Les figures du Body positivism, mouvement qui encourage à aimer ses rondeurs
Ashley Graham plaide pour une représentation réaliste des femmes dans les médias, fait la une de Vogue et encourage ses semblables à aimer leur corps. La top américaine est plus grande que la norme, mais ne la qualifiez surtout pas de » plus size » ! Rencontre… et tour d’horizon d’un mouvement décomplexé.
« Je m’appelle Ashley Graham. Je suis top et body activist. » C’est avec cette phrase que, il y a un an et demi, la belle Américaine entamait sa première conférence. En rendant hommage publiquement à ses bourrelets et à ses cuisses » qui se touchent « , la jeune femme entendait alors mettre à mal les canons esthétiques dominants. Aujourd’hui, son nom, et le message qu’elle véhicule, ont fait le tour de la planète mode. Mais la jolie brune refuse catégoriquement qu’on la qualifie de mannequin » plus size « , non pas pour nier une évidence, mais parce qu’elle trouve discriminatoire que seules les filles rondes aient besoin d’une étiquette.
Du haut de ses 29 ans, la jeune femme affiche déjà un beau CV : elle a fait la couverture de plusieurs magazines internationaux, a lancé ses lignes de lingerie et de maillots de bain et servi de modèle pour sa propre poupée Barbie. Très connectée, elle encourage chaque jour plus de 3 millions de fans sur Instagram à apprécier leur silhouette, martelant que toutes les femmes sont » belles et géniales « .
Et de fait, lorsque nous rencontrons Ashley Graham, avec son rire sonore et son usage immodéré de sobriquets affectueux, elle nous convainc rapidement du bien-fondé de son combat. Elle vient alors d’apprendre qu’elle sera le nouveau visage de la griffe italienne Marina Rinaldi et décide de fêter cette nouvelle avec un verre de rosé sec et une pizza à la mozzarella et aux piments. » Ma belle-famille est de Calabre. Je sais ce qui est bon, chérie « , se justifie-t-elle. Le décor est planté.
Bio express
– Ashley Graham est née en 1987 et a grandi à Lincoln, dans le Nebraska.
– Elle est mariée au cinéaste Justin Ervin.
– Découverte à l’âge de 12 ans par l’agence de mannequins I&I, elle a notamment posé depuis pour Levi’s, H&M, Hanes et Target.
– En 2016, elle a été le premier mannequin « plus size » à faire la couverture du numéro spécial de Sports Illustrated consacré aux maillots de bain.
– Elle travaille pour IMG Models et Ford Models.
– A côté du mannequinat, Ashley Graham milite pour le positivisme corporel et est membre du mouvement Health at Every Size.
Rêviez-vous de devenir top lorsque vous étiez enfant ?
Petite, j’adorais regarder 1, rue Sésame et Barney. Je me voyais donc en chauffeuse de taxi. Malheureusement, cela ne s’est pas fait. Je n’ai jamais envisagé une carrière dans le mannequinat. Et pourtant, j’avais tout juste 12 ans quand je me suis fait aborder par un agent, dans un centre commercial. A la maison, on m’a toujours appris à relever les défis et à saisir les occasions et j’ai vite trouvé amusant de poser devant l’objectif.
L’assurance que vous affichez au quotidien est-elle le fruit de votre éducation ?
Certainement, mais elle m’est venue progressivement. Adolescente, j’étais très peu sûre de moi. J’avais la poitrine et les hanches les plus volumineuses de la classe et j’ai eu mes règles avant toutes mes copines : je détestais cela. Quand j’en parlais à ma mère, elle n’y allait pas par quatre chemins et me disait que je ne serais pas moi-même si je ressemblais à mes copines. Et que si j’étais petite et fine de taille, je ne correspondrais pas au reste de la famille… Bien sûr, la confiance en soi est le résultat d’un processus qui vous confronte régulièrement à vous-même. Mon moral a donc connu des hauts et des bas. Mais le bon sens de ma mamam m’est resté et a fait de moi ce que je suis.
Quand en avez-vous eu marre de cette étiquette » plus size » ?
Mon ancien agent a semé cette petite graine dans ma tête, il y a quelques années déjà. Elle recherchait sans cesse des expressions de substitution car elle trouvait celle-là péjorative. J’ai alors pris conscience du fait que j’avais toujours besoin d’un qualificatif, alors que les filles de taille 32 ou 34 se présentent tout simplement comme des » mannequins « . Je trouvais dingue qu’on ne puisse pas toutes travailler sous un dénominateur commun. J’ai un jour posé la question haut et fort, et depuis, je n’ai cessé d’enfoncer le clou.
La diversité corporelle fait davantage parler d’elle. Est-ce un tournant, selon vous ?
Oui et non. Nous n’y sommes pas encore, loin s’en faut. Le fait que je doive accorder des entretiens sur la diversité ou le positivisme corporel montre bien que ces sujets sont encore considérés comme étant hors normes. D’un autre côté, il y a eu énormément de changement depuis le début de ma carrière, il y a dix-sept ans. Attendez encore une décennie, et nous parlerons enfin d’autre chose.
Certains estiment que cette volonté de faire défiler des filles différentes est une tendance, pas une véritable évolution…
C’est n’importe quoi ! Le mouvement de la diversité corporelle est très présent sur les réseaux sociaux, au travers d’hommes et de femmes qui se mettent en avant et font entendre leur voix. Grâce au Web, nous savons désormais mieux que jamais ce que le public veut : se reconnaître et voir son âge, sa couleur de peau, son sexe et son origine représentés dans la culture populaire. Ce n’est pas une tendance, c’est la nouvelle réalité. Tôt ou tard, les maisons de couture et les médias devront en tenir compte.
Honnêtement, auriez-vous une telle influence dans ce débat si vous faisiez un simple 36 ou 38 ?
Evidemment que non ! Mais si je parle sans doute plus aux femmes qui s’habillent en 44 ou 46, je plaide aussi pour la diversité en général. Je pense qu’il est important que d’autres personnes se manifestent et partagent leur expérience comme je le fais. Des filles enveloppées ou maigres, petites ou grandes, au teint pâle ou bronzées, à la peau lisse ou ridée…
Cela dit, au sein même des » plus size « , il y a encore du chemin à parcourir. Certes vous portez du 44, mais vous avez la silhouette en sablier idéale. Ce que beaucoup de femmes de votre gabarit n’ont probablement pas…
En effet. Même au sein de la communauté » plus size « , il y a de l’exclusion. Je l’ai constaté assez vite. A l’âge de 15 ou 16 ans, j’avais décroché ma première grande campagne. Pendant le casting, on m’a demandé de soulever mon tee-shirt. Ils étaient soulagés de voir que mon ventre était » plat et lisse « . On aurait vraiment dit qu’ils cherchaient une taille 32, mais avec un peu plus de volume – une version plus généreuse de la norme, en quelque sorte. Je pense que c’est dû, en grande partie, aux tailles des échantillons que les magazines de mode et les stylistes peuvent emprunter pour leur shootings. Si l’on ne vous envoie qu’un 34 avec une taille fine, soit la fameuse taille zéro, il faut évidemment trouver des filles qui rentrent dans ces vêtements. Sinon, pas de séance photo et pas de défilé.
Quand vous faisiez la couverture de Vogue, certaines griffes refusaient d’envoyer leur collection…
Il faudrait que les créateurs soient prêts à confectionner et présenter des vêtements dans ces grandes tailles, que les boutiques les achètent et, enfin, que les clientes osent franchir le seuil de ces magasins. Très peu de femmes savent qu’elles peuvent demander un 46 chez Prada et qu’au besoin, la marque le fera fabriquer sur commande. Même celles qui font un 42 » normal » ne se hasardent pas dans ce genre d’enseignes, car elles sont convaincues qu’on n’aura rien à leur proposer. Du coup, ces tailles ne se vendent pas et c’est un cercle vicieux.
La griffe Marina Rinaldi, dont vous êtes ambassadrice, se focalise sur ces grandes tailles, et pourtant, elle n’en fait pas étalage.
Sa réflexion sort des sentiers battus, raison pour laquelle nous nous entendons à merveille. Cette marque part vraiment du corps de la femme et de sa grande diversité. Lorsque des labels proposent des modèles XL, ils se bornent souvent à produire leurs vêtements » ordinaires » à une plus grande échelle, c’est-à-dire en les élargissant un peu. Chez Marina Rinaldi, on comprend qu’une femme qui fait un 46 n’a pas besoin d’un » grand 38 » et veut aussi s’habiller coquettement, mettre en valeur son corps et respirer le luxe.
Est-ce difficile de garder en permanence une attitude positive vis-à-vis de son apparence ?
Evidemment, mais je m’efforce de ne pas laisser libre cours aux sentiments négatifs et quand des bourrelets débordent de ma ceinture après les fêtes, je n’en fais pas une obsession. Mon poids ne me pose plus problème depuis longtemps. Je suis en bonne santé, c’est le principal. Je fais régulièrement des analyses sanguines…
Pourquoi insistez-vous toujours sur votre bon état de santé alors que cela relève de votre vie privée ?
Les femmes comme moi s’entendent souvent dire qu’elles font la promotion de l’obésité. Je ne devrais pas communiquer sur mon IMC ou mon taux de cholestérol, mais cela ne me pose aucun problème si cela contribue à réduire la stigmatisation. Du reste, les tops de taille standard doivent aussi composer avec les préjugés sur leur santé. Il est frappant de voir à quel point le corps de la femme peut faire l’objet d’un débat public. Quand je publie sur Instagram des photos qui m’amincissent parce qu’elles sont prises sous un angle différent, je passe pour une traîtresse. En revanche, les images vues de face font dire que je n’ai pas l’air bien. Trop maigre, trop grosse, trop dénudée, trop couverte… La femme est toujours » trop » quelque chose.
De nos jours, les tops prennent de plus en plus position sur des questions sociales telles que le sexisme, le racisme ou l’environnement. Leur rôle a-t-il évolué ?
Certainement. De plus en plus de filles dans le milieu sont conscientes de la portée de leur voix. Elles se rendent compte qu’elles ne sont pas seulement » jolies « . Et il est important qu’elles se considèrent comme des modèles. De cette manière, elles prendront mieux soin de leur environnement, mais aussi d’elles-mêmes. On a tous le droit d’être plus attentionné envers soi-même.
Vous conseillez aux femmes de se dire chaque jour quelque chose de positif en se voyant dans le miroir. Que vous êtes-vous dit aujourd’hui ?
Tu as l’air formidable, profite bien de ta pizza !
Une question de taille…
En février dernier, Ashley Graham faisait découvrir sa campagne Swimsuits for all, lors de la Fashion Week de New York. Cette vidéo, qui met en valeur ses courbes voluptueuses, s’inscrit plus largement dans le mouvement du body activism.
Et la top américaine est loin d’être la seule à s’impliquer. Précurseur en la matière, la marque Dove vient de s’associer au photographe Mario Testino pour réaliser une galerie de portraits célébrant toutes les beautés. Et, depuis quelques années, de plus en plus de griffes font défiler des femmes dites « rondes » ou « normales » sur les podiums.
Ce fut encore le cas lors des récentes semaines de la mode, avec Michael Kors, Prabal Gurung ou Dolce & Gabbana. Mais à côté de ces initiatives positives, on en compte encore trop qui sont à tout le moins maladroites. Ainsi de la dernière campagne Zara : deux filles filiformes pour encourager les femmes à aimer leurs formes, ça passe plutôt mal…
Raison de plus pour de nombreux modèles grandes tailles d’essayer de changer les mentalités.
E.S.
8 figures du body activisme
Tara Lynn – La pionnière
En couverture d’Elle France ou encore de Vogue Italie, Tara Lynn a beaucoup fait parler d’elle. Bien qu’elle soit aujourd’hui un peu en retrait, elle reste une référence lorsqu’on évoque les femmes aux courbes généreuses. Très à l’aise avec ses mensurations, elle n’a jamais hésité à montrer son corps et ce même après sa grossesse, affichant fièrement ses kilos en plus sur son compte Instagram.
Sabina Karlsson – La reconvertie
Elle est suédoise et fait tourner les têtes avec ses taches de rousseur et sa chevelure flamboyante. En 2016, elle ouvrait et fermait le show pour Chromat lors de la Fashion Week de New York. Il y a encore quelques années, elle était ce qu’on appelle un mannequin « normal ». Passée volontairement d’une taille 34 à une taille 44, la top a décidé d’arrêter de se battre contre son corps, un choix audacieux et libérateur.
Denise Bidot – La décomplexée
Denise Bidot est une sommité parmi les tops plus size. Photographiée en maillot dans le numéro de février de Sports Illustrated, l’Américaine de 30 ans affiche zéro complexe en exhibant ses vergetures. Elle a également créé le mouvement There Is No Wrong Way to Be A Woman, destiné à encourager les femmes à embrasser leur beauté unique. Et dans le courant de ce printemps, on pourra la retrouver à l’affiche du documentaire Straight/Curve, programmé aux Etats-Unis.
Shay Neary – La courageuse
Premier modèle grande taille et transgenre, Shay Neary mène un double combat. Alors qu’elle pose pour la campagne de l’e-shop Coverstory, elle devient également la porte-parole d’une minorité qui doit faire face au monde impitoyable de la mode. Elle prône la diversité, notamment via les réseaux sociaux, afin de permettre aux jeunes filles d’avoir un aperçu plus réel du monde dans lequel elles vivent.
Alessandra Garcia Lorido – La « fille de »
Petite nouvelle dans le monde des mannequins plus size, la fille de l’acteur Andy Garcia y entre directement par la grande porte. Egérie Marina Rinaldi en 2016, elle a également défilé pour la griffe Dolce & Gabbana à la Fashion Week de Milan de cette année. L’influenceuse de 25 ans a déjà créé sa marque, Healthy is the New Skinny, afin de promouvoir l’image d’un corps en bonne santé.
Clémentine Desseaux – L’expatriée
Elle est française, mais a décidé de s’installer aux Etats-Unis, là où sa carrière a réellement commencé à décoller. Egérie pour les maquillages Louboutin en 2015, elle est l’une des fondatrices (avec Charli Howard) d’All Woman project. Le principe ? Réaliser des campagnes photo destinées à célébrer la diversité des corps. La deuxième a d’ailleurs été lancée en début d’année.
Candice Huffine – La valeur sûre
En 2015, elle est le premier top plus size à apparaître dans le calendrier Pirelli. A presque trente ans, Candice Huffine voit sa carrière décoller à l’international. Cette année, elle défilait à la Fashion Week de New York pour Prabal Gurung ou Christian Siriano. En 2016, elle a créé le projet Start en collaboration avec le magazine Women’s Running, afin d’encourager les femmes à aller courir et ce même si elles sont rondes.
Tess Holliday – L’ambassadrice
Malgré sa taille 50, cette Américaine de 31 ans signe avec l’agence MILK Management au Royaume-Uni en 2013. Une première pour un modèle de cette stature. La même année, elle met en place son mouvement #effyourbeautystandards sur le Net et rejoint les rangs des militantes du body positivism. On peut actuellement l’apercevoir dans la campagne de maillots de bain du label ModCloth, qui prône tous les types de corps.
E.S.
3 questions à Camille Ronti
Diplômée de l’ULB d’un master en arts du spectacle, elle présente son mémoire en 2015 sur le thème « Le mot gros, un gros mot ? ». Cette militante et féministe prépare une thèse de doctorat sur le même sujet, en association avec le FNRS.
Qu’est-ce que le body activism ?
Il s’agit d’un mouvement né de revendications personnelles, mais définitivement politiques. Il prône la célébration et l’acceptation de tous les corps. Il est ancré dans le féminisme et dénonce les discriminations corporelles dans leur ensemble.
Pourquoi en parle-t-on de plus en plus ?
Aujourd’hui, il y a une réelle volonté de briser l’image hégémonique des corps. Mais ça a surtout été repris par la société capitaliste patriarcale, celle-là même qui met en marge ces silhouettes « hors normes ». Le capitalisme récupère ces luttes pour les commercialiser. Certaines grandes marques sortent des vêtements plus size et c’est évidemment bien, parce que l’important c’est qu’on en parle. Mais ça reste de la réappropriation par un système que l’on dénonce à la base.
Et qu’en est-il du body positivism dans la mode ?
Je pense que c’est un premier pas. Le problème, c’est que ce n’est une représentation ni réaliste, ni subversive, mais à nouveau extrêmement normative. Si on fait du 42, qu’on est épilée, qu’on n’a pas de cellulite, qu’on est très féminine, alors oui, ça passe. Mais le reste est toujours considéré comme trop divergent. Le système continue à marginaliser les corps différents de ceux qu’on nous montre dans les médias.
E.S.
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