La beauté en voyage : à la poursuite du nomade captif

© PHOTOS : ISTOCK
Isabelle Willot

Des zones de transit des aéroports aux salles de bains des hôtels de luxe, les acteurs de la cosmétique cherchent à séduire de nouveaux clients avides de découvertes et en quête d’inédit.

Le chiffre a de quoi donner le tournis : selon l’association du transport aérien international (IATA), nous serons 7,2 milliards chaque année à prendre l’avion en 2035, soit près du double des 3,8 milliards de passagers aériens enregistrés en 2016. Autant de nomades contraints de rester dans les zones de transit, souvent pressés, la curiosité aiguisée par l’excitation du voyage, qu’ils soient sur la route des vacances ou en business trip. On comprend mieux de ce fait l’intérêt des grands groupes cosmétiques pour cette Atlantide métissée, traitée la plupart du temps comme un marché – stratégique – à part entière (lire par ailleurs). Une fois arrivés à destination, les voyageurs qui font le choix de séjourner dans des hôtels de luxe restent des cibles privilégiées pour les acteurs de la beauté. Face à la concurrence de plates-formes de locations de logements de type Airbnb, les établissements, qu’ils soient plus confidentiels ou fassent partie d’une chaîne internationale, cherchent à se différencier par leur offre de services, notamment en proposant des  » produits d’accueil  » de plus en plus exclusifs. Il n’est d’ailleurs pas rare de trouver désormais les noms des marques partenaires listés aux côtés des autres atouts des chambres sur les sites de réservation. Cette course à l’insolite, récompensée même par des  » awards  » délivrés chaque année par les magazines spécialisés en tourisme, pousse les hôteliers à se tourner vers des maisons de plus en plus pointues, qui voient dans cet échantillonnage qualitatif une belle occasion d’élargir leur clientèle.

 » Pour notre marque, il s’agit avant tout d’une opération de communication, pointe Christophe Cervasel, l’un des deux fondateurs d’Atelier Cologne. L’idée même du voyage fait partie de l’ADN du label. Et pour beaucoup d’entre nous, c’est devenu un mode de vie. Voyager, c’est excitant mais stressant. Une fois que l’on entre dans sa chambre d’hôtel, que l’on pousse la porte de sa salle de bains et que l’on y découvre des produits élégants avec de belles formules, c’est un vrai moment de plaisir mais aussi d’apaisement.  » La maison de parfum parisienne, passée depuis peu dans l’escarcelle du groupe L’Oréal, est aujourd’hui présente dans une quinzaine d’hôtels – tous 4 ou 5-étoiles – dont dix adresses du groupe Mandarin Oriental pour lesquelles ont été développées des lignes personnalisées d' » amenities  » – un anglicisme qui recouvre les traditionnels savon, shampoing, après-shampoing, gel douche et lait corps composant l’assortiment de base.  » Les emballages restent les mêmes, précise Christophe Cervasel. Seule la couleur change en fonction de la fragrance choisie par l’établissement. A New York par exemple, le manager a opté pour Bois Blond en référence à Central Park qui se trouve à deux pas. Notre force, c’est de disposer d’un portefeuille de senteurs pour la plupart à base d’agrumes, l’un des ingrédients de départ des parfums unisexes recherchés pour ce type de produits qui doivent convenir aux hommes comme aux femmes.  » Une contrainte qui explique certainement le succès toujours pas démenti de gammes dérivées de grands classiques comme L’Eau Dynamisante de Clarins, L’Eau d’Orange Verte d’Hermès ou encore L’Eau Parfumée au Thé Vert de Bulgari – déclinée désormais en version Bleu, Noir et Rouge afin d’élargir l’éventail des possibles pour les hôteliers.

Une porte d’entrée

Précurseur d’un secteur en pleine expansion, Groupe GM se charge depuis plus de quarante ans de développer les formules mais aussi les contenants miniatures de ces produits qui n’existent pas toujours en tant que tels dans l’assortiment de leurs clients, qu’il s’agisse par exemple de shampoing et d’après-shampoing pour Clarins ou d’une offre quasiment complète pour Codage – spécialisée à la base dans le soin visage sur mesure. A charge ensuite pour l’entreprise familiale de placer ces amenities dans un nombre et une catégorie d’hôtels correspondant aux attentes de leurs clients.  » Nous observons une vraie demande pour la nouveauté et surtout l’exclusivité de la part des hôteliers, reconnaît Stéphanie Thévenot, responsable communication de l’entreprise. Plus l’endroit se positionne comme luxe et niche, plus il voudra marquer sa différence par rapport à son concurrent, quitte à payer ses produits d’accueil plus cher, voire à demander qu’on lui développe un parfum sur mesure.  » Même constat d’ailleurs du côté des nouveaux acteurs de la cosmétique qui cherchent à limiter leur présence à une centaine d’établissements pour surprendre et séduire – tout en restant désirables car rares – les globe-trotters professionnels souvent blasés. Alors que l’opération en général ne coûte rien à la marque de beauté, elle peut, dans le cas de volumes importants, rapporter gros si celle-ci est rémunérée en royalties : selon sa taille, un hôtel consommera facilement plusieurs millions d’unités chaque année, leur prix pouvant aller de 20 à 50 centimes la pièce.

Chez Cinq Mondes, on a fait le pari de ne développer cette activité d’échantillonnage intelligent que dans des hôtels 4 ou 5-étoiles qui abritent également un spa travaillant avec la marque, dont les rituels de massage sont directement inspirés par des routines beauté venues du monde entier. Une forme d’invitation au voyage immobile, en quelque sorte.  » Aujourd’hui, spa et hôtellerie sont étroitement liés, note Jean-Louis Poiroux, cofondateur de la société implantée dans près de 150 établissements dans une vingtaine de pays. On estime désormais que 60 % des hôtels 4 et 5-étoiles sont équipés d’un spa contre 30 % à peine, il y a sept ans. C’est devenu un must au même titre qu’une salle de fitness ou une piscine. Les doses d’accueil que l’on retrouve dans les chambres sont en quelque sorte le prolongement de l’offre du spa. Elles nous amènent des clients curieux qui, séduits par un gel douche ou une brume d’oreiller, prennent ensuite rendez-vous pour un soin.  » Pour Rituals, ces miniatures sont une porte d’entrée idéale vers un univers qui positionne ses produits comme des adjuvants à l' » escapisme  » tellement dans l’air du temps.  » Notre passion, c’est de permettre aux gens de profiter consciemment des petites choses de la vie, même lorsqu’ils sont en voyage, justifie Niki Schilling, directrice de l’innovation. Nous les aidons à retrouver un peu de quiétude dans une vie trépidante.  » Présent dans plus de 25000 chambres d’hôtel et sur 125 bateaux de croisière, le label a également développé une gamme  » voyage  » réservée aux aéroports et propose des miniatures dans les trousses de voyage de dix compagnies aériennes – dont Brussels Airlines -, accompagnées d’un voucher réservant une réduction aux passagers qui souhaiteraient faire des achats dans les mois qui suivent.

Autre tendance de ce secteur en pleine ébullition : la conscience écologique des voyageurs, qui les pousse à rechercher de plus en plus de formules  » propres « , pourrait bien, à terme, coûter la vie à ces mini-formats au rapport contenu/contenant assez peu enviable. Si l’apparition de  » bidons  » de 300 ml de savon ou de shampoing vissés dans les douches casse légèrement le rêve, ceux-ci ne sont plus l’apanage des chaînes moyen de gamme, preuve que la réflexion sur la durabilité de l’activité hôtelière est bel et bien entamée. Tout comme les serviettes et les draps ne sont plus changés tous les jours, peut-être finira-t-on par limiter le nombre de miniatures dans les chambres. Même si, comparée aux opérations de sampling sauvage encore en vigueur dans les parfumeries, cette distribution ciblée d’échantillons, souvent appréciés et véritablement utilisés, n’a certainement pas la plus élevée des empreintes carbone.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content