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Rencontre avec Quentin Bisch, le parfumeur qui fait craquer la Gen Z

A tout juste 40 ans, Quentin Bisch est l’un des parfumeurs les plus brillants du moment. De Dries Van Noten à Jean Paul Gaultier en passant par Mugler ou Chloé, les maisons se l’arrachent. Peut-être portez-vous l’un de ses parfums sans le savoir.

Quoi de mieux qu’un parfum pour traduire l’air du temps et devenir le symbole muet et invisible de toute une génération? Les Zoomers ont ainsi leurs icônes et Delina, sanctifiée par TikTok, est sûrement l’une d’entre elles. Cette rose fruitée aux saveurs de litchi dans son flacon poudré a ses adorateurs. Tout comme ce stiletto photogénique en diable qui, en enflammant la Toile et les charts du marché, a su faire de Good Girl le quatrième féminin le plus vendu au monde. Tous deux bien installés à l’opposé du spectre toujours plus élargi des parfums aujourd’hui, ces jus ont en commun un même créateur.

Un métier très secret

A 40 ans à peine, Quentin Bisch a déjà plus de 140 fragrances au compteur. Des plus confidentielles − c’est à lui que l’on doit aussi une des dix eaux de parfum lancées l’année dernière par le créateur belge Dries Van Noten – aux nouveaux piliers d’une parfumerie «populaire» qui distille ses jus par millions. Un rêve de gosse devenu réalité, au-delà même de ce que ce Français, né à Strasbourg, osait espérer.

1. La Belle Le Parfum, Jean Paul Gaultier, 137 euros les 100 ml. 2. Fleur du Mal, Dries Van Noten, 250 euros les 100 ml. 3. Delina, Parfums de Marly, 245 euros les 75 ml (disponible chez Beauty by Kroonen, à Bruxelles). 4. Ciel Magnolia, Kenzo, 83,50 euros les 75 ml. 5. Guidance, Amouage, 345 euros les 100 ml. 6. Good Girl Blush, Carolina Herrera, 145 euros les 80 ml (disponible chez Ici Paris XL).
1. La Belle Le Parfum, Jean Paul Gaultier, 137 euros les 100 ml. 2. Fleur du Mal, Dries Van Noten, 250 euros les 100 ml. 3. Delina, Parfums de Marly, 245 euros les 75 ml (disponible chez Beauty by Kroonen, à Bruxelles). 4. Ciel Magnolia, Kenzo, 83,50 euros les 75 ml. 5. Guidance, Amouage, 345 euros les 100 ml. 6. Good Girl Blush, Carolina Herrera, 145 euros les 80 ml (disponible chez Ici Paris XL). © DONNA VAN DEN ENDE ET LENNERT DE MOOR

«J’ai su très tôt que je voulais faire ce métier, rappelle Quentin Bisch. Sans avoir alors la moindre idée de ce qu’il fallait faire pour y parvenir. Je ne venais pas de Grasse, je ne descendais pas d’une lignée de parfumeurs. Je n’avais donc pas les clés d’accès, ni le réseau pour me faire un chemin dans un monde qui reste encore très fermé, voire secret.» Tout commence en réalité dans une salle de classe, au collège. Un de ces instants travelling digne d’une scène de cinéma.

«C’était le jour de la rentrée, raconte-t-il. J’étais arrivé le dernier pour le cours de français. J’avais écopé de la place au premier rang à côté de la porte dont personne ne voulait. La prof était en retard, je dessinais dans un carnet pour m’occuper. Et puis elle est entrée. Avant même de la voir et de lever la tête, j’ai senti son parfum. Pendant toute l’heure de cours, je n’ai plus pensé qu’à ça.» Pressé de lui demander ce qu’elle portait une fois la classe terminée, l’adolescent se fait rabrouer. «Je me suis excusé, la dernière chose que je voulais c’était me faire mal voir», poursuit-il.

La force de l’invisible

Il écume les parfumeries jusqu’à ce qu’il découvre le sillage: Opium d’Yves Saint Laurent. «J’ai compris alors que je voulais moi aussi être à l’origine d’une telle émotion, renchérit-il. Un parfum, bien qu’invisible, dit tant de choses sur soi. Plus même que l’apparence physique, il ne s’oublie pas.» Reste toutefois un obstacle de taille à franchir: la plupart des parfumeurs d’aujourd’hui sont d’abord des chimistes. Littéraire dans l’âme, mordu de philo, musicien à ses heures, Quentin Bisch refuse alors l’obstacle pour mieux le contourner et entame un cursus en art du spectacle à l’université de Strasbourg.

Il en sort major de promo tout en montant sa compagnie de théâtre. On lui propose une bourse pour entreprendre une thèse. Mais ses envies de parfums ne l’ont jamais quitté. Sans relâche, il contacte les parfumeurs qu’il admire. Sa persévérance finira par payer. Michel Almairac, Grassois de souche, lui ouvre les portes de la société de parfums Robertet. Il lui offre un stage d’un mois non rémunéré. Quentin Bisch quitte alors Paris sans hésiter. La suite tient du rêve éveillé.

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L’art de la patience

«J’ai enchaîné un second mois de stage avant de signer un contrat d’assistant parfumeur, relate-t-il. Je restais tard le soir pour faire mes propres dilutions que je ramenais chez moi. Mon appartement ressemblait à un orgue à parfums géant, j’en avais absolument partout.» Il n’en faudra pas plus pour convaincre Jean Guichard, le directeur de la prestigieuse école Givaudan, qui accueille aussi, en marge des profils scientifiques, quelques universitaires atypiques.

Au terme d’un cursus de trois ans, Quentin Bisch rejoint le pool des parfumeurs du numéro un mondial du secteur. «Une fois que l’on intègre le centre de création, on entre dans le jeu de la compétition propre à l’industrie du parfum, pointe-t-il. Les marques mettent les fabricants en concurrence mais aussi les nez au sein d’une même maison de composition. Vos collègues deviennent alors vos adversaires face au «brief», autrement dit l’histoire que le client veut vous voir raconter avec votre fragrance.»

La compétition est parfois toxique. Car lorsqu’on compare, on a forcément tendance à niveler, à adapter sa note pour concurrencer celles des autres. Lorsque l’on s’en déleste, on ouvre le champ des possibles et des explorations.

Quentin Bisch

Parfumeur

Pendant près de deux ans, ses mentors, les maîtres parfumeurs Louise Turner et Jacques Huclier, ne le laissent pas pitcher ses essais en direct auprès des clients potentiels. Dans l’ombre, il observe. Pèse encore lui-même chacune de ses formules. «Cette lenteur imposée au démarrage m’a permis de comprendre comment les parfums se construisent, d’affiner mes gammes, mes accords, mes thèmes jusqu’à les maîtriser dans ma tête comme un auteur qui manierait les mots en écrivant un livre.»

Sensible et fort à la fois

Une prudence qui s’avérera payante lorsqu’il croisera la route de Pierre Aulas. L’homme qui joue les relais entre les marques et les parfumeurs travaille pour les plus grandes maisons de parfums et de mode. Le convaincre, c’est entrouvrir la porte de la cour des grands. Alors que Quentin Bisch lui présente l’une des notes sur laquelle il s’acharne depuis trois mois, l’influent consultant décide de le tester.

«On m’avait prévenu, ça pouvait être violent. Mais je n’imaginais pas à quel point, se rappelle-t-il. Il m’a donné 20 minutes pour proposer trois accords: un ambré, un floral, un «étonnant». Si je n’avais pas dans ma tête une palette de possibilités prêtes à l’emploi, dont je maîtrisais chaque composant et l’impact qu’avait sur eux la moindre modification, je ne serais arrivé à rien. J’aurais juste paniqué.»

Notre jeune parfumeur remporte ce challenge qui visait avant tout à le pousser dans ses retranchements. Il décroche le brief de Pierre Aulas. Et dans la foulée créera avec lui Angel Muse chez Mugler, Nomade chez Chloé et une douzaine d’autres jus.

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Dries Van Noten comme source d’inspiration

«La compétition est parfois toxique, regrette-t-il. Car lorsqu’on compare, on a forcément tendance à niveler, à adapter sa note pour concurrencer celles des autres. Lorsque l’on s’en déleste, on ouvre le champ des possibles et des explorations.» Une prise de risque qui sied sans doute mieux à la parfumerie de niche qui aime aussi s’offrir les services de ce faiseur de parfums stars.

«Quand Amouage ou L’Artisan Parfumeur font directement appel à moi, ma liberté est forcément plus grande, même s’il y a la plupart du temps une demande précise, note-t-il. Avec Dries Van Noten, en revanche, tout était totalement ouvert. Certes nous étions plusieurs parfumeurs puisqu’il voulait proposer une collection complète. La seule chose qu’il a demandée, c’est de le surprendre, en jouant avec cette idée des combinaisons impossibles. Le brief, la source de mon inspiration finalement, c’était lui, Dries Van Noten.» Se verrait-il un jour devenir le nez d’une unique maison?

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Un invisible enchantement

Trop tôt pour le dire sans doute, tant il aime encore la versatilité d’un métier dévorant et pétri de contradictions. «Vous devez pouvoir être solitaire face à votre formule et extraverti avec votre client. Rester plongé dans vos essais tout en étant ouvert au monde pour sentir l’air du temps. Sensible pour faire parler vos tripes et fort pour encaisser les rejets que vous allez vous prendre tous les jours.»

Le jeu pourtant semble en valoir la peine. Si demain tout s’arrête, il sait qu’il reprendra le chemin de la scène. Dans sa tête défilent déjà les images d’un spectacle musical qu’il pourrait monter. Mais l’envie reste là, puissante, de persévérer dans ce qu’il fait de mieux. Des parfums limpides et lumineux à la rémanence inoubliable. De ceux qui font tourner la tête lorsqu’on les croise et que l’on devine encore dans la pièce quand vous l’avez quittée. Tel un invisible enchantement.

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