Avoir 20 ans: La crise du quart de vie, nouvelle crise de la quarantaine?

. © ILLUSTRATION KRISTINA TZEKOVA

La vingtaine semble pour de plus en plus de jeunes un cap difficile à passer. Ils sont amenés à prendre des décisions importantes, qui vont de pair avec remises en question et parfois mal-être. Un symptôme de la société actuelle, sous pression et en constante évolution?

Avoir des doutes sur les études qu’ils ont entreprises, se poser des questions quant à leur avenir, qu’il soit professionnel ou privé, angoisser à l’idée de prendre la mauvaise décision, ressentir le besoin de sortir des rails sur lesquels ils viennent à peine de s’engager… Les jeunes adultes d’aujourd’hui sont fréquemment assaillis de questions existentielles quand il s’agit de sauter à pieds joints dans la vie active. Ils traversent ce que l’on appelle la crise du quart de vie (ou du quart de siècle), un concept non défini ni reconnu scientifiquement, mais qui touche, de différentes façons et plus souvent qu’on ne le pense, les 20-30 ans.

Ces adultes depuis peu se trouvent dans une période charnière, jalonnée de changements et d’étapes importantes. « C’est une tranche d’âge qui peut être source de beaucoup de dualités. Je reçois pas mal de jeunes tiraillés entre le fait de vouloir avancer dans la vie versus vouloir continuer à profiter. Une dichotomie entre la vie d’adolescent et les responsabilités et peurs liées à la vie d’adulte. Comme si les deux étaient incompatibles… Cette ambivalence ressentie peut amener à certaines difficultés, comme celle de trouver sa place et ressentir un sentiment d’appartenance au sein d’un groupe social, par exemple », souligne Jeanne Vriamont, psychologue et coordinatrice du CentrEmergence de Louvain-la-Neuve et psychologue au Centre PMS Libre.

« C’est comme si je devais faire le deuil de mon adolescence »

A ses 20 ans, Juliette rencontre une grosse période de doutes. Très stressée de nature, la jeune fille fait de la pleine conscience en séance individuelle et c’est l’élément déclencheur: « La praticienne me disait toujours que ce que je ressentais, je devais le laisser passer, ce n’était pas grave. Alors j’ai commencé à me demander ce qui avait du sens si rien n’était grave. Je me demandais pourquoi j’étais là, sur terre… » Un soir du mois de juin, après une session d’examens stressante, Juliette fait une crise de panique comme jamais auparavant. « J’ai eu l’impression que mon monde s’écroulait. J’avais chaud, je devais vomir, puis j’avais froid… Pendant un quart d’heure, j’ai cru que j’allais mourir tellement ça n’allait pas. Puis après ça, tous les soirs je pleurais… Je devais m’occuper l’esprit pour ne pas penser à ma vie et à ce que j’étais. » La Brabançonne estime aujourd’hui que c’est le passage de l’école secondaire aux études supérieures qui l’a réallement angoissée. « Je me suis sentie devenir adulte d’un coup. C’était terminé de rigoler. C’est comme si je devais faire le deuil de mon adolescence… » Grâce à un psychologue, le jeune femme a toutefois réussi à passer au-dessus de cette crise, à reprendre confiance et à se reconstruire. « C’était vraiment une période noire mais ce deuil m’a fait grandir », assure-t-elle désormais.

La nouvelle quarantaine?

La crise du quart de vie n’est pas tout à fait semblable à la crise de la quarantaine, car les questionnements diffèrent. « Dans la vie sociale, il y a des cycles, souligne Jacques Marquet, sociologue de la famille à l’UCLouvain. Le cycle professionnel, le cycle amoureux ou conjugal… Le fait de chercher un boulot, chercher un partenaire, se mettre en couple, avoir des enfants, arriver à la retraite… Ce sont des marqueurs importants. » Pour ce sociologue, la crise de la quarantaine serait davantage liée au « syndrome du nid vide », soit quand les enfants s’éloignent du bercail. « Ce sont des moments compliqués car socialement, ce sont comme des ruptures ou des inflexions fortes de la vie des uns et des autres », dit-il. Alors que les parents se sont pleinement consacrés à la vie de famille et aux mômes pendant plusieurs années, une fois ceux-ci partis, le couple se retrouve à nouveau en tête-à-tête. « Les parents, ayant donné beaucoup pour les enfants, se rendent alors compte que le couple s’est un peu perdu ou usé. Il y a de nouvelles interrogations sur le côté conjugal. »

On assiste cependant à une sorte de décalage lié au fait que les jeunes font plus d’études qu’avant, ou en tout cas de type long, mais aussi au fait que les enfants ne se font plus aussi tôt que par le passé. « On voit bien qu’il y a une entrée plus tardive sur le marché de l’emploi, une mise en couple plus tardive aussi ainsi que l’arrivée des enfants… Cela va toucher à la temporalité de toute une série de questionnements ou de phénomènes », note Jacques Marquet. Mais ce n’est pas parce que les 20-30 ans se posent davantage de questions par rapport aux jeunes d’il y a vingt ans qu’ils ne connaîtront pas des questionnements lors de leurs quarante printemps. « Les deux ne sont pas liés », d’après notre sociologue.

« Maintenant j’arrête de me comparer aux autres »

Alors que tout se passe bien dans sa relation amoureuse, Jonathan décide, du jour au lendemain, de rompre avec sa copine de l’époque. Le Louviérois de 25 ans panique car sa compagne est sur le point d’être diplômée tandis qu’il a encore quelques années d’études devant lui. « Un de mes meilleurs amis venait d’acheter une maison et allait demander sa copine en mariage. Et un autre venait d’emménager avec sa petite amie. Ça m’a mis la pression et je me suis imaginé que ma copine voudrait aussi se marier après le diplôme, s’installer et avoir des enfants. Je n’étais clairement pas prêt. » Suite à cet événement, Jonathan se remet en question: étudiant en médecine, il passe énormément de temps à étudier et a l’impression de passer à côté de sa vie. « C’était comme si je n’étais plus acteur de ma propre vie car je voyais tout le monde s’amuser sur les réseaux sociaux alors que j’avais le nez dans les bouquins. Je me rendais compte que ça n’allait plus, alors je suis allé voir une psychologue. » Ces consultations lui ont permis de voir les choses de façon plus sereine. « Ça n’a pas été facile mais maintenant, j’arrête de me comparer aux autres et j’avance à mon rythme sans me prendre la tête et me poser mille questions », assure-t-il. Jonathan est sur le point d’être diplômé mais il préfère prendre son temps et ne pas se précipiter dans sa nouvelle relation amoureuse. « On se mettra en ménage quand je serai prêt… et elle aussi naturellement! »

Comparer, et en souffrir

Lorsque l’on parle de crise du quart de vie, on évoque la « dualité » mais aussi la « comparaison ». Un concept à l’origine de bien des souffrances. Et pour cause, aujourd’hui, nous avons de plus en plus accès à ce que font les autres au travers des réseaux sociaux. « Les jeunes ont la possibilité de voir où en sont leurs pairs et la comparaison sociale peut amener à de la souffrance. La crise du quart de vie a potentiellement toujours existé mais elle a peut-être pris de l’importance ces dernières années au vu des comparaisons sociales, facilitées par l’accès aisé aux réseaux sociaux et aux médias pouvant être sublimés », glisse Jeanne Vriamont, du CentrEmergence.

La psychologue pointe également du doigt un autre facteur à l’origine de nombreux questionnements: le large éventail de possibilités en matière d’études supérieures, d’orientations sexuelles, de styles de vie… « Trop de choix complique le choix », commente-t-elle. Les jeunes font en effet face à de plus en plus d’opportunités. « La société crée des situations où les questionnements sont de plus en plus présents au vu de la diversité des possibilités. Les notions d’engagement et d’investissement ont évolué. »

Ces interrogations sont saines mais lorsqu’elles deviennent trop importantes et que les individus ne parviennent plus à réfléchir et à prendre des décisions, on peut alors parler d’état de « crise ». Cela dit, le fait de passer par une telle période n’est pas forcément quelque chose de négatif. Au contraire, cela signifie qu’une place est donnée à la capacité de se remettre en question quant à ses réelles motivations. « Bien que loin d’être confortable, cette période de questionnements n’est pas synonyme de souffrances inévitables. Pour certains, cela fait partie d’un parcours de développement personnel dans un objectif d’avancement réflexif », détaille la psychologue.

« Une telle crise nous transforme à jamais »

Mathilde a 29 ans. Mais la jeune femme originaire de la région de Charleroi termine seulement ses études supérieures suite à des nombreuses difficultés. « J’ai galéré durant toute ma vingtaine et j’ai raté pas mal de choses », confie-t-elle. En sortant de l’école secondaire, la Carolo entame des études d’infirmière. Mais après un an, elle se rend compte que cela ne lui correspond pas. « Moi, je voulais être assistante sociale mais ce n’était pas assez bien pour mes parents… » Elle travaille donc comme indépendante aux côtés de sa maman avant de faire un régendat en français. « Je suis allée jusqu’en troisième et là, mes professeurs m’ont fait rater et m’ont bien fait comprendre que ça ne valait pas la peine de recommencer. » Mathilde plonge alors dans une grave dépression et est suivie par une psychologue. Elle ne voit pas le bout du tunnel. « Je pensais tous les jours à me suicider. Je ne voyais pas ce que la vie amenait de gai, enfin je n’y trouvais pas mon compte. Je me sentais abandonnée et perdue du fait de ne pas pouvoir faire ce que je voulais réellement. » Cette dépression durera des années et Mathilde avoue avoir eu beaucoup de mal à sortir la tête de l’eau. « Le déclic n’a pas été évident mais je crois que ce qui m’a aidée, c’est l’amour de mon compagnon qui est devenu mon mari. Je me suis accrochée au fait que je ne pouvais pas l’abandonner car il faisait tout pour être présent et il ne méritait pas ça », analyse-t-elle, avant d’ajouter que la musique a également été une vraie thérapie pour elle. Grâce à la bienveillance et au soutien de ses proches, la jeune femme se sent aujourd’hui beaucoup mieux. « Je ne sais pas si je suis réellement sortie de cette crise, je pense que temporairement oui car je me sens beaucoup mieux. Mais c’est une chose avec laquelle on doit vivre même si on pense l’avoir quittée car elle nous transforme à tout jamais. »

Un signal d’alarme

Cette période troublée est en réalité un signal d’alerte, parfois salvateur, qui témoigne d’une incohérence entre un comportement objectif et les valeurs personnelles. « Cela signifie que la personne n’est plus en accord avec elle-même. C’est comme si elle était à côté de ses chaussures. Et marcher à côté de ses chaussures peut être douloureux. Ça ramène au fait de devoir se poser les bonnes questions et à la motivation des actes », conclut Jeanne Vriamont.

Concrètement, la crise du quart de vie se traduit par un mal-être généralisé, sous une forme plus légère ou plus sévère. Cela peut aller de l’angoisse à l’isolement, aux symptômes psychosomatiques, aux comportements compulsifs… Il devient alors difficile de faire la nuance entre le mal-être, la dépression ou un trouble pathologique. Selon la psychologue Jeanne Vriamont, la crise du quart de vie peut être vécue comme un deuil. « Accepter que les choses ne se passent pas nécessairement comme on l’avait imaginé n’est pas chose aisée. Il peut être intéressant d’élargir le champ des possibles afin d’envisager de nouvelles pistes et solutions », dit-elle.

Si, aujourd’hui, il peut sembler que davantage de jeunes passent par une crise du quart de vie, en réalité, ce n’est pas nécessairement le cas. La crise du coronavirus a probablement augmenté les questionnements et restreint les exutoires. Mais ce n’est finalement là qu’un amplificateur d’une situation vécue déjà avant cette pandémie. « La période actuelle extrapole les manifestations de mal-être. Quand il y a moins de pansements, il y a beaucoup plus de blessures ouvertes », termine l’experte. A chacun donc d’être attentif aux manifestations de cette crise pour aider les jeunes à bien vivre ce cap et à transformer l’essai.

« C’était mes premiers pas dans le monde du travail… et ça m’a dégoûtée »

Justine sort de l’école secondaire en technique de qualification avec un diplôme d’infographiste en poche. Mais, à 21 ans, après un parcours scolaire un peu chaotique, la Namuroise se sent effrayée à l’idée de se lancer dans la vie active si jeune. Elle décide donc de s’inscrire à l’IFAPME, en infographie, « pour suivre des cours, mais en même temps être rémunérée et avoir un pied dans la vie active ». Après un an, c’est la désillusion… « Dans l’entreprise qui m’avait engagée, j’accomplissait des tâches manuelles alors que normalement je dois travailler sur ordinateur, justifie-t-elle. Et je n’ai pas du tout eu un bon contact avec mes collègues. C’était mes premiers pas dans le monde du travail… et ça m’a dégoûtée. » Un changement de cap s’impose à elle. Elle rêve de bosser pour la Sureté de l’Etat, et entend parler de l’armée. C’est le déclic. « Tout a été très vite entre le moment où je me suis dit « pourquoi pas? » et le moment où j’ai passé les tests », se remémore-t-elle. Avec le recul, elle avoue que cette période de doutes à été si rapide qu’elle n’a pas eu le temps de vraiment se poser des questions. Elle a foncé tête baissée, avec beaucoup d’excitation, et finalement peu d’angoisse. Aujourd’hui, elle ne regrette pas le choix qui s’est imposé pour sortir de sa crise, celui d’entrer à l’Ecole des Sous-Officiers, mais elle avoue quand même, ayant gagné en maturité, qu’elle n’aurait pas dû tourner le dos complètement à l’infographie. « J’aurais peut-être dû tenter le coup dans une autre entreprise. Mais je sais que j’ai toujours ce diplôme-là, si jamais. C’est un plus! »

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