Comment affronter la solitude du confinement? Analyse et témoignages
La solitude ronge une part croissante de notre société. Avec le confinement, elle plombe encore davantage les personnes isolées. Quels dommages collatéraux attendre de la pandémie, sur notre bien-être à moyen terme et sur notre santé mentale en général? Entretien avec la psy Maude Vanderveken, suivi de témoignages.
C’est via un programme de vidéoconférence que nous interviewons Maude Vanderveken, psychologue officiant désormais à distance. « Je fais des consultations vidéo depuis un peu plus de deux semaines, raconte-t-elle, ce qui a des avantages et des inconvénients. Ce n’est pas une solution valable pour les personnes les plus défavorisées et celles qui ont généralement peu d’intimité, avec l’ordinateur familial dans le salon. Ce n’est pas toujours l’idéal, mais en soi, l’expérience est positive pour les patients – il fallait vraiment maintenir un lien, et la vidéo nous donne plus d’indices qu’un appel téléphonique. »
Maintenir ce lien constitue évidemment une priorité pour la praticienne, bien consciente que la situation actuelle complique le suivi de dossiers qui en ont pourtant besoin. Certains publics s’avèrent plus fragiles que d’autres, chacun composant comme il peut avec la réalité et sa propre psyché. « Quand ils ont annoncé le confinement, je me suis immédiatement inquiétée pour certains patients, confie la psychologue. J’ai reçu hier l’appel d’une jeune fille d’une vingtaine d’années, qui a des idées suicidaires et souffre de difficultés au niveau de son immunité, notamment des complications respiratoires. Il n’est pas du tout indiqué pour elle de se rendre aux urgences psychiatriques. Et en même temps, ses problèmes sont inhérents à sa situation familiale, donc elle ne peut pas s’exprimer librement de chez elle. Son cas me préoccupe beaucoup. »
La double peine de l’isolement
Hélas, les catégories de populations présentant des risques accrus sont nombreuses – adolescents, célibataires, couples en instance de séparation, les exemples ne manquent pas. De manière générale, les personnes seules ou vivant une forme d’isolement sont évidemment les premières concernées par cette amplification, d’où cette forme de double peine, dans une société où le fait de vivre en solo est encore souvent perçu comme un état subi et non souhaité. « Une injonction à la sociabilité règne clairement dans nos sociétés, reconnaît la psychologue, mais c’est plus marqué au niveau des enfants. Dans les écoles primaires, l’isolement d’un enfant inquiète ses parents, la mise à l’écart est considérée comme un harcèlement. Au niveau adulte, ça se joue un peu différemment, c’est moins marqué, il y a des personnes qui n’ont pratiquement aucun contact avec l’extérieur et qui l’assument très bien, ou qui n’ont aucun rapport social en dehors de leur couple, sans que cela soit une difficulté. »
Du moins en temps normal, car les événements que l’on vit actuellement ont pour effet d’amplifier les ondes négatives, au grand désarroi de ceux qui n’avaient déjà pas besoin de ça. « On assiste vraiment à une majoration de la dépression et des troubles anxieux », confirme Maude Vanderveken, même si elle tient également à préciser qu' »il y a aussi des personnes isolées qui, grâce aux nouvelles formes de solidarité récemment mises en place, vont beaucoup mieux au niveau psy ». L’espoir d’une amélioration demeure donc dans certains cas, malheureusement minoritaires. Rien de plus normal: « Dès le moment où le confinement ou la quarantaine sont vécus comme contraints, les gens développent des émotions désagréables », et ce même pour ceux qui semblaient auparavant apprécier leur situation solitaire.
Nous sommes des êtres de relation, ce qui arrive n’est bon pour personne.
Et là, les médias semblent porteurs d’autres missions que celle de l’information. « Leur rôle, c’est aussi d’essayer de faire du confinement un choix civique, et non contraint. Même si la réalité reste la même. Il faut justifier cette quarantaine. Sa prolongation va être une source de stress, et c’est là que les situations psy vont se détériorer. » Car non seulement, tout devient source d’inquiétude, mais en plus, nous voilà confrontés à une incertitude généralisée, qui correspond à rien de moins qu’un saut dans l’inconnu. « Cette notion d’incertitude va gonfler l’anxiété et avec le confinement, prédit la psy. A partir du moment où l’on se fige psychologiquement et physiquement, c’est là que la dépression et l’anxiété se développent, c’est vraiment un terreau propice. C’est pour ça qu’on encourage les gens, même ceux qui sont seuls, à rester en mouvement, se fixer des rythmes, se voir avancer, bref, donner un semblant de normalité à une situation exceptionnelle. »
Renforcer les relations sociales
Le problème, c’est qu’il va falloir à la fois être forts et disciplinés, mais également attentifs à nos propres faiblesses. « Je pense que les situations que l’on va progressivement découvrir vont être de plus en plus difficiles à gérer, craint Maude. Pendant tout un moment, les gens ont pris sur eux, mais plus le temps avance, plus ça risque de nous exploser à la figure. J’invite donc chacun à pouvoir s’écouter et à faire appel à un psy s’il en éprouve le besoin. La question de la gestion de l’après se pose déjà maintenant. » Et la psychologue d’enfoncer le clou avec un exemple éloquent: « Les soignants sont présentés comme des héros et se comportent comme tels. Il y a beaucoup d’inquiétudes, ils en parlent, mais tiennent bon. Ce n’est pas maintenant qu’on va les ramasser à la petite cuillère, et ce n’est pas à la fin de la journée de travail qu’ils vont appeler un psy. Or, les effets de ce stress vont se ressentir dans les trois ou quatre années à venir. »
Et tout cela viendra s’ajouter à la longue liste des cas à traiter, avec un ordre plus ou moins élevé de priorité. Car au-delà du surplus de stress ou de la solitude subie, d’autres problèmes plus inattendus s’apprêtent à survenir, sans que l’on puisse encore en mesurer les implications. « L’impossibilité de faire son deuil va avoir des conséquences aussi, et l’on a très peu d’écrits à ce sujet, très peu de recul, déplore la psy. On va voir évoluer des demandes particulières. J’ai par exemple reçu des demandes concernant des enfants avec des tics nerveux – et dans la plupart des cas, les médias sont allumés en continu à la maison, ce qui est évidemment déconseillé. Ou des appels de jeunes hommes accros au porno: ils se font surprendre et ça devient un vrai problème. Il y a une redéfinition de la manière de vivre ensemble, en famille. Les tendances ne sont pas encore claires, mais nous sommes des êtres de relation, ce qui arrive n’est bon pour personne. »
Nous avons désormais une base en commun, on a tous vécu cette épreuve.
Face à ce tableau si peu réjouissant, il convient de préparer « l’après », et notre psy a bien quelques idées pour nous aider. « J’insisterais sur deux éléments, résume-t-elle. D’une part, on ne va pas passer subitement du noir au blanc, donc il faut ménager son propre psychisme parce que la sortie ne va se faire que de manière très progressive. Ensuite, il faudra bien se rappeler que nous avons désormais une base en commun, on a tous vécu cette épreuve, donc il nous est plus facile d’entrer en contact les uns avec les autres. Ça pourra avoir l’effet de renforcer les relations sociales par après. » Et, plus concrètement, ça se traduit comment? « J’inviterais les gens à repérer ceux qui sont trop seuls et isolés, de proposer leurs services, peut-être via des plates-formes solidaires. On dit que c’est l’occasion de faire le point sur sa vie. OK, alors posons-nous des questions: le fait de prendre une initiative envers mon prochain, est-ce que ça m’a fait du bien? Est-ce important pour moi? Si oui, pourquoi s’empêcher d’établir des contacts pendant le confinement? On peut contribuer à redessiner le paysage social parce qu’on a la liberté d’agir – autant tirer parti de cette possibilité de réflexion et d’action. » Tirer parti du positif, prolonger les efforts et rétablir du lien, c’est noté. Reste plus qu’à savoir quand commencer.
« Je retrouve l’envie de m’inclure dans une société en mouvement » Jean-Michel (40 ans) h2>
« Célibataire plutôt casanier et sans emploi régulier, je ressentais le besoin de changer d’air depuis un moment – mais grâce à une vie sociale satisfaisante, pas mal de temps passé devant des écrans et quelques mauvaises habitudes, je n’ai jamais trouvé le temps long. C’est juste que mes journées se suivaient, se ressemblaient, sans trop de surprises. Suite à la perte d’un parent à l’aube de 2020, je me suis posé beaucoup de questions, au point de vouloir bouleverser certaines choses tout en m’accrochant à celles que je ne voulais pas perdre. Je venais de déménager, plus loin du centre-ville mais prêt à construire de nouveaux ponts, quand la crise a éclaté. Totalement confiné dans un environnement nouveau, j’appréhendais encore davantage la situation, peu propice à la réalisation de mes objectifs. Mais finalement, l’anormalité et le décalage que je subissais auparavant devenait du jour au lendemain le quotidien de millions de citoyens, résolus à affronter ensemble l’incertitude et l’inconnu. D’un coup, je me suis curieusement senti moins seul. Je prends conscience du désarroi de tous et retrouve progressivement l’envie de m’inclure dans une société en mouvement où chacun a une place à se trouver. Une occasion unique que je considère personnellement comme une chance à saisir pour reprendre goût aux choses simples et essentielles, sans minimiser l’impact dramatique auquel certains font face. Je m’évade au travers de loisirs oubliés, observe le monde et souhaite impatiemment partager de riches moments avec ceux qui me manquent indéniablement. » p>
« Pour moi, la lecture est une conversation » Yasmine (28 ans)
« Mon métier m’amène à côtoyer beaucoup de monde, et, honnêtement, je trouve cela épuisant. Quand je dois faire une conférence quelque part, je ne reste jamais pour le drink qui suit… Je ne suis pas très douée pour le small talk. Le confinement qui nous est imposé à cause du coronavirus me convient parfaitement. Enfant, j’étais déjà comme cela: je passais des heures seule, dans ma chambre. Plus tard, adolescente, j’aimais avoir de longues conversations avec mes parents. Sur la politique, sur leur vie d’avant, etc. En général, ils étaient ravis mais pas toujours disponibles. J’avais espéré, pendant mes études, rencontrer des tas de gens avec qui refaire le monde, mais ça n’a pas été le cas. D’où le fait que je sois restée une solitaire. Mais j’aime être seule, même si j’ai des amis et de la famille qui m’aiment. Non, ce qui me manque, c’est de pouvoir discuter vraiment, de manière approfondie, des sujets qui me tiennent à coeur. J’ai un ami avec qui je peux le faire et j’apprécie énormément les soirées que nous passons ensemble. Mais il n’a pas énormément de temps, et moi non plus. Heureusement, il y a les livres. Je dis souvent pour rire que ce sont mes meilleurs amis. Les gens pensent que la lecture est une activité à sens unique, mais non ! Pour moi, la lecture est une conversation, chaque phrase m’apporte une réponse. Les livres sont une présence extraordinaire, croyez-moi. Alors, oui, en ce moment j’apprécie d’avoir moins de contacts sociaux. Même si je me demande parfois combien de temps je vais tenir… »
« Je me suis rappelée que j’étais un animal social » Alice (30 ans) h2>
« J’ai été mise en quarantaine juste avant le confinement, par pure mesure de précaution. J’étais donc impatiente de sortir, mais ce n’est pas moi qui suis sortie de quarantaine, plutôt tout le pays qui m’y a rejointe. S’est très vite posée la question du respect strict des consignes ou pas, heureusement l’envie de bouger était moins forte que ma crainte de propager la contamination. D’ailleurs, j’étais contente de ne pas avoir assisté à la ruée sur les pâtes et le papier toilette; rien que l’idée de voir ces rayons vides faisait monter mon stress. J’aurais sans doute fait des stocks aussi, angoissée à l’idée de mourir de faim. Moins sollicitée par l’extérieur, j’ai été plus attentive à moi, à mes émotions, et tous les inconforts qui sont d’habitude emportés par un tourbillon d’activités, tout à coup, plus moyen d’y échapper. Le mal-être, les questionnements divers, le boulot soudain qualifié de « non indispensable », l’ex qui vous trotte encore en tête, etc. J’ai les nerfs tendus, alors que je suis relativement à l’aise – même si c’est dur de vivre seule pour l’instant, quand je pense à certaines familles avec enfants enfermées dans un petit appart’, ça doit être cauchemardesque. En fait, je me considérais comme quelqu’un de plutôt solitaire, et j’ai découvert que j’avais un besoin physique de côtoyer des gens. Les heures passées au téléphone ne suffisent plus. Je dois parfois repasser au boulot et ça me fait un bien fou d’être à proximité d’autres personnes. Même sans interaction, la présence fait du bien. Je me suis rappelée que j’étais un animal social. » p>
« Je retrouve l’envie de m’inclure dans une société en mouvement » Jean-Michel (40 ans) h2>
« Célibataire plutôt casanier et sans emploi régulier, je ressentais le besoin de changer d’air depuis un moment – mais grâce à une vie sociale satisfaisante, pas mal de temps passé devant des écrans et quelques mauvaises habitudes, je n’ai jamais trouvé le temps long. C’est juste que mes journées se suivaient, se ressemblaient, sans trop de surprises. Suite à la perte d’un parent à l’aube de 2020, je me suis posé beaucoup de questions, au point de vouloir bouleverser certaines choses tout en m’accrochant à celles que je ne voulais pas perdre. Je venais de déménager, plus loin du centre-ville mais prêt à construire de nouveaux ponts, quand la crise a éclaté. Totalement confiné dans un environnement nouveau, j’appréhendais encore davantage la situation, peu propice à la réalisation de mes objectifs. Mais finalement, l’anormalité et le décalage que je subissais auparavant devenait du jour au lendemain le quotidien de millions de citoyens, résolus à affronter ensemble l’incertitude et l’inconnu. D’un coup, je me suis curieusement senti moins seul. Je prends conscience du désarroi de tous et retrouve progressivement l’envie de m’inclure dans une société en mouvement où chacun a une place à se trouver. Une occasion unique que je considère personnellement comme une chance à saisir pour reprendre goût aux choses simples et essentielles, sans minimiser l’impact dramatique auquel certains font face. Je m’évade au travers de loisirs oubliés, observe le monde et souhaite impatiemment partager de riches moments avec ceux qui me manquent indéniablement. » p>
« Pour moi, la lecture est une conversation » Yasmine (28 ans)
« Mon métier m’amène à côtoyer beaucoup de monde, et, honnêtement, je trouve cela épuisant. Quand je dois faire une conférence quelque part, je ne reste jamais pour le drink qui suit… Je ne suis pas très douée pour le small talk. Le confinement qui nous est imposé à cause du coronavirus me convient parfaitement. Enfant, j’étais déjà comme cela: je passais des heures seule, dans ma chambre. Plus tard, adolescente, j’aimais avoir de longues conversations avec mes parents. Sur la politique, sur leur vie d’avant, etc. En général, ils étaient ravis mais pas toujours disponibles. J’avais espéré, pendant mes études, rencontrer des tas de gens avec qui refaire le monde, mais ça n’a pas été le cas. D’où le fait que je sois restée une solitaire. Mais j’aime être seule, même si j’ai des amis et de la famille qui m’aiment. Non, ce qui me manque, c’est de pouvoir discuter vraiment, de manière approfondie, des sujets qui me tiennent à coeur. J’ai un ami avec qui je peux le faire et j’apprécie énormément les soirées que nous passons ensemble. Mais il n’a pas énormément de temps, et moi non plus. Heureusement, il y a les livres. Je dis souvent pour rire que ce sont mes meilleurs amis. Les gens pensent que la lecture est une activité à sens unique, mais non ! Pour moi, la lecture est une conversation, chaque phrase m’apporte une réponse. Les livres sont une présence extraordinaire, croyez-moi. Alors, oui, en ce moment j’apprécie d’avoir moins de contacts sociaux. Même si je me demande parfois combien de temps je vais tenir… »
« Pendant tout mon mariage, je me suis sentie seule » Lucienne (87 ans) h2>
« Il y a deux ans, nous avons fêté nos noces d’or. C’était une très belle fête, mais après le gâteau je me suis retrouvée à pleurer aux toilettes. Il faut dire que pendant tout mon mariage, je me suis sentie très seule. Mon mari m’aime, je le sais. Et il prend soin de moi. Il fait le plein d’essence à ma place, il suspend les cadres dans la maison et m’offre régulièrement des fleurs. Mais il parle très peu et ne me pose jamais de questions. Jeune, quand nous venions de nous rencontrer, je trouvais cela normal, mon père était aussi comme ça. Mais la situation a commencé à me peser au bout de quelques années. Je ne sais jamais à quoi mon mari pense et lui, au fond, ne me connaît pas. Evidemment, il connaît mes petites habitudes et chaque ride sur mon visage. Mais je veux dire qu’il ignore totalement que je ne supporte pas notre beau-fils, que je le trouve grossier, ni à quel point je m’inquiète pour les changements climatiques. Je peux parler avec nos trois filles, mon mari et moi voyons régulièrement des amis et connaissances, mais la seule personne à qui je pouvais réellement m’ouvrir était ma soeur Lea. Elle est morte quand elle n’avait que 23 ans et je n’ai pu confier mon immense chagrin à personne. Des mois plus tard, quand il m’arrivait encore de la pleurer, mon mari s’étonnait que je sois « encore si triste ». Il ne sait pas qu’aujourd’hui encore elle me manque tellement que cela me fait physiquement mal. Ma petite-fille Evie a vécu un an chez nous, quand elle avait 20 ans, et j’ai pu me confier à elle. Nous nous téléphonons souvent. En ce moment, à cause du coronavirus, je ne peux plus la voir et cela me manque terriblement. Je sais que nous ne sommes pas amies – je suis sa grand-mère, j’ai 46 ans de plus qu’elle – mais elle s’intéresse sincèrement à ce que je pense et à ce que je ressens, et c’est un cadeau extraordinaire! Vous savez, mon mari ne m’a pas une fois demandé si je n’avais pas peur de tomber malade en ce moment. Pas une fois. Il trouve qu’on en fait trop… Ma plus jeune fille m’a dit qu’elle est angoissée à l’idée que nous mourrions seuls si nous tombons malades. Mais vous savez, si je devais mourir ici, dans mon salon, à côté de mon mari, je mourrais seule aussi. » p>
« Je me suis rappelée que j’étais un animal social » Alice (30 ans) h2>
« J’ai été mise en quarantaine juste avant le confinement, par pure mesure de précaution. J’étais donc impatiente de sortir, mais ce n’est pas moi qui suis sortie de quarantaine, plutôt tout le pays qui m’y a rejointe. S’est très vite posée la question du respect strict des consignes ou pas, heureusement l’envie de bouger était moins forte que ma crainte de propager la contamination. D’ailleurs, j’étais contente de ne pas avoir assisté à la ruée sur les pâtes et le papier toilette; rien que l’idée de voir ces rayons vides faisait monter mon stress. J’aurais sans doute fait des stocks aussi, angoissée à l’idée de mourir de faim. Moins sollicitée par l’extérieur, j’ai été plus attentive à moi, à mes émotions, et tous les inconforts qui sont d’habitude emportés par un tourbillon d’activités, tout à coup, plus moyen d’y échapper. Le mal-être, les questionnements divers, le boulot soudain qualifié de « non indispensable », l’ex qui vous trotte encore en tête, etc. J’ai les nerfs tendus, alors que je suis relativement à l’aise – même si c’est dur de vivre seule pour l’instant, quand je pense à certaines familles avec enfants enfermées dans un petit appart’, ça doit être cauchemardesque. En fait, je me considérais comme quelqu’un de plutôt solitaire, et j’ai découvert que j’avais un besoin physique de côtoyer des gens. Les heures passées au téléphone ne suffisent plus. Je dois parfois repasser au boulot et ça me fait un bien fou d’être à proximité d’autres personnes. Même sans interaction, la présence fait du bien. Je me suis rappelée que j’étais un animal social. » p>
« Je retrouve l’envie de m’inclure dans une société en mouvement » Jean-Michel (40 ans) h2>
« Célibataire plutôt casanier et sans emploi régulier, je ressentais le besoin de changer d’air depuis un moment – mais grâce à une vie sociale satisfaisante, pas mal de temps passé devant des écrans et quelques mauvaises habitudes, je n’ai jamais trouvé le temps long. C’est juste que mes journées se suivaient, se ressemblaient, sans trop de surprises. Suite à la perte d’un parent à l’aube de 2020, je me suis posé beaucoup de questions, au point de vouloir bouleverser certaines choses tout en m’accrochant à celles que je ne voulais pas perdre. Je venais de déménager, plus loin du centre-ville mais prêt à construire de nouveaux ponts, quand la crise a éclaté. Totalement confiné dans un environnement nouveau, j’appréhendais encore davantage la situation, peu propice à la réalisation de mes objectifs. Mais finalement, l’anormalité et le décalage que je subissais auparavant devenait du jour au lendemain le quotidien de millions de citoyens, résolus à affronter ensemble l’incertitude et l’inconnu. D’un coup, je me suis curieusement senti moins seul. Je prends conscience du désarroi de tous et retrouve progressivement l’envie de m’inclure dans une société en mouvement où chacun a une place à se trouver. Une occasion unique que je considère personnellement comme une chance à saisir pour reprendre goût aux choses simples et essentielles, sans minimiser l’impact dramatique auquel certains font face. Je m’évade au travers de loisirs oubliés, observe le monde et souhaite impatiemment partager de riches moments avec ceux qui me manquent indéniablement. » p>
« Pour moi, la lecture est une conversation » Yasmine (28 ans)
« Mon métier m’amène à côtoyer beaucoup de monde, et, honnêtement, je trouve cela épuisant. Quand je dois faire une conférence quelque part, je ne reste jamais pour le drink qui suit… Je ne suis pas très douée pour le small talk. Le confinement qui nous est imposé à cause du coronavirus me convient parfaitement. Enfant, j’étais déjà comme cela: je passais des heures seule, dans ma chambre. Plus tard, adolescente, j’aimais avoir de longues conversations avec mes parents. Sur la politique, sur leur vie d’avant, etc. En général, ils étaient ravis mais pas toujours disponibles. J’avais espéré, pendant mes études, rencontrer des tas de gens avec qui refaire le monde, mais ça n’a pas été le cas. D’où le fait que je sois restée une solitaire. Mais j’aime être seule, même si j’ai des amis et de la famille qui m’aiment. Non, ce qui me manque, c’est de pouvoir discuter vraiment, de manière approfondie, des sujets qui me tiennent à coeur. J’ai un ami avec qui je peux le faire et j’apprécie énormément les soirées que nous passons ensemble. Mais il n’a pas énormément de temps, et moi non plus. Heureusement, il y a les livres. Je dis souvent pour rire que ce sont mes meilleurs amis. Les gens pensent que la lecture est une activité à sens unique, mais non ! Pour moi, la lecture est une conversation, chaque phrase m’apporte une réponse. Les livres sont une présence extraordinaire, croyez-moi. Alors, oui, en ce moment j’apprécie d’avoir moins de contacts sociaux. Même si je me demande parfois combien de temps je vais tenir… »
« Les expats, tous réunis pour ne pas rester seuls » Serge (33 ans) h2>
« Avant de m’expatrier là-bas, j’avais été prévenu: en Suisse, les gens sont assez renfermés et n’ont pas de sens de l’humour, l’intégration ne sera donc pas si simple. Sur le moment, je pensais que cela n’allait pas m’affecter car je suis plutôt extraverti et n’ai jamais eu de problèmes à créer des liens avec des nouvelles connaissances. Mais la Suisse a été plus forte! Après sept ans dans ce pays, je dois dire que je n’ai pas un seul véritable ami suisse. Des collègues sympathiques, oui, mais pas de réelles amitiés. Je m’y suis fait, et j’ai rencontré des expats avec qui j’ai noué des liens. Cependant, dans la situation actuelle, le réseau de soutien manque, les amis ou la famille sur qui on s’appuie manquent. J’avais même pensé rentrer en Belgique pour passer la quarantaine, mais je m’y suis pris trop tard et je n’avais pas envie de prendre des risques inutiles. Jusqu’il y a peu, nous étions toujours autorisés à nous rendre sur notre lieu de travail. Mais aucun employé suisse ne s’y trouvait: il n’y avait que les expats, tous réunis pour ne pas rester seuls. » p>
« Pendant tout mon mariage, je me suis sentie seule » Lucienne (87 ans) h2>
« Il y a deux ans, nous avons fêté nos noces d’or. C’était une très belle fête, mais après le gâteau je me suis retrouvée à pleurer aux toilettes. Il faut dire que pendant tout mon mariage, je me suis sentie très seule. Mon mari m’aime, je le sais. Et il prend soin de moi. Il fait le plein d’essence à ma place, il suspend les cadres dans la maison et m’offre régulièrement des fleurs. Mais il parle très peu et ne me pose jamais de questions. Jeune, quand nous venions de nous rencontrer, je trouvais cela normal, mon père était aussi comme ça. Mais la situation a commencé à me peser au bout de quelques années. Je ne sais jamais à quoi mon mari pense et lui, au fond, ne me connaît pas. Evidemment, il connaît mes petites habitudes et chaque ride sur mon visage. Mais je veux dire qu’il ignore totalement que je ne supporte pas notre beau-fils, que je le trouve grossier, ni à quel point je m’inquiète pour les changements climatiques. Je peux parler avec nos trois filles, mon mari et moi voyons régulièrement des amis et connaissances, mais la seule personne à qui je pouvais réellement m’ouvrir était ma soeur Lea. Elle est morte quand elle n’avait que 23 ans et je n’ai pu confier mon immense chagrin à personne. Des mois plus tard, quand il m’arrivait encore de la pleurer, mon mari s’étonnait que je sois « encore si triste ». Il ne sait pas qu’aujourd’hui encore elle me manque tellement que cela me fait physiquement mal. Ma petite-fille Evie a vécu un an chez nous, quand elle avait 20 ans, et j’ai pu me confier à elle. Nous nous téléphonons souvent. En ce moment, à cause du coronavirus, je ne peux plus la voir et cela me manque terriblement. Je sais que nous ne sommes pas amies – je suis sa grand-mère, j’ai 46 ans de plus qu’elle – mais elle s’intéresse sincèrement à ce que je pense et à ce que je ressens, et c’est un cadeau extraordinaire! Vous savez, mon mari ne m’a pas une fois demandé si je n’avais pas peur de tomber malade en ce moment. Pas une fois. Il trouve qu’on en fait trop… Ma plus jeune fille m’a dit qu’elle est angoissée à l’idée que nous mourrions seuls si nous tombons malades. Mais vous savez, si je devais mourir ici, dans mon salon, à côté de mon mari, je mourrais seule aussi. » p>
« Je me suis rappelée que j’étais un animal social » Alice (30 ans) h2>
« J’ai été mise en quarantaine juste avant le confinement, par pure mesure de précaution. J’étais donc impatiente de sortir, mais ce n’est pas moi qui suis sortie de quarantaine, plutôt tout le pays qui m’y a rejointe. S’est très vite posée la question du respect strict des consignes ou pas, heureusement l’envie de bouger était moins forte que ma crainte de propager la contamination. D’ailleurs, j’étais contente de ne pas avoir assisté à la ruée sur les pâtes et le papier toilette; rien que l’idée de voir ces rayons vides faisait monter mon stress. J’aurais sans doute fait des stocks aussi, angoissée à l’idée de mourir de faim. Moins sollicitée par l’extérieur, j’ai été plus attentive à moi, à mes émotions, et tous les inconforts qui sont d’habitude emportés par un tourbillon d’activités, tout à coup, plus moyen d’y échapper. Le mal-être, les questionnements divers, le boulot soudain qualifié de « non indispensable », l’ex qui vous trotte encore en tête, etc. J’ai les nerfs tendus, alors que je suis relativement à l’aise – même si c’est dur de vivre seule pour l’instant, quand je pense à certaines familles avec enfants enfermées dans un petit appart’, ça doit être cauchemardesque. En fait, je me considérais comme quelqu’un de plutôt solitaire, et j’ai découvert que j’avais un besoin physique de côtoyer des gens. Les heures passées au téléphone ne suffisent plus. Je dois parfois repasser au boulot et ça me fait un bien fou d’être à proximité d’autres personnes. Même sans interaction, la présence fait du bien. Je me suis rappelée que j’étais un animal social. » p>
« Je retrouve l’envie de m’inclure dans une société en mouvement » Jean-Michel (40 ans) h2>
« Célibataire plutôt casanier et sans emploi régulier, je ressentais le besoin de changer d’air depuis un moment – mais grâce à une vie sociale satisfaisante, pas mal de temps passé devant des écrans et quelques mauvaises habitudes, je n’ai jamais trouvé le temps long. C’est juste que mes journées se suivaient, se ressemblaient, sans trop de surprises. Suite à la perte d’un parent à l’aube de 2020, je me suis posé beaucoup de questions, au point de vouloir bouleverser certaines choses tout en m’accrochant à celles que je ne voulais pas perdre. Je venais de déménager, plus loin du centre-ville mais prêt à construire de nouveaux ponts, quand la crise a éclaté. Totalement confiné dans un environnement nouveau, j’appréhendais encore davantage la situation, peu propice à la réalisation de mes objectifs. Mais finalement, l’anormalité et le décalage que je subissais auparavant devenait du jour au lendemain le quotidien de millions de citoyens, résolus à affronter ensemble l’incertitude et l’inconnu. D’un coup, je me suis curieusement senti moins seul. Je prends conscience du désarroi de tous et retrouve progressivement l’envie de m’inclure dans une société en mouvement où chacun a une place à se trouver. Une occasion unique que je considère personnellement comme une chance à saisir pour reprendre goût aux choses simples et essentielles, sans minimiser l’impact dramatique auquel certains font face. Je m’évade au travers de loisirs oubliés, observe le monde et souhaite impatiemment partager de riches moments avec ceux qui me manquent indéniablement. » p>
« Pour moi, la lecture est une conversation » Yasmine (28 ans)
« Mon métier m’amène à côtoyer beaucoup de monde, et, honnêtement, je trouve cela épuisant. Quand je dois faire une conférence quelque part, je ne reste jamais pour le drink qui suit… Je ne suis pas très douée pour le small talk. Le confinement qui nous est imposé à cause du coronavirus me convient parfaitement. Enfant, j’étais déjà comme cela: je passais des heures seule, dans ma chambre. Plus tard, adolescente, j’aimais avoir de longues conversations avec mes parents. Sur la politique, sur leur vie d’avant, etc. En général, ils étaient ravis mais pas toujours disponibles. J’avais espéré, pendant mes études, rencontrer des tas de gens avec qui refaire le monde, mais ça n’a pas été le cas. D’où le fait que je sois restée une solitaire. Mais j’aime être seule, même si j’ai des amis et de la famille qui m’aiment. Non, ce qui me manque, c’est de pouvoir discuter vraiment, de manière approfondie, des sujets qui me tiennent à coeur. J’ai un ami avec qui je peux le faire et j’apprécie énormément les soirées que nous passons ensemble. Mais il n’a pas énormément de temps, et moi non plus. Heureusement, il y a les livres. Je dis souvent pour rire que ce sont mes meilleurs amis. Les gens pensent que la lecture est une activité à sens unique, mais non ! Pour moi, la lecture est une conversation, chaque phrase m’apporte une réponse. Les livres sont une présence extraordinaire, croyez-moi. Alors, oui, en ce moment j’apprécie d’avoir moins de contacts sociaux. Même si je me demande parfois combien de temps je vais tenir… »
« On n’imagine pas le vide laissé par les enfants » Véronique (68 ans) h2>
« J’ai été institutrice pendant trente-cinq ans, j’ai toujours vécu entourée d’enfants. Une fois pensionnée, j’ai gardé mes petits-enfants chez moi tous les jours – je n’ai jamais été aussi occupée de ma vie. Tout ça a changé le 10 mars dernier. L’un de mes fils m’a annoncé qu’il allait s’arranger pour garder lui-même ses petits. Premier pincement au coeur, mais j’essaie de me montrer raisonnable. Puis les choses se sont emballées. Plus question de voir qui que ce soit. Le manque s’installe insidieusement. Mais je pense encore que cela ne durera que 14 jours. Pauvre dupe! Alors que chaque jour, j’en accueillais au moins un ou deux, voire parfois 5 ou 6, tout à coup, fini! On n’imagine pas le vide qu’ils laissent. C’était compliqué à gérer, il m’a fallu plus d’une semaine pour me raisonner, me dire que j’ai de la chance de pouvoir recevoir des vidéos, photos, appels sur Skype, ou même les apercevoir depuis le balcon, comme c’est arrivé une fois – le plus grand, 12 ans, a absolument tenu à nous voir « en vrai ». Le plus difficile, finalement, c’est d’arrêter de penser que je pourrais ne jamais les revoir, eux et leurs parents. Donc je m’installe dans un monde parallèle, ravitaillée par mes enfants. Je trouve des trucs un peu débiles pour soutenir mon moral, comme planter des pépins de pommes dans un reste de terreau et me réjouir car il y en a six qui ont germé, un par petit. Au final, ce foutu virus m’aura quand même appris que mes enfants sont des adultes, capables d’assumer leurs enfants sans moi, et en plus de nous assumer, nous. Et, c’est certain, nous ferons encore la fête tous ensemble quand tout ça sera fini. » p>
« Les expats, tous réunis pour ne pas rester seuls » Serge (33 ans) h2>
« Avant de m’expatrier là-bas, j’avais été prévenu: en Suisse, les gens sont assez renfermés et n’ont pas de sens de l’humour, l’intégration ne sera donc pas si simple. Sur le moment, je pensais que cela n’allait pas m’affecter car je suis plutôt extraverti et n’ai jamais eu de problèmes à créer des liens avec des nouvelles connaissances. Mais la Suisse a été plus forte! Après sept ans dans ce pays, je dois dire que je n’ai pas un seul véritable ami suisse. Des collègues sympathiques, oui, mais pas de réelles amitiés. Je m’y suis fait, et j’ai rencontré des expats avec qui j’ai noué des liens. Cependant, dans la situation actuelle, le réseau de soutien manque, les amis ou la famille sur qui on s’appuie manquent. J’avais même pensé rentrer en Belgique pour passer la quarantaine, mais je m’y suis pris trop tard et je n’avais pas envie de prendre des risques inutiles. Jusqu’il y a peu, nous étions toujours autorisés à nous rendre sur notre lieu de travail. Mais aucun employé suisse ne s’y trouvait: il n’y avait que les expats, tous réunis pour ne pas rester seuls. » p>
« Pendant tout mon mariage, je me suis sentie seule » Lucienne (87 ans) h2>
« Il y a deux ans, nous avons fêté nos noces d’or. C’était une très belle fête, mais après le gâteau je me suis retrouvée à pleurer aux toilettes. Il faut dire que pendant tout mon mariage, je me suis sentie très seule. Mon mari m’aime, je le sais. Et il prend soin de moi. Il fait le plein d’essence à ma place, il suspend les cadres dans la maison et m’offre régulièrement des fleurs. Mais il parle très peu et ne me pose jamais de questions. Jeune, quand nous venions de nous rencontrer, je trouvais cela normal, mon père était aussi comme ça. Mais la situation a commencé à me peser au bout de quelques années. Je ne sais jamais à quoi mon mari pense et lui, au fond, ne me connaît pas. Evidemment, il connaît mes petites habitudes et chaque ride sur mon visage. Mais je veux dire qu’il ignore totalement que je ne supporte pas notre beau-fils, que je le trouve grossier, ni à quel point je m’inquiète pour les changements climatiques. Je peux parler avec nos trois filles, mon mari et moi voyons régulièrement des amis et connaissances, mais la seule personne à qui je pouvais réellement m’ouvrir était ma soeur Lea. Elle est morte quand elle n’avait que 23 ans et je n’ai pu confier mon immense chagrin à personne. Des mois plus tard, quand il m’arrivait encore de la pleurer, mon mari s’étonnait que je sois « encore si triste ». Il ne sait pas qu’aujourd’hui encore elle me manque tellement que cela me fait physiquement mal. Ma petite-fille Evie a vécu un an chez nous, quand elle avait 20 ans, et j’ai pu me confier à elle. Nous nous téléphonons souvent. En ce moment, à cause du coronavirus, je ne peux plus la voir et cela me manque terriblement. Je sais que nous ne sommes pas amies – je suis sa grand-mère, j’ai 46 ans de plus qu’elle – mais elle s’intéresse sincèrement à ce que je pense et à ce que je ressens, et c’est un cadeau extraordinaire! Vous savez, mon mari ne m’a pas une fois demandé si je n’avais pas peur de tomber malade en ce moment. Pas une fois. Il trouve qu’on en fait trop… Ma plus jeune fille m’a dit qu’elle est angoissée à l’idée que nous mourrions seuls si nous tombons malades. Mais vous savez, si je devais mourir ici, dans mon salon, à côté de mon mari, je mourrais seule aussi. » p>
« Je me suis rappelée que j’étais un animal social » Alice (30 ans) h2>
« J’ai été mise en quarantaine juste avant le confinement, par pure mesure de précaution. J’étais donc impatiente de sortir, mais ce n’est pas moi qui suis sortie de quarantaine, plutôt tout le pays qui m’y a rejointe. S’est très vite posée la question du respect strict des consignes ou pas, heureusement l’envie de bouger était moins forte que ma crainte de propager la contamination. D’ailleurs, j’étais contente de ne pas avoir assisté à la ruée sur les pâtes et le papier toilette; rien que l’idée de voir ces rayons vides faisait monter mon stress. J’aurais sans doute fait des stocks aussi, angoissée à l’idée de mourir de faim. Moins sollicitée par l’extérieur, j’ai été plus attentive à moi, à mes émotions, et tous les inconforts qui sont d’habitude emportés par un tourbillon d’activités, tout à coup, plus moyen d’y échapper. Le mal-être, les questionnements divers, le boulot soudain qualifié de « non indispensable », l’ex qui vous trotte encore en tête, etc. J’ai les nerfs tendus, alors que je suis relativement à l’aise – même si c’est dur de vivre seule pour l’instant, quand je pense à certaines familles avec enfants enfermées dans un petit appart’, ça doit être cauchemardesque. En fait, je me considérais comme quelqu’un de plutôt solitaire, et j’ai découvert que j’avais un besoin physique de côtoyer des gens. Les heures passées au téléphone ne suffisent plus. Je dois parfois repasser au boulot et ça me fait un bien fou d’être à proximité d’autres personnes. Même sans interaction, la présence fait du bien. Je me suis rappelée que j’étais un animal social. » p>
« Je retrouve l’envie de m’inclure dans une société en mouvement » Jean-Michel (40 ans) h2>
« Célibataire plutôt casanier et sans emploi régulier, je ressentais le besoin de changer d’air depuis un moment – mais grâce à une vie sociale satisfaisante, pas mal de temps passé devant des écrans et quelques mauvaises habitudes, je n’ai jamais trouvé le temps long. C’est juste que mes journées se suivaient, se ressemblaient, sans trop de surprises. Suite à la perte d’un parent à l’aube de 2020, je me suis posé beaucoup de questions, au point de vouloir bouleverser certaines choses tout en m’accrochant à celles que je ne voulais pas perdre. Je venais de déménager, plus loin du centre-ville mais prêt à construire de nouveaux ponts, quand la crise a éclaté. Totalement confiné dans un environnement nouveau, j’appréhendais encore davantage la situation, peu propice à la réalisation de mes objectifs. Mais finalement, l’anormalité et le décalage que je subissais auparavant devenait du jour au lendemain le quotidien de millions de citoyens, résolus à affronter ensemble l’incertitude et l’inconnu. D’un coup, je me suis curieusement senti moins seul. Je prends conscience du désarroi de tous et retrouve progressivement l’envie de m’inclure dans une société en mouvement où chacun a une place à se trouver. Une occasion unique que je considère personnellement comme une chance à saisir pour reprendre goût aux choses simples et essentielles, sans minimiser l’impact dramatique auquel certains font face. Je m’évade au travers de loisirs oubliés, observe le monde et souhaite impatiemment partager de riches moments avec ceux qui me manquent indéniablement. » p>
« Pour moi, la lecture est une conversation » Yasmine (28 ans)
« Mon métier m’amène à côtoyer beaucoup de monde, et, honnêtement, je trouve cela épuisant. Quand je dois faire une conférence quelque part, je ne reste jamais pour le drink qui suit… Je ne suis pas très douée pour le small talk. Le confinement qui nous est imposé à cause du coronavirus me convient parfaitement. Enfant, j’étais déjà comme cela: je passais des heures seule, dans ma chambre. Plus tard, adolescente, j’aimais avoir de longues conversations avec mes parents. Sur la politique, sur leur vie d’avant, etc. En général, ils étaient ravis mais pas toujours disponibles. J’avais espéré, pendant mes études, rencontrer des tas de gens avec qui refaire le monde, mais ça n’a pas été le cas. D’où le fait que je sois restée une solitaire. Mais j’aime être seule, même si j’ai des amis et de la famille qui m’aiment. Non, ce qui me manque, c’est de pouvoir discuter vraiment, de manière approfondie, des sujets qui me tiennent à coeur. J’ai un ami avec qui je peux le faire et j’apprécie énormément les soirées que nous passons ensemble. Mais il n’a pas énormément de temps, et moi non plus. Heureusement, il y a les livres. Je dis souvent pour rire que ce sont mes meilleurs amis. Les gens pensent que la lecture est une activité à sens unique, mais non ! Pour moi, la lecture est une conversation, chaque phrase m’apporte une réponse. Les livres sont une présence extraordinaire, croyez-moi. Alors, oui, en ce moment j’apprécie d’avoir moins de contacts sociaux. Même si je me demande parfois combien de temps je vais tenir… »
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici