Le jeûne est-il bon ou mauvais pour la santé ?

© GETTY IMAGES

Tactique d’amaigrissement ou cheminement spirituel, le jeûne, pour une période déterminée, fait régulièrement des émules. Au bénéfice de la santé ou à son détriment ? Des experts nous répondent.

Que ce soit le Ramadan, le Carême ou le Yom Kippour, la privation de repas est inscrite dans les trois grandes religions monothéistes mondiales. Pendant l’Antiquité, Hippocrate aurait même recommandé le jeûne pour se soigner.  » Nous avons évolué dans des milieux où nous n’avions pas constamment accès à une nourriture abondante et immédiate. Nous avons connu des périodes de grandes frugalités « , souligne Jessie Laverton, naturopathe au sein du centre de santé holistique Vicitra à Bruxelles. Le jeûne semble donc lié à l’histoire de l’Homme.

La pratique a traversé les siècles et aujourd’hui, en dehors de toute croyance, de plus en plus de personnes y adhérent, de sa forme la plus légère à la plus extrême. Cette dernière, appelée jeûne complet ou de longue durée, consiste à ne pas s’alimenter pendant plusieurs jours, généralement sept et plus, et à uniquement ingérer de l’eau. Davantage modérée, la méthode la plus répandue en ce moment est le jeûne intermittent. Celui-ci comprend différentes variantes. La première dite du 16 : 8 veut qu’il y ait huit heures entre le premier et la fin du dernier repas de la journée, avec une période de non-alimentation de seize heures. Il s’agit donc davantage d’une réorganisation du cycle alimentaire que d’un véritable jeûne.

La seconde dite du 5 : 2, rendue célèbre par le médecin britannique Michael Mosley, consiste à manger normalement, soit environ 2000 kilocalories par jour, pendant cinq jours et à se restreindre à un maximum de 600 kilocalories les deux jours restants de la semaine.

La troisième, appelée jeûne alterné, suppose, quant à elle, que la personne ne se nourrisse qu’un jour sur deux avec un repos alimentaire d’environ 36 heures.

La prudence comme maître mot

 » Historiquement, le jeûne a toujours été très ancré, même au niveau des religions. Il y a donc probablement un fondement réel dans cette pratique « , note Nicolas Paquot, chef de service de diabétologie, nutrition et maladies métaboliques au CHU de Liège, et professeur à l’ULG. Cependant, alors que différentes études menées à long terme sur des animaux, comme des rongeurs ou des gorilles, montrent qu’avec une restriction calorique d’environ 20%, ceux-ci vivent plus longtemps et développent moins de maladies cardio-vasculaires, de diabètes et de cancers,  » chez l’homme, il y a beaucoup moins de données « , précise-t-il. Certaines populations ont été observées et feraient penser qu’une telle restriction pourrait être bénéfique, mais  » nous n’avons pas encore de données cliniques dures. Or, avant de préconiser des choses à large échelle, il faut avoir la preuve qu’elles sont efficaces ou en tout cas pas dangereuses. Il y a un grand principe en médecine qui dit ‘Primum non nocere’, ‘d’abord ne pas nuire’. Il faut donc rester très prudents par rapport aux conclusions que nous tirons « , insiste le médecin.

Lire aussi: L’alimentation saine, une véritable position politique et spirituelle

Prudence que préconise également Pascale Robience, diététicienne. En effet, un jeûne mal conduit peut impliquer des carences.  » L’équilibre de notre alimentation se fait sur une semaine. Donc si nous ne fournissons pas à notre organisme un minimum d’éléments nutritionnels de manière hebdomadaire, nous le mettons réellement en danger, explique la diététicienne. Un réel jeûne peut dès lors se pratiquer à courte échéance et non ‘à vie’ « . Pour une réduction calorique drastique (par exemple se limiter à 800 kilocalories par jour), Pascale Robience parle d’une période de maximum trois semaines, et pour une privation de nourriture alternée, de maximum trois mois.  » Si la personne désire tout de même jeûner sur une longue durée, elle doit impérativement être suivie médicalement et faire une prise de sang complète tous les trois à six mois afin de vérifier qu’elle n’a pas de carences alimentaires  » souligne-t-elle.

Le jeûne doit s’inscrire dans une démarche globale, celle qui consiste à essayer de se remettre sur les rails en revoyant son style de vie «  Jessie Laverton, naturopathe

Avant de se lancer dans un tel régime, il est également important de s’assurer d’être en bonne santé et de ne présenter aucune pathologie contre-indiquée.  » Certaines étant même parfois ignorées ou asymptomatiques « , précise la diététicienne. Le jeûne et toutes ses variantes ne sont donc pas conseillés à tout un chacun. Avis partagé par Nicolas Paquot et Jessie Laverton.  » Il faut notamment être prudent avec les personnes présentant une insuffisance cardiaque, hépatique ou rénale, mais également avec les diabétiques. Si ceux-ci jeûnent pendant plusieurs jours, leurs corps cétoniques augmentent, et une telle augmentation dans le diabète peut entraîner toute une série de comas très graves « , avertit le médecin.  » Dans le cas de maladies de dégénérescence nerveuse ou de troubles alimentaires, le jeûne n’est également pas recommandé, ajoute la naturopathe. Il faut donc favoriser le travail au cas par cas.  »

Une pause digestive bénéfique

Face à ces incertitudes et mises en garde, il est tout de même  » possible d’affirmer sans trop se tromper que manger toute la journée, ce que nous faisons de plus en plus, n’est pas bon. Nous grignotons beaucoup, et donc réservons peu de périodes de pause à notre organisme. Ce qui pourrait contribuer au développement d’une série de maladies oxydatives, dégénératives… « , signale le docteur Paquot. Il serait donc intéressant de ménager douze à quatorze heures sans alimentation dans notre journée. La raison ? Le renouvellement cellulaire induit.  » Avec le temps, nous nous sommes aperçus que la cellule présentait deux cycles : un où elle se nourrit en recevant glucides, lipides et protéines et un autre où elle ne reçoit rien. Nous avons remarqué que durant cette deuxième phase, une série de processus se mettaient en route et notamment au niveau de certains organismes. La mitochondrie, organite importante dans le métabolisme énergétique, se renouvelle de manière plus importante, des réparations cellulaires apparaissent au niveau de l’ADN, et un processus d’autophagie, soit d’auto-nettoyage, des cellules se déclenche « , explique-t-il.

Le jeûne, pour ou contre ?
© GETTY IMAGES

Ce rythme alimentaire correspond environ à la méthode 16 : 8. Ce système, fournissant, si bien réalisé, un apport journalier en nutriments suffisant, pourrait dès lors s’implanter en tant qu’habitude alimentaire (sauf contre- indications évidemment). Il constituerait également une technique d’amaigrissement très efficace si accompagné d’une alimentation saine et de qualité.  » Il y a deux manières de procéder, soit le patient déjeune à 8 heures, dîne vers midi, prend un goûter à 16 heures, et ne mange plus rien jusqu’au lendemain matin, soit il ne mange rien sur sa matinée, fait son premier repas à midi et termine son dernier à 20 heures. Mais en général, les gens maigrissent deux fois mieux en ne soupant pas, indique Pascale Robience. Nous dépensons beaucoup d’énergie le matin et puis de moins en moins au fur et à mesure de la journée. L’adage disant qu’il faut déjeuner comme un roi, dîner comme un prince et souper comme un mendiant, correspond donc bien à une réalité.  » Selon Jessie Laverton, ce type de repos digestif permet aussi  » un vrai temps d’élimination de toxines qui a des applications thérapeutiques bien précises.  »

Un effet boostant, le jeûne?

 » Le jeûne n’est pas une pratique à laquelle j’adhère spécialement, mais je suis obligée de lui reconnaître certains bienfaits, notamment chez les patients souffrant d’obésité, de diabète de type 2 ou de pathologies cardio-vasculaires « , souligne Pascale Robience. En effet, il peut influencer favorablement le taux de cholestérol et de triglycérides dans le sang, et diminuer la résistance à l’insuline. Une privation de nourriture sur plusieurs jours peut également constituer un élément déclencheur pour certaines personnes en surcharge pondérale. Un déclencheur qui, par la suite, les poussera à manger mieux et à persévérer dans leur perte de poids.  » Le sucre étant le carburant de l’organisme, si nous ne lui en donnons plus, le corps va, une fois cette réserve épuisée, devoir puiser son énergie ailleurs et notamment dans les graisses. Arrive alors ce que nous appelons la cétose ou cétogenèse, pendant laquelle sont produits des corps cétoniques. En excès dans le sang, ceux-ci ont un effet anorexigène, c’est-à-dire coupe-faim, et boostant. Les patients, une fois en cétose (après minimum 48 heures de réduction calorique drastique), se sentent donc mieux et boostés à continuer leurs efforts « , explique la diététicienne. Elle insiste tout de même à nouveau sur la durée limitée d’une telle pratique, et le besoin d’un suivi médical et nutritionnel.

Lire aussi: 92% des Belges partagent cette aspiration, mais seuls les plus riches la réalisent

En outre, nous savons que manger stimule différentes hormones de croissance. Une stimulation qui est évidemment nécessaire à notre bon fonctionnement, mais qui peut également induire des conséquences négatives.  » Par exemple, l’insuline qui, quand elle est en excès, encourage la croissance tumorale « , illustre le docteur Paquot. Aménager des périodes où ces hormones sont plus basses, grâce au jeûne notamment, est donc dans ce cas probablement favorable. Certains médecins préconiseraient même des jeûnes pré-chimiothérapie ou radiothérapie. Nicolas Paquot émet cependant une petite réserve.  » La plupart des oncologues y sont pour l’instant très réticents. D’une part, rien n’a encore été démontré. D’autre part, beaucoup vous diront que ce qui est problématique dans leur domaine est la dénutrition. En préconisant le jeûne thérapeutique, beaucoup ont donc peur d’aggraver ce problème et ainsi perdre le potentiel bénéfice d’une privation de nourriture.  »

Une démarche individuelle

Bien plus qu’une simple méthode d’amaigrissement, selon Jessie Laverton,  » le jeûne doit s’inscrire dans une démarche globale, celle d’essayer de se remettre sur les rails en revoyant son style de vie, son alimentation… Il faut voir cela comme une véritable hygiène de vie.  » Pris sous cet angle, le jeûne bien conduit et donc n’induisant aucune carence ou trouble, permet à terme de davantage contrôler notre alimentation et notre poids.  » Et nous savons qu’en le contrôlant parfaitement, nous limitons les risques d’hypertension artérielle, de diabète de type 2 et de maladies cardio-vasculaires. En d’autres mots, si nous ménageons la monture, nous irons plus loin. Cependant, comme pour tout, le risque réside dans l’excès. Il ne faudrait pas tomber dans ce que Michel Onfray appelle la religion hygiéniste, où la médecine devient la doctrine à suivre à tout prix, insiste Nicolas Paquot. Certaines personnes se retrouvent dans ce type de pratiques et tant mieux pour elles, mais d’autres ne peuvent ou ne veulent pas vivre comme cela, et préfèrent profiter et peut-être vivre moins longtemps. Je crois que les données médicales sont là pour être partagées, mais ce n’est pas pour ça qu’il faut en faire un dogme de vie. Après tout, chacun est libre d’en faire ce qu’il veut après.  »

Sarah, 42 ans, a fait sept jours de jeûne complet

 » Après être passée à une alimentation essentiellement composée de jus et de salades, je suis partie pendant une semaine en Normandie avec une vingtaine d’autres personnes pour réaliser un séjour de jeûne complet afin de me detoxifier. La seule chose que je pouvais ingérer était de l’eau. Chacun le vit différemment, mais moi j’étais assez fatiguée, je me traînais beaucoup. J’avais des chutes de tension. Ayant un passé de boulimique, la sortie du jeûne a également été très compliquée. Je me suis mise à fantasmer sur la nourriture, et j’ai refait des crises de boulimie. C’est là que j’ai compris que je n’avais pas réglé ce problème. La detox ne s’est donc pas uniquement faite sur le plan physique, elle a aussi touché mon mental et mes émotions. Avec le recul, je ne regrette pas cette expérience. Elle m’a permis de mieux me connaître et de me soigner.  »

Juliet, 24 ans, pratique le jeûne 16 : 8

 » Je n’ai jamais aimé déjeuner, mais on m’a toujours forcée à le faire parce qu’on me disait que cela n’était pas bon. Donc naturellement, quand j’ai commencé à travailler et à être plus indépendante, je me suis mise à manger de plus en plus tard le matin. Puis, j’ai entendu parler du jeûne intermittent et je me suis dit que quitte à ne pas déjeuner, autant bien le faire. Depuis que je m’y suis mise, je porte plus d’attention à mon premier repas de la journée. Je veille à ce qu’il soit bien équilibré, qu’il ait les bons nutriments. J’essaye de boire en suffisance aussi. Physiquement, je me sens mieux. Je suis beaucoup moins ballonnée. Mentalement, comme j’ai toujours été habituée à ne pas avoir très faim au réveil, je ne vois pas de grands changements. Je ne me sens ni plus fatiguée, ni plus en forme. Je me sens juste en accord avec moi-même.  »

Hans, 50 ans, a essayé le jeûne 5 : 2

 » En deux mois, j’ai perdu six kilos, mais continuer ce régime à long terme ne me semblait pas possible. Limiter ses calories deux jours par semaine, cela n’est vraiment pas simple. 600 calories par jour, c’est vraiment peu. Surtout avec une femme qui sait cuisiner et un frigo toujours bien rempli vu mes trois ados qui mangent comme quatre. Au bout de deux mois, j’ai donc arrêté. Ma femme était soulagée. C’était compliqué pour elle de me préparer des repas si maigres. Puis, ces deux jours-là, j’étais assez grincheux. Depuis, je continue à faire attention à ce que je mange, mais j’ai déjà repris deux kilos.  »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content