivement attirés par les belles personnes, c’est ça qui nous est présenté en ligne.

Mais la question de savoir si l’on est beau est relative. Si vous vous comparez à votre voisin, il n’est peut-être pas difficile de se sentir attirant, mais sur les réseaux sociaux, le monde entier participe au « concours ». Ceux qui « gagnent » l’algorithme et apparaissent dans votre fil d’actualité sont les plus beaux parmi des milliers, voire des millions de personnes. Elles ne sont en aucun cas représentatives de la population dans son ensemble, mais notre cerveau, comme vous le savez, fonctionne selon le principe « ce que vous voyez est tout ce qu’il y a ». Les personnes exceptionnellement attirantes sont donc celles auxquelles nous nous comparons. Par conséquent, une incursion sur les réseaux sociaux peut rapidement se transformer en une longue série de défaites sociales pour les personnes qui ont tendance à se comparer aux autres.

Bien sûr, nous le faisons tous, mais les jeunes qui sont en plein processus de recherche de leur place dans le monde y sont particulièrement sensibles. Comme les jeunes femmes passent plus de temps sur les réseaux sociaux que les jeunes hommes, il n’est pas surprenant qu’elles soient les plus touchées par ce phénomène.

En même temps, les réseaux sociaux montrent noir sur blanc que l’apparence est importante pour réussir dans la vie. Les belles personnes qui dominent les algorithmes peuvent gagner des tonnes d’argent en se contentant d’être belles. Il est donc facile de se laisser entraîner dans une course aux armements, de se battre pour bénéficier d’une existence comme celle que l’on voit à l’écran. Cependant, tout le monde court aussi vite qu’il le peut, ce qui fait qu’il est difficile de voir les résultats de ses efforts. À part le fait de perdre de plus en plus confiance en son apparence…

Quelques mots sur l’auteur

Nicklas Brendborg (né en 1996) est un biologiste moléculaire danois et l’auteur du best-seller international « Immortal Jellyfish & Ancient Sharks ».

Ce livre a été numéro un sur la liste des best-sellers au Danemark pendant des semaines et les droits de traduction ont été vendus dans le monde entier.

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