Sous le maquillage des Occidentales, le travail des enfants en Inde

"Dans certaines zones de l'Inde où la pauvreté est très forte, il est difficile de convaincre les parents d'envoyer leurs enfants à l'école" © Reuters

Dans certaines sociétés, le maquillage est synonyme d’embellissement, de sophistication, d’artifice. En Inde, il rappelle que l’exploitation des plus pauvres et des enfants dès 4 ans est toujours de mise, aux antipodes des promesses de bonheur du make up.

Son visage maculé de terre et ses cheveux collés par la sueur, Lalita Kumari, huit ans, ratisse le sol en quête de copeaux de mica, un minerai qui donne de l’éclat au rouge à lèvres et au vernis à ongles. Profitant d’une pause sur un vallon éblouissant de sable, Lalita explique qu’elle n’a rien connu d’autre depuis l’âge de quatre ans que ce dur travail dans les mines de l’Etat du Jharkhand, dans l’est de l’Inde. « Je veux aller à l’école mais nous n’avons jamais assez à manger à la maison. Alors je dois venir ici pour travailler », explique la jeune enfant à la queue de cheval, les mains boursouflées cachées derrière le dos, à côté de sa pioche.

Lalita, comme des centaines d’enfants, aide sa famille à joindre les deux bouts en passant sa journée à ramasser du mica, le ventre souvent vide sous un soleil de plomb. Il y a vingt ans, le gouvernement du Jharkhand a fermé les mines en raison d’atteintes à l’environnement mais les habitants des villages continuent de fouiller les tonnes de terre extraites à l’époque.

Le mica confère un aspect brillant aux poudres, mascaras et rouges à lèvres de grandes marques mais la complexité des filières d’approvisionnement rend pratiquement impossible la détermination de son origine exacte, selon les ONG.

Les familles des enfants qui ramassent du mica le vendent fréquemment à de petits intermédiaires qui le revendent à de gros fournisseurs. En 2009, le groupe allemand de chimie-pharmacie Merck avait été accusé de s’approvisionner en mica extrait par des enfants, qu’il revendait à de grandes marques comme L’Oréal ou Revlon. Merck indique avoir depuis mis en oeuvre plusieurs mesures pour s’assurer que « tout le mica utilisé pour la fabrication de nos pigments provient de sources n’ayant pas recours au travail d’enfants », selon une déclaration envoyée à l’AFP.

La face sombre de la beauté

Les défenseurs des droits de l’enfant estiment cependant qu’une surveillance des zones les plus reculées est impossible et qu’il est donc exclu de pouvoir garantir l’absence de travail d’enfants. « Je pense que les entreprises se renvoient la balle », dit Bhuvan Ribhu, de l’ONG Bachpan Bachao Andolan, dont le fondateur Kailash Satyarthi a remporté l’an dernier le prix Nobel de la paix pour son combat contre le travail des enfants.

« C’est une responsabilité partagée par tous ceux qui se fournissent en mica dans cette région de venir pour s’assurer que tous les enfants vont à l’école », dit Ribhu à l’AFP. Les grands groupes assurent que leurs fournisseurs se conforment à leurs règles. « Merck, notre principal fournisseur en Inde, n’utilise que du mica extrait de mines légales et a fourni les garanties sur l’ensemble de sa chaîne d’approvisionnement », a déclaré une porte-parole de L’Oréal dans un mail à l’AFP. Revlon, qui se fournit également auprès de Merck, n’a pas répondu aux multiples sollicitations de l’AFP.

Le travail des mineurs est interdit en Inde, mais souvent la loi n’est pas respectée. Les enfants comme Lalita se blessent fréquemment avec les pioches, tandis que la poussière de mica pénètre dans leurs yeux et leur poitrine, abîmant leurs poumons. Pendant la mousson, ils sont exposés au risque d’une morsure de serpent ou à celui d’être enterré vivant dans l’effondrement d’une mine.

L’école ou la faim ?

« Dans ces zones où la pauvreté est tellement forte, il est difficile de convaincre les parents d’envoyer leurs enfants à l’école », dit Ram Bachan Paswan, un responsable de l’administration du travail de la région. « En outre, ces mines n’existent pas sur le papier, ce qui rend encore plus complexe notre tâche. »

Père de quatre enfants, Shibu Yadav reconnaît qu’il fait travailler ses enfants dans les mines de mica pour joindre les deux bouts. « C’est notre principale source de revenus », dit-il en montrant le monticule de gravats rouge argenté devant sa maison décatie.

« S’il n’y avait pas le mica, nous serions morts de faim », ajoute-t-il, précisant que sa famille tire 1.000 roupies (14 euros) par mois de la collecte de mica.

Les géants de la cosmétique comme Estee Lauder et Chanel ont récemment rallié un fonds finançant l’envoi des enfants à l’école, mis en place avec l’ONG du prix Nobel indien. Mais tous les enfants n’ont pas la chance de pouvoir profiter de cet effort. Pushpa Kumari, 13 ans, a le visage déjà usé par le travail. Le mica « rend les femmes plus élégantes », dit-elle en tenant en équilibre un plateau de mica sur la tête. « Mais regardez ce qu’il produit sur nous… »

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