Une cosmétique plus clean est en marche: tout bon pour la peau et la nature
Plus stricts que la législation européenne, les standards de ce que l’on appelle la « clean beauty » forcent l’industrie cosmétique à repenser ses formules en toute transparence. Au coeur de ces enjeux: le respect de la peau mais aussi de l’environnement.
Le confinement a peut-être été pour vous l’occasion d’opérer un grand nettoyage, y compris dans votre salle de bains. De regarder de plus près la liste des ingrédients qui composent vos produits cosmétiques. Et de les passer au crible des nouveaux standards de ce que l’on appelle la « clean beauty ». Ces « bonnes pratiques » de formulation importées des Etats-Unis et édictées par une série d’applis pointent du doigt des composants (lire encadré ci-dessous) qui pourtant sont autorisés par la législation européenne, l’une des plus strictes au monde. Un sacré coup de bambou pour la plupart des acteurs traditionnels du secteur dont les produits se retrouvent à l’index et qui doivent aujourd’hui répondre aux exigences de transparence des consommateurs tentés de se tourner vers les « indie brands », ces petites marques indépendantes dont les cahiers des charges se sont calqués d’emblée sur ces nouvelles normes. « Le souci aujourd’hui, c’est que la valence médiatique d’un ingrédient finit par prendre le pas sur la science, pointe Edouard Mauvais-Jarvis, directeur de la communication scientifique de Dior. Le principal défaut de ces applis, c’est qu’elles vendent de la peur. Elles travaillent sur un listing d’ingrédients qui ne tient compte ni de la concentration, ni du type d’usage qui en est fait. Elles partent du principe que si un effet toxique a été démontré quelque part, le produit doit simplement être éliminé. Si l’on suit cette logique, tout peut devenir potentiellement toxique, même dans notre quotidien: l’eau, le sucre, le sel sont dangereux si utilisés à forte dose. »
Mon appli m’a dit…
Elles ont pour nom Clean Beauty, Think Dirty, Skin Ninja, Yuka, INCI Beauty, PharmaPocket ou QuelCosmetic pour n’en citer que quelques unes. Le scan d’un code-barres ou d’une liste de composants vaudra à votre produit d’être épinglé ou non pour la présence de matières premières jugées indésirables voire même une notation par code couleur – en vert tout va bien, en rouge, ça craint -, la nature même des ingrédients controversés pouvant différer d’une appli à l’autre. Dans leur viseur, on retrouvera presque toujours le formaldéhyde, les huiles minérales, les silicones, les nanoparticules, des conservateurs chimiques comme les parabens, le phénoxyéthanol, le méthylisothiazolinone, les phtalates, certains filtres solaires, les colorants, les parfums de synthèse, les alcools et même parfois les huiles essentielles…
Choisir en conscience
Et c’est bien à la notion même de dose que font référence les défenseurs de la clean beauty: pour eux, un cosmétique produit en Europe ne pose aucun problème dans sa formulation et dans son utilisation… unique. « Le souci, c’est l’exposome, développe Candice Colin, fondatrice du site et de l’appli Clean Beauty. Ces ingrédients à la toxicité avérée dans certaines conditions, vous y serez exposés depuis votre vie foetale jusqu’à votre mort dans un tas de produits de votre quotidien. Les cosmétiques ne sont qu’un maillon de la chaîne bien plus vaste de l’industrie chimique. » Pour la jeune femme dont l’application ne « cote » pas les produits mais décode le contenu des étiquettes pas toujours très lisibles pour les non-scientifiques, il est indispensable de permettre au consommateur de faire un choix éclairé. « Penser que l’on peut totalement s’extraire de la gigantesque soupe chimique dans laquelle nous vivons est totalement illusoire, poursuit Candice Colin. L’être humain aussi est paradoxal: il pourra être plus regardant sur certaines choses que sur d’autres. Moi par exemple, j’admets être moins critique sur le maquillage que sur le soin dans mon usage personnel. Mais je le fais en pleine conscience. »
Un enjeu environnemental
C’est d’ailleurs pour apporter des réponses à ses consommateurs que le groupe L’Oréal a lancé la plate-forme « Au coeur de nos produits », listant l’usage qu’il fait des ingrédients controversés en n’omettant pas non plus de préciser ce qu’on leur reproche. Même initiative chez Guerlain, qui retrace sur son portail Bee Respect les étapes de vie de chacune de ses références mais aussi les engagements que promet de prendre la maison sur les matières premières qui posent question. « Pour nous, c’est aussi une manière de montrer à nos clients la complexité de notre métier, détaille Sandrine Sommer, directrice développement durable chez Guerlain. Notre objectif à terme est de pouvoir nous passer de ces composants qui, je le rappelle, peuvent toujours être utilisés. Mais tant que nous n’avons pas une alternative sûre à 100% en termes de sécurité, de sensorialité, de stabilité, nous préférons garder ce que nous connaissons. Nous participons à l’effort commun qui tend vers plus de naturalité mais sans pour autant faire n’importe quoi. » Le groupe Shiseido a choisi pour sa part de proposer, en parallèle à ses gammes traditionnelles, une alternative estampillée « clean » en rachetant Drunk Elephant pour plus de 800 millions d’euros. Le géant japonais vient aussi d’annoncer le lancement d’une nouvelle marque. Baptisée Baum, elle est garantie sans parabens, sans silicones ou colorants synthétiques et parfumée à partir de fragrances naturelles dérivées des arbres.
« Au-delà de l’idée de transparence sur la composition des produits pour permettre aux consommateurs de faire les bons choix pour leur santé, le référentiel de la clean beauty intègre désormais une composante environnementale forte, note Laurent Nogueira, responsable innovation application produits chez LVMH. Et cela passe par le respect de la biodiversité, la biodégradabilité, la mise en place de filières durables et traçables, la réduction des déchets. » Une quête qui pousse les marques à doper au maximum le pourcentage d’ingrédients d’origine naturelle dans leurs formules. Ainsi, Givenchy vient d’annoncer le lancement de sa toute nouvelle gamme Ressource dont le « quotient » naturalité atteint aujourd’hui les 96%. Même combat chez Dior, qui a reformulé intégralement sa ligne Capture Totale pour atteindre au minimum 85% de composants d’origine naturelle et jusqu’à 92% pour son sérum. « Le plus dur, ce sont les derniers pourcents restants, admet Edouard Mauvais-Jarvis. Tout n’est pas possible en 100% naturel si l’on ne veut pas risquer un jour de se retrouver en concurrence avec l’alimentaire, si l’on veut que cela reste soutenable. Nous vendons des millions de références par an de nos grands standards. On n’en modifie pas les formules d’un claquement de doigt. Il est parfois plus facile de proposer un produit alternatif, dans la même gamme, pour laisser le choix au consommateur de rester sur ce qu’il connaît ou passer à une tout autre expérience. C’est une manière aussi d’assurer une transition douce. »
Reformulation permanente
Chez Clarins, qui a lancé en 2019 la gamme végane My Clarins garantie sans parabens, sans sulfates et sans phtalates, un nouveau programme de (re)formulation a vu le jour il y a trois ans. Son nom de code? « Green beauty, précise Marie- Hélène Lair, directrice de la communication scientifique du groupe. Cette démarche en soi n’est pas nouvelle pour nous. Nous avons toujours préféré modifier nos formules existantes dès que nous disposions de nouvelles données scientifiques en termes d’efficacité, de nouveaux ingrédients… plutôt que de multiplier les lancements. Le consommateur, aujourd’hui, est abreuvé d’informations sur des composants qui seraient toxiques. Face à ce bad buzz, nous n’avons pas le choix, nous devons trouver des alternatives. Mais cela prend du temps. Il ne suffit pas de remplacer un ingrédient par un autre. C’est toute l’architecture de la formule qui est impactée. » Et toute la chaîne de production qui implique aussi de demander aux fournisseurs de supprimer également certains composants, principalement des conservateurs, présents dans les matières premières qu’ils délivrent aux fabricants. « Nous avons toujours eu notre « liste grise » sur laquelle se retrouvaient les ingrédients dont on commençait à entendre dire du mal, bien avant l’arrivée des exclusives édictées par la clean beauty, insiste Edouard Mauvais-Jarvis. Chaque fois, nous cherchons des substitutions qui n’existent pas toujours. Certains ingrédients sont incomparables en termes de velouté, de sensorialité. Dire que l’on peut tout faire avec des formules courtes, ce n’est pas vrai. Ce n’est pas la même cosmétique. Si vous partez de rien, vous n’avez pas d’attente du consommateur, vous vous fixez un cahier des charges et vous faites avec. »
Simplifier les routines
Une difficulté que reconnaît Pascale Brousse, fondatrice de l’agence Trend Sourcing spécialisée dans le décryptage des tendances dans le secteur de la beauté, de la santé et du lifestyle green. « Les acteurs historiques se sentent punis par les notations de ces applications, admet-elle. Mais tous s’accordent aujourd’hui sur la nécessité d’adopter des formules les plus sûres et les plus respectueuses possibles. Pour la peau et pour l’environnement. Le packaging sera d’ailleurs le prochain challenge. » Le retour à une certaine mesure, aussi, dans la prescription des routines beauté. « Inutile de prôner des soins à moins de dix ingrédients si c’est pour les superposer, conclut Pascale Brousse. Si l’on veut réduire l’exposome, commençons aussi par limiter le nombre de produits – et donc de molécules – que l’on se met quotidiennement sur la peau. » Aujourd’hui, le Belge en est en moyenne à une consommation de 18 grammes de cosmétiques par jour…
Après avoir passé au crible les listes d’ingrédients pour vérifier le caractère inoffensif et durable de nos produits de soin, l’attention se dirige de plus en plus vers leurs packagings.
1. Cradle to cradle
Le label « cradle to cradle » garantit que chaque étape du cycle de vie d’un produit ne génère aucun déchet. Cela va de la culture même des ingrédients à la production et au recyclage des emballages usés. Aveda a été la première marque de cosmétique à obtenir la certification du « cradle to cradle », pour treize de ses produits.
2. Traitement des déchets
Kevin Murphy, la marque australienne de soins capillaires, fabrique des emballages à partir de déchets plastiques repêchés dans l’océan, identifiables grâce au label « 100% ocean waste plastic ».
3. En carton
Le géant L’Oréal expérimente actuellement différents types de packaging respectueux de l’environnement. Garnier, pionnier du groupe, a notamment lancé un produit emballé dans un tube en carton.
4. Le recyclage
L’année dernière, Beauty Kitchen a remplacé tous ses emballages en plastique par des alternatives réutilisables, portant le logo Return-Refill-Repeat. Le concept: les clients reçoivent des points de fidélité lorsqu’ils rapportent leurs emballages vides, qui sont alors nettoyés et réutilisés.
5. En vrac
Dans trois de ses magasins (Manchester, Milan et Berlin), Lush ne vend plus que des produits solides ne nécessitant pas de contenants. Actuellement, 55% de leur offre s’achète en vrac. Et pour le reste, leurs emballages comptent 94% de matériaux recyclés. Les clients sont aussi encouragés à rapporter leurs récipients vides afin que l’enseigne puisse les transformer et les réutiliser.
« Tradi »
« New gamers »
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