Le nouveau visage des tops

A chaque Fashion Week, des milliers de mannequins défilent sur les podiums, mais seules quelques élues se partagent les contrats publicitaires. Zoom sur ces modèles qui définissent la beauté de la saison.

Presque 2 millions d’euros. La vente orchestrée par Christie’s fin septembre dernier, à Londres, des 48 oeuvres d’art représentant Kate Moss a dépassé toutes les espérances. Preuve, s’il en est, que le mannequin est bel est bien devenu une star de notre société, au-delà du petit cercle de la mode. « La Brindille » fait toujours partie des modèles les mieux payés du monde et continue, à bientôt 40 ans, de séduire les marques. Un tabloïd britannique a cependant révélé qu’elle avait dernièrement bénéficié d’une doublure corps pour une publicité. Un modèle plus jeune aurait tourné des plans du spot télévisé. Un comble ! Et le signe que les marques ne font plus appel aux mannequins pour de simples critères esthétiques, mais pour ce qu’elles dégagent et incarnent.

Le nombre de tops, lui, a explosé depuis le milieu des années 2000. « Avant cette ère, les marques se disputaient une poignée de filles, très demandées, qui tenaient les rênes du milieu et définissaient les critères esthétiques », explique Vick Mihaci, président de l’agence de mannequins Elite Model Management. Et puis, le rythme de production des collections a changé. « Il y a encore une dizaine d’années, on attendait les mannequins pour ajuster et coudre les vêtements sur elles. Aujourd’hui, c’est l’inverse. Ils sont fabriqués, puis les filles doivent rentrer dedans pour défiler : c’est quitte ou double. » Du coup, les corps se sont standardisés. La diversité de taille n’existe plus. L’arrivée de modèles originaires du monde entier sur le marché, depuis le milieu des années 2000, a également changé la donne : « Aujourd’hui, être grande ne suffit plus. Dans les agences, on voit tous les jours des filles qui mesurent au moins 1,78 mètre : ce n’est plus le seul critère déterminant, » poursuit Vick Mihaci.

Cette uniformisation a un autre revers : les mannequins noirs, moyen-orientaux ou asiatiques sont toujours aussi peu nombreux sur les podiums. Dans ce contexte, mettre en avant sa singularité est un atout. D’où l’apparition de beautés iconoclastes, dans les séries mode d’abord, dans les campagnes de pub ensuite. « Les allures étranges sont utilisées pour représenter une tendance particulière, explique Vick Mihaci. Lily McMenamy, par exemple, possède un visage très punk, elle incarne parfaitement un esprit, une collection, une maison. »

Que l’on possède une particularité ou non, il faut connaître et maîtriser sa beauté pour réussir. « Devenir mannequin, c’est toute une éducation : pour être un visage qui compte, il faut quatre ou cinq ans d’expérience au minimum. » La base : être disponible et avenante alors que l’on sort à peine de l’adolescence ; savoir travailler vite et bien, sur un shooting, avec une équipe inconnue et une bonne dose de pression.

Celles qui tirent leur épingle du jeu sont celles qui ont une certaine maturité. On ne compte plus les mannequins « âgés » qui caracolent en haut des affiches. Au hasard, la sublime Saskia de Brauw (32 ans), visage d’Armani Beauté, l’étrange MariaCarla (33 ans) chez Givenchy et l’indéboulonnable Gisele Bündchen (33 ans), icône healthy, chez Chanel. En les choisissant, les marques prennent le parti des valeurs sûres. « Une image comporte tellement d’enjeux financiers qu’elles préfèrent utiliser une femme qui est connue et qui a déjà fait ses preuves plutôt qu’une novice », observe Vick Mihacy. La concurrence entre mannequins est aujourd’hui telle que bon nombre de jeunes recrues n’ont pas le temps de faire leurs preuves et d’accumuler les expériences qui enrichissent leurs palettes d’expression. Pourtant, rien ne remplace ces moments d’apprentissage, où le top doit jouer et apprendre à se glisser dans la peau d’un ou plusieurs personnages. Pour Christian Salmon, chercheur au CNRS et auteur de Kate Moss Machine, la versatilité est l’une des clés du succès des grands tops.

La faculté à provoquer l’empathie, ou l’identification, est le dernier secret des grands tops. Ne l’oublions pas, « le mannequin est très certainement le reflet d’une époque », rappelle Sylvie Lécallier, chargée de la collection photographique au musée Galliera, à Paris.

L’une d’entre elles l’a bien compris : la Britannique Cara Delevingne, du haut de ses 20 ans. Son ascension est extraordinaire : en deux ans et demi, elle a atteint le statut de star. Elle sait incarner l’esprit grunge d’une saison et le style tradi-chic de la maison Burberry. Mais sa success-story tient pour beaucoup à son talent de communicante.

Grâce au réseau social Instagram, où elle compte 2,6 millions d’abonnés, elle alimente quotidiennement son fil de photos personnelles. Ses grimaces, son look de garçon manqué et son humour trash sont le reflet parfait de sa génération. Ses écarts et ses imperfections la rendent bien plus attachante que de simples images sur papier glacé. Se mettre en scène, jouer un rôle, se montrer et faire parler : Cara maîtrise parfaitement les codes de son époque. Une future grande.

Par Valentine Pétry

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