Des soins sur mesure grâce aux gènes

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Certaines entreprises proposent aujourd’hui des régimes alimentaires ou des produits de beauté ultrapersonnalisés, élaborés sur la base de notre ADN. Une approche pleine de promesses mais qui pose aussi de nombreuses questions. Décryptage.

Une gamme de soins pour la peau à ce point personnalisée qu’elle répond parfaitement à nos besoins, cela semble presque trop beau pour être vrai… Difficile, pourtant, d’imaginer plus individualisé et donc plus efficace qu’un produit reposant sur notre ADN. C’est cette philosophie que brandissent les nouveaux venus dans le secteur des cosmétiques pour séduire le consommateur. Puisque le luxe ne se mesure plus au logo ou au prestige de la marque mais bien à la customisation du service, des labels comme Allél, Nutrafol ou le Belge Nomige s’affichent aujourd’hui comme le top du top. Le procédé est toujours le même : le client reçoit un kit pour prélever un échantillon d’ADN – il suffit de se frotter l’intérieur de la bouche à l’aide d’un coton-tige – qui sera analysé dans un laboratoire. Dans un second temps, il aura éventuellement la possibilité de voir un consultant qui lui expliquera les résultats… et, évidemment, d’acheter toute une ligne de soins ad hoc pour revitaliser ses points faibles, comme le recommande le test.

une caractéristique donnée dépend souvent de plusieurs centaines de gènes et non de la mutation unique sur laquelle se focalisent les entreprises.

Les balbutiements

Trois motivations sous-tendaient le lancement de Nomige en octobre 2017, explique sa fondatrice, la dermatologue Barbara Geusens :  » Jusqu’ici, une quête longue et fastidieuse était souvent nécessaire pour dénicher le produit le mieux adapté dans une offre surabondante. En outre, chaque peau est unique et je suis convaincue que la génomique individuelle va être amenée à occuper une place importante dans notre société. La biologie n’est pas encore entièrement capable d’expliquer pourquoi certaines personnes ne font pas leur âge, même si nous savons que cela tient à la fois à notre mode de vie et à nos gènes. Les différences entre groupes ethniques font figure d’exemples : le vieillissement cutané globalement moins rapide des Asiatiques tient à leur ADN, ce qui signifie aussi que leur peau a d’autres besoins que celle d’un individu caucasien. C’est de ce constat qu’est née l’idée de soins personnalisés, basés sur le profil génétique de l’utilisateur. Nous recherchons des variations ou mutations dans certains gènes qui interviennent dans ce processus afin d’adapter nos formules.  » Les tests réalisés avec les produits Nomige laissent transparaître des résultats sensiblement supérieurs à ceux des concurrents.  » Combiner différents éléments en fonction du profil génétique du consommateur permet d’obtenir un effet anti-âge significativement meilleur. Nous espérons pouvoir publier très prochainement ces résultats dans une revue scientifique.  » Mais à quel prix ? Pour un test d’ADN, un rapport et quatre soins sur mesure correspondant à trois ou quatre mois de traitement, il vous en coûtera 499 euros.

Les spécialistes de la génétique ont pour leur part une vision différente de la question.  » Le génome humain est connu dans sa totalité depuis une quinzaine d’années et nous savons effectivement que certains variants génétiques peuvent influencer des caractéristiques physiques ou prédisposer le porteur à certaines maladies, explique Maarten Larmuseau, généticien rattaché à la KU Leuven et à l’ASBL Histories. Ces derniers temps, on a commencé à prendre conscience qu’il était possible d’utiliser ces connaissances pour adapter un traitement médical au profil génétique du patient – l’ex-président des Etats-Unis Barack Obama avait même pris une initiative pour poursuivre le développement de ces thérapies individualisées, mais nous sommes encore loin du compte. C’est pour cette raison que les scientifiques restent jusqu’ici extrêmement critiques vis-à-vis des initiatives commerciales : ces pratiques reposent souvent sur des publications que les firmes s’empressent d’invoquer, sans les avoir suffisamment testées. Le fait que les dermatologues, par exemple, ne fassent pas encore appel aux tests génétiques devrait nous mettre la puce à l’oreille. Nous parlons ici de phénomènes extrêmement complexes dont l’étude n’en est souvent qu’à ses balbutiements. De plus, s’il est vrai que la génétique intervient dans certains aspects du vieillissement cutané, l’environnement et l’alimentation jouent également un rôle majeur. Et par ailleurs, une caractéristique donnée dépend souvent de plusieurs centaines de gènes et non de la mutation unique sur laquelle se focalisent la plupart des entreprises. Pour vous donner un aperçu : pas moins de 49 gènes sont impliqués dans un paramètre insignifiant comme le fait d’avoir le lobe de l’oreille attaché ou non.  » Tout ceci est donc nettement plus complexe qu’on ne pourrait le croire à première vue.

Des soins sur mesure grâce aux gènes
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Grisonnera, grisonnera pas ?

La mode de l’ADN dans le secteur cosmétique a également ouvert la voie à une série d’acteurs qui ne proposent pas forcément des produits de beauté au sens strict, mais plutôt des analyses génétiques assorties de recommandations sur mesure. Ces entreprises, telles qu’Orig3n, Skin IQ, SkinGenie ou Skinshift, se targuent d’offrir aux consommateurs une connaissance parfaite de la santé de leur peau et de leurs cheveux – c’est-à-dire qu’elles vous apprendront si vous attraperez rapidement des cheveux blancs ou comment votre épiderme réagit aux rayons ultraviolets nuisibles, et vous donneront des conseils pour limiter les dégâts. Chez Orig3n, vous aurez ainsi le choix entre trois tests distincts, le skin aging, le hair & skin health et l’appearance kit. Skin IQ affiche, lui, sur son site Internet un aperçu exhaustif de tout ce que ces tests d’ADN peuvent vous révéler sur votre physique en brandissant des paramètres tels que le photovieillissement, la texture, l’élasticité, l’inflammation, le risque d’allergies et les besoins nutritionnels de la peau… avant, bien évidemment, de vous suggérer une liste de traitements pour remédier à chacun de vos soucis.

N’est-il pas plus agréable de déguster des vins pour découvrir lesquels on aime que de se laisser guider par son profil génétique ?

Une terminologie ronflante qui ne convainc qu’à moitié le professeur Jan Gutermuth, chef du service de dermatologie de l’UZ Brussel.  » L’idée est que nous savons quels sont les gènes qui agissent sur le vieillissement cutané et que si un patient présente un problème donné, il suffit d’accroître un peu la dose de composants qui agissent sur ce paramètre. C’est le principe de la médecine personnalisée que l’on transpose ici au secteur cosmétique, et c’est une approche qui a indéniablement son intérêt. Il faut toutefois déjà disposer d’un très bon laboratoire pour mélanger et stabiliser tous ces ingrédients.  » En outre, les produits basés sur un test d’ADN ne sont pas forcément meilleurs que les autres formules destinées à combattre le vieillissement de la peau, souligne le spécialiste.  » A ma connaissance, il n’existe aucune étude démontrant qu’ils tiennent effectivement leurs promesses. Les autres soins protègent également la peau et, jusqu’ici, la recherche n’a pas pu établir comment la concentration de certains éléments devait être adaptée en présence d’un défaut génétique connu. Les expérimentations sur les cosmétiques customisés sont du reste extrêmement compliquées, justement parce qu’il est question de soins individualisés.  »

Enfin, comme déjà mentionné, tout n’est pas non plus déterminé par nos gènes.  » De nombreux aspects sont génétiques, poursuit ainsi le spécialiste, mais imaginons que votre peau contienne peu de pigments : si vous êtes peu exposé au soleil, ce n’est pas vraiment un problème et ce facteur n’aura guère d’impact. Si par contre vous déménagez vers le sud et que vous ne protégez pas suffisamment votre épiderme, l’effet du rayonnement UV sur le vieillissement cutané sera beaucoup plus marqué. Lorsque vous fumez, que vous ne dormez pas suffisamment ou que vous êtes régulièrement confronté à la pollution atmosphérique, vous risquez également de voir votre peau vieillir à un rythme accéléré. On peut donc vraiment parler d’une influence conjointe de l’ADN, de l’environnement et du mode de vie.  »

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Régime sur mesure

Les marques de cosmétiques ne sont toutefois pas les seules à s’intéresser à notre ADN : des régimes définis en fonction de ce dernier sont aujourd’hui envisageables. Là encore, la première étape sera de réaliser un test d’ADN pour déterminer quel type de diète vous conviendra le mieux. L’explication peut sembler convaincante, mais c’est ici aussi malheureusement trop beau pour être vrai, comme l’ont révélé des études réalisées à Stanford. Les chercheurs de l’université américaine ont en effet pu démontrer que nos gènes n’ont absolument aucune influence sur l’effet d’un régime donné, n’en déplaise à des entreprises comme ADNFit, Nutrigenomix, FitnessGenes ou uBiome, qui élaborent ces programmes sur mesure. Pour parvenir à cette conclusion, les experts ont soumis leurs cobayes humains à une alimentation soit pauvre en graisses, soit pauvre en glucides, suivant la conclusion du test d’ADN. Au bout du compte, les résultats ne se sont pas avérés plus concluants que dans un groupe contrôle dont les membres s’étaient vu attribuer aléatoirement l’une des deux : au terme d’un an de cure, les participants n’avaient pas tous perdu de kilos… et certains en avaient même pris quelques-uns. Une analyse plus poussée des données recueillies dans ce cadre a démontré que la prédisposition génétique à une diète en particulier ne permettait absolument pas de prédire la perte de poids. Si ces régimes  » génétiques  » semblent marcher dans certains cas, c’est purement et simplement parce que les gens sont plus enclins à suivre méticuleusement une approche présentée comme personnalisée.

De nombreuses entreprises ne retiennent que les données scientifiques qui les arrangent, en évitant de mentionner les publications antagonistes.

Retour aux sources

Nos gènes sont sollicités à bien d’autres fins encore. Depuis peu, les amateurs de bons flacons peuvent ainsi faire appel à Vinome, qui se targue de sélectionner pour eux les vins parfaits sur la base, une fois encore, de leur ADN. Dix marqueurs génétiques associés au goût et à l’odorat sont employés pour classer les utilisateurs en huit profils  » uniques « , qui se voient ensuite proposer un choix de bouteilles leur correspondant.  » Il ne s’agit sans doute que d’un gadget, commente Maarten Larmuseau. Bien sûr, il y a des gènes qui nous permettent par exemple de percevoir plus ou moins clairement l’amertume – un constat que l’on pourrait invoquer pour conférer à la méthode une légitimité scientifique. Cela dit, n’est-il pas infiniment plus agréable d’aller déguster des vins pour découvrir lesquels on aime que de se laisser guider par son profil génétique ?  » Lean Cuisine, un producteur de repas surgelés, envisage de son côté de lancer un test d’ADN permettant de déterminer la dose quotidienne de calories recommandée et les nutriments à privilégier, avec à la clé des suggestions de recettes, de restaurants et, bien sûr, de plats tout faits. Par ailleurs, le fitness est toujours davantage mis en relation avec les gènes, supposés définir quelle forme d’exercice est la plus efficace chez un individu donné.

Enfin, que penser du tourisme génétique, présenté par NBC comme  » la  » tendance de l’année 2019 ? Le principe est simple : un test d’ADN est utilisé pour découvrir d’où vos ancêtres sont originaires, et il vous suffit ensuite de partir en voyage à la recherche de vos racines. Là encore, l’idée est séduisante mais trompeuse, car il est extrêmement difficile – pour ne pas dire impossible – de pointer de façon précise d’où viennent vos aïeux à l’aide de ce genre de test.  » En réalité, ces entreprises ne retiennent que les informations qui les arrangent, avance Maarten Larmuseau. Elles choisissent dans la littérature des faits intéressants et les combinent pour construire une belle histoire qu’elles présenteront comme scientifiquement prouvée… en omettant soigneusement de mentionner toutes les publications qui apportent des preuves antagonistes. Bien souvent, les données sont donc interprétées au-delà de leur signification réelle. Ce qui ne veut évidemment pas dire que ce genre de recherche n’aura pas son utilité dans le futur, au contraire : dans quelques années, la médecine personnalisée sera sans aucun doute un atout précieux.  » Gageons que nous n’avons pas fini d’en entendre parler.

Michaël De Moor

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