Vivre avec une maladie invisible, la double peine

La célèbre auteure-?compositrice-interprète, réalisatrice, scénariste et productrice australienne Sia (à gauche), a annoncé fin 2019 être atteinte du syndrôme d'Ehlers Danlos, aussi surnommé maladie du chewing gum

Il existe des milliers de maladies génétiques et tout autant de symptômes qui y sont associés. Parmi elles, le Syndrome d’Ehlers-Danlos (SED), une maladie génétique rare de l’ensemble du tissu conjonctif. Ceux qui le vivent nous racontent leur quotidien.

On répertorie 13 types de SED, une maladie génétique rare de l’ensemble du tissu conjonctif, tissu commun à tous nos organes qui les soutient et les lie. Le plus répandu est le type 3 : le SED Hypermobile. Une hyperlaxité ligamentaire, des douleurs articulaires et musculaires chroniques, des entorses et luxations à répétition, des troubles de la proprioception ou encore une fatigue chronique, voilà ce que cache cette pathologie peu connue. Autant de symptômes qui ne sont pas forcément visibles à l’oeil nu. Autant de douleurs cachées que les patients ont du mal à exprimer. Trois femmes ont accepté de nous raconter leur histoire et de témoigner sur les difficultés rencontrées lorsqu’on est atteint d’une pathologie invisible.

Maëlle, 21 ans :

 » Je veux une famille, un travail, une maison et je ne veux pas que ma vie se résume à cette maladie. « 

 » J’ai été diagnostiquée en 2018. Suite à une tendinite au pied, j’ai rendu visite à un neurologue. Il a alors remarqué que j’étais très laxe. En discutant nous nous sommes rendu compte que j’avais pas mal d’antécédents d’entorses et de subluxations. Il m’a donc envoyée faire une biopsie de la peau qui s’est révélée positive. Le suivi s’est ensuite fait auprès d’un médecin spécialisé dans le SED et le diagnostic a alors été posé définitivement. J’ai énormément de douleurs articulaires et musculaires, beaucoup de fatigue et d’autres problèmes gastro-intestinaux qui sont liés au SED également. Je suis tellement laxe que je dois faire très attention à mes mouvements. J’ai décidé de vivre avec, je continue mes études d’institutrice primaire même si on me l’a fortement déconseillé. Heureusement, je suis bien entourée.

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C’est compliqué car comme la pathologie est peu connue, l’entourage ne comprend pas. Si mes proches commencent à connaître mes difficultés, à l’école par contre ce n’est pas le cas. Puisque cette maladie est  » invisible « , les gens se demandent pourquoi un jour j’ai des orthèses et le lendemain plus rien. C’est aussi difficile psychologiquement. Moi je n’aime pas forcément en parler, mais lorsque je porte toutes mes orthèses, je suis parfois obligée de donner des explications. C’est très compliqué de mettre des mots sur ce syndrome et le regard de l’entourage ne rend pas la tâche plus facile. On m’a souvent dit  » c’est psychosomatique  » mais j’avais vraiment mal, ce n’était pas dans ma tête. J’ai souvent été rejetée pour ma différence. Aujourd’hui j’ai grandi, je vois les choses différemment, mais le jugement des autres ça a pu être très dur par le passé. Le plus dur pour moi, ce sont les incertitudes. Je ne connais pas encore tous les tenants et tous les aboutissants. Je ne sais pas de quoi sera fait l’avenir. J’essaye de me projeter mais je me demande toujours si je pourrai avoir des enfants, si je marcherai toujours correctement dans 20 ans ou bien si je serai en fauteuil roulant. Malgré tout je reste positive, même si je me pose des questions, je veux une famille, un travail, une maison et je ne veux pas que ma vie se résume à cette maladie. Même si les tâches quotidiennes deviennent de plus en plus difficiles, je continue à aller de l’avant. Je continue à vivre, à rêver avec ou sans cette fichue maladie. J’ai vécu pendant 18 ans avec ce syndrome sans mettre de nom dessus, ce n’est pas maintenant que je peux la nommer que je vais arrêter de vivre. « 

Vany Esposito, 23 ans :

 » C’est difficile de se dire qu’à 23 ans, je me sens déjà comme une personne âgée. « 

Depuis mes 11 mois, j’ai une polyarthrite rhumatoïde qui a été déclenchée par le vaccin contre la polio. J’ai donc été sous traitement pour cette pathologie. Tout s’est amélioré jusqu’à mes 15 ans où en mordant dans un bonbon j’ai ressenti une douleur atroce et une de mes dents est tombée. Quelques secondes après, c’est mon épaule qui me faisait souffrir atrocement. Nous pensions qu’il s’agissait d’une crise due à la polyarthrite mais en arrivant chez ma rhumatologue le constat était là. Il ne s’agissait pas cette fois de la polyarthrite, mais d’une autre maladie. Mon médecin a évoqué Ehlers-Danlos et j’ai donc fait une biopsie qui a finalement confirmé l’hypothèse du SED. J’ai beaucoup de douleurs osseuses et musculaires.

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Mais j’ai aussi des problèmes au niveau de la vision, au niveau dentaire, au niveau gastro-intestinal mais c’est surtout une douleur constante et une fatigue chronique importante. Plus jeune, je n’ai pas su gérer mes symptômes. C’était nouveau pour moi et je ne l’acceptais pas. Avec l’âge et avec le temps, on apprend à vivre avec ceux-ci. Je dis toujours que j’entends mes douleurs, mais je ne les écoute pas. Si je les écoute, elles prennent le dessus. Psychologiquement c’est difficile de se dire qu’à 23 ans, je me sens déjà comme une personne âgée. Chaque effort m’épuise et le fait que ce syndrome ne soit pas visible puisque je n’ai pas un bras ou une jambe en moins, cela rend les choses encore plus difficiles à gérer. Les gens ne comprennent pas quand j’explique que je ne peux pas sortir un soir car je suis exténuée ou que j’ai trop mal. Pour eux j’ai l’air tout à fait normale et donc ils ne me croient pas vraiment. Même au niveau de la famille, puisque les symptômes ne se voient pas forcément, mon entourage oublie parfois que je souffre. Je n’en veux à personne de ne pas percevoir le handicap car même moi j’ai du mal à comprendre mes douleurs, mais parfois j’ai envie de dire  » vous voyez bien que ce n’est pas faux, que j’ai vraiment mal « . Le regard des autres peut être dérangeant parce qu’on a envie d’être compris et en même temps si moi je ne me comprends pas toujours je ne peux pas leur en vouloir de ne pas comprendre.

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D’un autre côté, je n’ai pas toujours envie que les gens le sachent car je veux être considérée comme une personne normale. Pour mes jobs étudiants par exemple, je ne le dis pas. Pour quelqu’un qui ne fait pas partie de notre entourage et à qui on ne s’est jamais confié, c’est très difficile de le comprendre. Une maladie invisible, une personne qu’on ne connaît pas, ça donne vraiment l’impression que c’est de la comédie et ça pour une personne atteinte c’est très difficile à gérer. C’est difficile au travail de dire  » non, je ne saurais pas porter cette caisse car mon épaule peut se déboîter…  » ou bien lors d’une soirée chez des amis  » non, ne me pousse pas dans l’eau, je pourrais me fouler la cheville « .

Le plus dur, c’est d’accepter d’avoir 23 ans et de vivre dans le corps d’une dame de 70 ans certains jours. Parfois je vis dans mon corps de jeune femme en oubliant la maladie, mais je le paye pendant plusieurs jours. Même des vacances peuvent m’épuiser si on bouge un peu trop. Donc le plus dur c’est de ne pas pouvoir vivre la vie d’une jeune femme tout à fait normale et de devoir faire des choix. Je ne me compare plus aux autres mais lorsque ça me passe par la tête ce n’est pas toujours facile. Je suis quelqu’un de positif en général. J’ai appris à vivre avec, il y a toujours pire et cette pathologie ne va pas m’empêcher de vivre. « 

Valérie, 41 ans :

 » Les médecins me conseillent d’acheter un fauteuil roulant mais j’avoue que c’est un pas très difficile à franchir pour moi. « 

 » Après des années d’errance médicale et vu mes symptômes depuis ma petite enfance, j’ai fait une biopsie et un test de Beighton qui s’élevait à 8 sur 9 (NDLR : examen qui consiste à coter sur 9 points la laxité d’un patient). Le nom de ce qui me pourrit la vie est sorti : Syndrome d’Ehlers-Danlos hypermobile à tendance vasculaire. Je suis en plus atteinte du syndrome du défilé thoraco-brachial vasculaire. Malgré deux opérations pour ce problème (ablation de muscles et première côte), il faudrait encore m’opérer car avec le SED tout se laisse aller. De plus, suite au décès de ma soeur, j’ai eu un très gros choc psychologique et depuis c’est devenu invivable.

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J’ai d’importantes douleurs, très invalidantes. J’ai des orthèses pour maintenir les épaules, les hanches, les chevilles. Je ne sais presque plus marcher, seules les petites distances sont tolérables. Les médecins me conseillent d’acheter un fauteuil roulant mais j’avoue que c’est un pas très difficile à franchir pour moi. Je ne sors de chez moi que pour des raisons médicales ou pour me rendre chez le kinésithérapeute. En gros, je ne sais plus rien faire sans me faire mal. Le repassage et le nettoyage, porter une charge, changer les lits… Toutes ces tâches quotidiennes deviennent impossibles. C’est une vie assez difficile et le regard des autres ne me facilite pas la tâche. Sans mentir, je n’arrive pas à passer dessus. Voir et entendre les gens me juger sans arrêt est devenu plus qu’épuisant. Cela m’incite à me renfermer énormément sur moi-même et j’essaie simplement de me plaindre le moins possible. Maman de trois bambins, c’est difficile aussi d’imaginer que mes enfants puissent être atteints de la même pathologie. Mon petit est hyperlaxe et ma fille aussi, mais je refuse de leur coller une étiquette donc je ne leur fais pas passer les tests. Je pense qu’il est temps d’en parler. Il est temps que les gens sachent, connaissent notre maladie afin d’être un peu plus compréhensifs… « 

Si vous souhaitez plus d’informations au sujet du Syndrome d’Ehlers-Danlos, vous pouvez vous rendre sur le site du Groupe d’Entraide des Syndromes d’Ehlers-Danlos, www.gesed.com

Par Mélanie Briamont

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