« Mon job, c’est de raconter des histoires »: Laurence Semichon, directrice de création de Diptyque

© Renaud Callebaut
Isabelle Willot

L’univers de la beauté l’a toujours fascinée. Son diplôme d’école de commerce en poche, Laurence Semichon (45 ans) a travaillé pour les plus grands avant de devenir la vice-présidente de Diptyque en septembre 2019. La marque parisienne, célèbre pour ses bougies parfumées et ses fragrances libres de genre, ne cesse de se réinventer avec raffinement depuis soixante ans.

J’ai toujours adoré les « trucs de fille ». Les crèmes, le maquillage, les parfums surtout. Ado, j’étais attirée par les bombes nucléaires olfactives. Je n’en reviens pas qu’à 14 ans, mes parents me laissaient porter Byzance de Rochas. Faire carrière dans la beauté, c’était un rêve de gosse même si j’ai vite compris, et heureusement, que la créa’ pure, ce n’était pas pour moi. A cause de mon côté cartésien, sans doute, qui me permet en revanche d’être le relais des artistes – les nez, les graphistes, les plasticiens – qui travaillent avec Diptyque. Mon job, c’est de raconter des histoires, d’inventer des récits qui seront interprétés par nos parfumeurs. C’est de ce dialogue, de cette alchimie que naissent nos parfums.

Accueillir plus de diversitu0026#xE9;, c’est aussi s’assurer de s’inspirer d’un hu0026#xE9;ritage sans le piller.

On a tous une senteur qui nous ramène en enfance. La mienne, c’est celle des buis du jardin de mon grand-père, les gens vous diront que pour eux cela sent la pisse de chat mais moi, cela me replonge immédiatement dans le verger et le potager, pas très grand mais bien tenu. Je retrouve l’odeur de l’herbe fraîchement coupée mariée au goût des groseilles et des framboises mangées, à peine cueillies, qui évoquent la gourmandise et le plaisir. Aujourd’hui, je cultive le mien, il n’y a rien de mieux que de voir sa récolte de tomates détruite par le mildiou pour apprendre l’humilité.

Tant que je m’amuse et que ce que je fais convient à tout le monde, je suis au paradis. Après avoir passé dix ans chez Givenchy, j’ai eu la chance de lancer les parfums Louis Vuitton. Avec le maître parfumeur Jacques Cavallier, c’est comme si nous avions piloté durant huit ans une start-up au milieu d’un paquebot géant. Il n’y a rien de plus stimulant que de travailler avec des créatifs – ce n’est pas par hasard que je me suis mariée avec un artiste.

La parfumerie aura tout à gagner à se montrer plus inclusive. La parité homme-femme dans notre milieu est plutôt bien respectée, l’homosexualité n’est plus taboue. En créant L’Eau, en 1968, Diptyque a été à l’initiative des premiers parfums libres de genre et tous ses parfums le sont restés. S’il y a des progrès à faire dans l’univers du parfum, c’est en matière de diversité culturelle, parmi les nez, mais aussi au sein des équipes créatives des maisons. Le monde entier est source d’inspiration pour les parfumeurs, cela va au-delà du sourçage des matières premières. Accueillir plus de diversité, c’est aussi s’assurer de s’inspirer d’un héritage sans le piller. La ligne peut être ténue, sauf si on le fait avec sincérité et empathie.

Offrir une fragrance à quelqu’un, c’est une manière de lui dire comment on l’imagine. C’est un cadeau engageant qui peut révéler de belles surprises mais qui demande aussi de celui qui le reçoit d’être prêt à l’accueillir. J’aime l’idée de participer à la création de jus qui seront portés sur plusieurs générations, qu’ils deviennent partie prenante d’une identité, qu’ils puissent évoquer un jour, pour une enfant, l’odeur de son père ou de sa mère. Un souvenir puissant et merveilleux.

L’image d’un parfum est essentielle à l’heure du digital où chacun est en quête de singularité. C’est pour cela que nous apportons tant d’attention à l’esthétique des flacons et emballages. L’ovale omniprésent est comme une fenêtre dans laquelle on plonge. Nos étiquettes dessinées par des artistes sont nos égéries. Chacune de nos créations se doit d’être fidèle à l’imaginaire de la maison, nourri par l’amour qu’avaient les fondateurs de la nature, des voyages, de la Grèce et la Rome antiques. Des éléments présents dans la collection Le Grand Tour (*), lancée pour nos 60 ans.

Les confinements nous ont forcés à fractionner notre foyer en petits univers. A la maison, comme nous ne pouvions plus aller au musée, ce que nous faisions tout le temps auparavant, nous nous sommes constitué une petite galerie personnelle dans laquelle nous exposions les dessins et constructions que mon mari réalisait avec notre fils de 4 ans. Les gens qui ne pouvaient plus sortir se sont mis à vouloir voyager de la cuisine à la salle de bains, en passant par le salon, en cherchant le moyen de parfumer différemment les pièces de leur intérieur, à amener de la variété au sein d’un lieu jusque-là perçu comme un tout. Ce constat nous a amenés à imaginer de nouvelles manières de jouer sur la diffusion olfactive. En proposant par exemple des cierges qui parfumeront les tables de fêtes sans écraser le fumet du repas.

(*) Disponible chez Senteurs d’Ailleurs, senteursdailleurs.com

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