Professeur David Sinclair : « Le vieillissement n’est plus une fatalité »

Le professeur David Sinclair dans son laboratoire à Boston, à l'Harvard Medical School Caudalie
Le professeur David Sinclair dans son laboratoire à Boston, à l'Harvard Medical School © GEtty Images
Isabelle Willot

Pourra-t-on un jour ralentir, voire inverser le vieillissement? Plusieurs chercheurs le pensent. Leurs découvertes connaissent aujourd’hui des applications cosmétiques. Le professeur David Sinclair n’hésite pas à qualifier la vieillesse de « maladie ». Il nous a accordé une rare interview sans tabou.

Lorsqu’il évoque le vieillissement, David Sinclair n’y va pas de main morte. Si ce chercheur de l’université de Harvard n’hésite pas à parler de «maladie» pour qualifier cet état qui nous attend tous, ce n’est pas pour glorifier le jeunisme. Mais pour nous pousser à mieux comprendre ce qui nous fait vieillir. Son objectif? Trouver les moyens, parce qu’ils sont nombreux, de nous aider à rester jeune mais surtout en bonne santé le plus longtemps possible. Et il est loin d’être le seul à penser de la sorte.

A Montpellier, le biologiste Jean-Marc Lemaitre se demande également comment guérir de la vieillesse. Tous deux viennent de sortir des ouvrages de vulgarisation passionnants (*). Pour le chercheur français, c’est au niveau de ce qu’il appelle les «cellules zombies» (voir notre encadré plus bas) qu’il convient d’agir. David Sinclair estime pour sa part que si nous vieillissons, c’est parce que notre «programme» ne fonctionne plus aussi bien. Il focalise ses travaux sur des enzymes appelées sirtuines, qui agissent comme des curseurs de vieillissement qu’il a pu pousser, lors d’expériences sur des souris, dans un sens ou dans l’autre.

L’industrie cosmétique aux aguets

Toutes ces découvertes ne manquent pas d’attiser la curiosité de l’industrie cosmétique. De plus en plus de marques ont développé des partenariats avec ces chercheurs de renommée mondiale (voir aussi notre sélection de produits). C’est le cas de Caudalie qui travaille avec David Sinclair depuis plus de dix ans. Le fruit de ses travaux sur les enzymes se retrouve aujourd’hui au cœur de la nouvelle formule de la gamme Premier Cru. De ces récentes découvertes, il ressort qu’une approche un peu simpliste centrée sur un seul ingrédient, certes capable de traiter un symptôme donné du vieillissement, ne permet pas en revanche de s’attaquer réellement à la cause. Et de la contrer. Mais aurons-nous toujours besoin de cosmétiques si l’on parvient un jour à arrêter le temps ou même à l’inverser? C’est de sa cuisine, à l’heure américaine d’un petit-déjeuner qu’il ne prend jamais, que celui que certains qualifient de gourou de la longévité nous a accordé une rare interview sans tabou.

Pensez-vous qu’un jour nous pourrons vivre éternellement?

L’immortalité n’est pas du tout à notre portée. Mais les recherches actuelles, encore en développement, pourront certainement permettre à bon nombre d’entre nous de vivre au moins dix ans de plus en bonne santé. J’insiste sur cette nuance qui a son importance. C’est la santé qui va assurer la longévité. Nous devons changer de paradigme. La question à se poser n’est pas «que dois-je faire pour ne pas vieillir?» mais «comment faire pour rester jeune?»

‘Ce n’est pas le temps qui passe, le problème. En laboratoire, nous sommes aujourd’hui aptes à contrôler le vieillissement, accélérer les mécanismes… ou au contraire les inverser.’

Ne craignez-vous pas d’être accusé de jeunisme?

Non, car cette perception vient du fait que nous restons sur une vision du vieillissement – en médecine comme en cosmétique – qui n’est plus en phase avec ce que l’on sait aujourd’hui. On a longtemps cru que c’était inéluctable, que c’était dû au temps qui passe et au ralentissement de l’activité de nos cellules. Mais ce n’est pas le temps qui passe, le problème. En laboratoire, nous sommes aujourd’hui aptes à contrôler le vieillissement, accélérer les mécanismes… ou au contraire les inverser. Ce n’est désormais qu’une question de temps pour que nous ayons accès à des molécules – et celles que j’ai développées avec Caudalie sont à la pointe en ce sens – qui soient capables de ralentir le vieillissement de la peau mais aussi des autres organes du corps.

Vous qualifiez le vieillissement de maladie. Ce n’est pas forcément comme cela que nous avons envie d’envisager notre vieillesse…

Mais vieillir, c’est une expérience négative! Je ne comprends pas pourquoi il faut se voiler la face Si la vieillesse n’est pas une maladie, dites-moi ce que c’est car d’un point de vue médical, ça coche toutes les cases. Cela va nous rendre malade, détruire notre qualité de vie. Si cela dérange les gens d’apprendre qu’en vieillissant, ils vont devoir faire face à des soucis médicaux qui vont finir par les tuer, ce n’est pas mon problème. Je préfère aider à prévenir cet état de fait. Si l’on se dit même qu’il s’agit d’un phénomène «naturel», cela n’implique pas qu’il faut rester passif. Il y a cent ans, on considérait aussi le cancer ou la démence comme un phénomène naturel mais tout le monde est bien content aujourd’hui que l’on puisse combattre ces maladies. Pourquoi vieillir serait-il différent? Cela me fait dire au contraire que nous devrions être encore plus combatifs pour contrôler les processus en amont au lieu de faire comme si cela n’existait pas et éviter de prononcer certains mots parce qu’ils pourraient blesser.

Notre ADN n’est pas seul responsable de notre vieillissement © Getty Images

Pour convaincre les plus réticents, vous avez imaginé une machine à enfiler qui permet de simuler l’état de vieillesse…

Oui, c’est une sorte d’armure qui va entraver vos mouvements au niveau des articulations, limiter votre vision avec des verres floutés, réduire votre ouïe. Imaginez en plus la douleur – souvent fréquente à un âge avancé – mais que bien sûr nous ne simulons pas. Lors d’une conférence organisée par CNN, j’ai proposé au gouverneur du Massachusetts de mettre ce costume. Il en est sorti en larmes au bout de dix minutes. Cette expérience a changé sa vie: il a réalisé d’un coup ce que ressentait au quotidien son père plus âgé. Il a compris à quel point il était essentiel de regarder la vieillesse autrement, que c’était un état dans lequel il avait envie de se trouver le plus tard possible. Et ce dispositif ne s’accompagnait pas de pertes cognitives…

Si ce n’est pas inéluctable, que se passe-t-il alors lorsque nous vieillissons? Et comment peut-on agir concrètement?

De manière imagée, ma théorie, c’est qu’au fil du temps, notre corps perd les informations qui nous maintiennent jeunes. L’information nécessaire au bon fonctionnement du corps est conservée de deux manières. La première, que je qualifierais de digitale, c’est ce que l’on appelle le génome. La seconde, analogique, que l’on appelle l’épigénome, sur laquelle notre mode de vie a une énorme influence. C’est un programme qui se lance lorsque nous sommes des embryons et qui au départ fonctionne très bien pour la plupart des gens. C’est lui qui dicte aux gènes comment faire fonctionner le cerveau, le foie et les reins de manière optimale. Mais avec le temps, le programme va bugger. Un peu comme si votre software était corrompu. Si vous voulez une autre image, imaginez des griffes sur un CD qui vous empêchent de lire correctement la musique. Mais votre ordinateur ou votre lecteur fonctionne encore. Ce que nous disent ces analogies, c’est que l’information pour relancer le système n’est pas perdue. Il faut juste polir le CD. Réinitialiser la machine. Ce sont des faits démontrés, certains de mes collègues ont découvert ces dernières années qu’il existe une copie back-up de ces informations qui peut être relancée.

La pilule de longévité n’est pas pour demain © Getty Images

Prendrons-nous bientôt tous le matin une pilule de longévité?

La pilule de jouvence n’est pas pour demain mais je vous confirme que des études très prometteuses sont en cours aujourd’hui et pas seulement dans notre labo. Elles concernent entre autres la metformine – un médicament prescrit aux personnes atteintes de diabète de type 2 – mais aussi le NMN (NDLR: nicotinamide mononucléotide qui agit sur les fonctions musculaires). Les indicateurs sont bons mais ce genre d’études prend beaucoup de temps. Car le vieillissement est multifactoriel. De toute façon, il ne m’appartient pas de donner des avis médicaux, de conseiller de prendre telle ou telle molécule, je suis docteur en biologie, pas médecin. En revanche, ce que l’on sait déjà, c’est qu’il n’y a rien de pire pour la longévité qu’un corps en situation d’abondance.

Est-ce pour cette raison que vous vous préconisez le jeûne au quotidien?

Exactement, je ne prends qu’un seul repas complet par jour sauf dans des circonstances sociales exceptionnelles. Je fais aussi beaucoup d’exercice, je travaille debout à mon bureau, je marche dès que je le peux, je ne prends jamais l’ascenseur. Mon corps est toujours en alerte, prêt à se battre contre les phénomènes de vieillissement. Je ne dis pas que je suis un top-modèle mais j’ai 53 ans et je n’ai pas de rides ni de cheveux gris. Mon père est encore un meilleur exemple: il a un style de vie assez semblable au mien, il fait même plus d’exercice car il est retraité. Il est dans un état de santé que tout le monde voudrait atteindre à son âge. Surtout, il a une aussi bonne santé cognitive que lorsqu’il avait 40 ans.

C’est sur notre visage que se marquent les premiers signes visibles de l’âge. Que se passe-t-il dans notre peau en particulier?

D’un point de vue fondamental, les cellules de la peau perdent leur identité et commencent à se comporter comme d’autres cellules. Elles oublient ce qu’elles doivent faire et cela se traduit par des altérations d’épaisseur, un affaissement des muscles qui va provoquer des rides. Les taches apparaissent car nous produisons plus de mélanine. Chercher à y remédier avec du Botox, c’est s’adresser aux symptômes du vieillissement, pas à la cause. Ce que peuvent en revanche faire les cosmétiques. Cela fait dix ans que je travaille avec Caudalie au développement de molécules qui vont activer les défenses des cellules et ralentir le vieillissement.

La chasse aux cellules zombies

Les cellules dites zombies ou sénescentes désignent des cellules âgées, abîmées, qui refusent de disparaître à la fin de leur cycle de vie. Elles errent dans les tissus et ce faisant contaminent les cellules saines qui vont à leur tour commencer à dysfonctionner. C’est une sorte de cercle vicieux. Si on estime qu’à 20 ans, nous avons environ 1% de cellules zombies dans notre organisme, le chiffre monte à 20% à partir de 60 ans. La recherche médicale travaille aujourd’hui très largement sur des molécules capables de détruire les cellules zombies. Si leur présence dans la peau se traduit entre autres par une diminution de fermeté et par l’apparition des rides, elle peut être bien plus lourde de conséquences dans d’autres parties du corps, comme les articulations ou le cerveau.

A partir de quel âge devons-nous agir pour ralentir le vieillissement?

Si l’on parle des cosmétiques, je dirais dès l’âge de 20 ans car vous protégerez votre peau des dommages de l’ADN directement liés à l’environnement, en particulier le soleil. Pour la pratique du jeûne par exemple, c’est une question de balance individuelle des risques et des avantages. Ce n’est pas à prendre à la légère. Si vous devenez végétalien, il faut être sûr que vous ne développez pas de carences. Dès que vous modifiez votre régime, que vous faites du sport intensivement ou que vous vous supplémentez, il est important d’être suivi par un médecin qui réalisera des tests sanguins régulièrement. Je n’aime pas donner de recommandations générales car chaque personne va réagir de manière individuelle. Chaque corps est génétiquement différent, il en va de même pour notre microbiome. Le sexe aussi a de l’influence.

Le resvératrol issu des raisins est un puissant antioxydant recommandé par le professeur Sinclair © Getty Images

Ces avancées dont vous parlez, ce style de vie que vous préconisez, ne seront-ils pas réservés qu’à une élite qui pourra vieillir mieux que la plupart des gens?

Parmi les médicaments ou les suppléments qui sont à l’étude, la metformine, par exemple, ou le resvératrol sont des produits très peu coûteux. Et leur prix diminuera encore si le nombre d’utilisateurs augmente. Et même si cela a un coût, il sera toujours moins cher à long terme pour nos services de santé publique de maintenir les gens en bonne santé le plus longtemps possible que de soigner des maladies graves. On parle ici de milliers de milliards de dollars d’économie que l’on pourrait investir dans la prévention, la recherche sur le vieillissement, l’éducation des individus. Notamment en les encourageant à manger moins de viande, ce qui sera aussi bénéfique pour le reste des espèces de la planète.

(*) Pourquoi nous vieillissons et pourquoi ce n’est pas une fatalité, par Dr David A. Sinclair, éditions Quanto. Guérir la vieillesse, par Jean-Marc Lemaitre, éditions Humensciences.

A CHAQUE MARQUE SON CHERCHEUR

Caudalie et David Sinclair (Harvard Medical School)

Début 2022, Caudalie a présenté une version complètement reformulée de sa ligne Premier Cru, développée avec le biologiste David Sinclair. Au bout de dix ans de travaux, ce ponte de la génétique a mis en avant les propriétés d’une enzyme baptisée TET, qui permet de ralentir voire même d’inverser le vieillissement des cellules si on lui donne un petit coup de pouce. Ce à quoi va s’employer le complexe breveté TET8 – une combinaison d’extrait de magnolia et de resvératrol – qui promet d’agir visiblement sur huit signes de l’âge.

Le sérum Premier Cru, Caudalie, 98,60 euros.

Dior et Vadim Gladyshev (Harvard Medical School)

C’est aussi avec Harvard que Dior a choisi de s’associer pour mener des recherches sur le «vieillissement inversé». Les résultats des travaux réalisés avec Vadim Gladyshev, sommité mondiale dans l’étude du génome et de ses applications sur le contrôle de la durée de vie, sont aujourd’hui d’application dans la dernière formule de la crème Prestige. On y retrouve une nouvelle fraction moléculaire de la rose de Granville qui, couplée avec des peptides, agit sur les indicateurs de jeunesse de la peau.

La Crème Dior Prestige, Dior, 375,50 euros.

Avène et Jean-Marc Lemaitre (Institut de médecine régénérative de Montpellier)

Arrivée en pharmacie tout début décembre, la gamme Hyaluron Activ B3 d’Avène est le fruit de six années de recherches menées en collaboration avec l’expert français des cellules zombies. La routine s’appuie entre autres sur un très haut dosage en niacinamide (6%) qui serait capable de retarder l’entrée en sénescence des cellules et de freiner la propagation du vieillissement dans la peau.

Le sérum concentré repulpant Hyaluron Activ B3, Avène, 45,80 euros.

Chanel et Johannes Grillari (Ludwig Boltzmann Institute de Vienne)

En août de cette année, Chanel a lancé la gamme Le Lift Pro, un projet qui a nécessité près de dix années de recherches en collaboration avec le professeur Johannes Grillari. Les études réalisées avec ce spécialiste du vieillissement ont démontré l’impact de l’accumulation des cellules sénescentes sur la matrice extracellulaire: la qualité du maillage de la peau est altérée et celui-ci perd sa capacité à maintenir les tissus en tension. Pour s’attaquer aux cellules «zombies», la marque a opté pour l’actif enzymatique de mélipone, un ingrédient naturel issu du miel.

Sérum concentré contours Le Lift Pro, Chanel, 125 euros.

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