Ingrid Bezikofer

Bonne nouvelle, les gars: le harcèlement de rue n’existe pas!

Ingrid Bezikofer Citoyenne bruxelloise

Ce vendredi, je rentre chez moi après une bonne soirée entre copines. La première partie du trajet, je la fais avec une amie. On papote. Il est tard, et je repense à mes deux précédentes sorties. Je lui raconte de ce trajet de 15 minutes à pied, sur lequel j’ai dû faire face à plusieurs commentaires inappropriés d’hommes que je croisais. Sur ce court trajet, quatre m’avaient interpellée. Pour une fois, je les avais comptés.

La deuxième fois, rentrant à vélo, un homme à sa fenêtre s’est senti obligé de m’adresser ses bruitages indécents. Il me prenait visiblement pour une chatte qu’il voulait attirer. Bien que je me sois forgée des mécanismes de défense assez solides pour faire face à pareil cas, je raconte à mon amie que dans ce climat de #metoo, je commence à perdre patience. Ce mouvement de protestation me fait prendre conscience de l’ampleur du problème, de la fréquence à laquelle j’y suis exposée ainsi que du nombre d’autres femmes qui témoignent de cas similaires, voire pire …

A peine nos chemins se séparent, et que je me retrouve seule dans la rue, qu’une voiture ralentit à ma hauteur. Quatre hommes à l’intérieur. Vitres baissées. Ils s’adressent à moi. « Eh, ça va ? … Tu vas où ?… – rires – Eh ! … ». « Oui, ça va, c’est bon, je ne suis pas intéressée. » Ils continuent à me parler. Leurs paroles sont inintelligibles. Ils se marrent, et persistent à me suivre, roulant au pas. Je leur répète qu’ils peuvent tracer leur route, merci. Cela fait déjà 100 mètres qu’on avance comme cela, moi à pied, eux en voiture ne quittant pas mon flanc. Je commence à réellement m’impatienter et leur signale que s’ils continuent j’appellerai la police. Ils s’esclaffent. Visiblement ma menace ne les effraie pas autant qu’eux commencent à m’inquiéter. Ils ne vont quand même pas m’escorter jusque chez moi ? Je commence à me sentir mal à l’aise. Et personne autour.

Je n’en démords pas, et leur crie leur numéro de plaque de voiture que je viens de relever, ainsi que mon intention de poursuivre ma menace. Cela fonctionne ! Ils détalent. Je continue ma route et me demande comment cela se serait terminé, si je n’avais pas eu la présence d’esprit de mémoriser le numéro et de leur montrer que je pouvais les identifier…

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Passablement énervée et perturbée, je décide de déposer plainte au commissariat de police qui se trouve un peu plus loin. Et c’est là que je réalise que de protection ou de sécurité, nous les femmes, nous n’en avions aucune. Une policière se trouve derrière la vitre. Je lui explique mon intention de déposer plainte et lui relate ma mésaventure. Elle me répond que je n’ai pas matière à faire une déposition. Que le harcèlement est un acte répété et que je ne devrais pas en faire tout un foin puisque ma vie n’a pas été mise en danger. Je lui explique que le harcèlement de rue ne peut par définition être un acte répété, à moins qu’on considère la répétition de l’acte envers une victime (le plus souvent une femme), par un grand nombre d’individus dans l’espace public. En plus, elle me demande de lui relater exactement ce que les types m’ont dit, s’ils m’ont insultée. Je lui rétorque que leurs propos sont moins importants dans mon histoire que leurs actes, à savoir de me suivre en voiture, d’être à quatre et qu’ils n’étaient visiblement pas vraiment bien intentionnés. Je me demande d’ailleurs ce qui se passe dans la tête de ce genre de personne. Pensent-ils réellement que je trouve l’idée séduisante de me faire accoster en pleine nuit par quatre mecs et que je leur répondrais « mais oui ! quelle bonne idée, un plan à quatre avec des inconnus, c’est exactement ce que cherchais ! ». Il est évident que ce genre d’acte n’a pour seul but de créer un environnement de mépris pour la victime. De la rabaisser. Et de jouer aux bras forts entre gars indélicats.

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La flikette ne veut rien entendre. Je lui demande même ce que font la police et la commune pour enrayer ce phénomène, qui dans mon quartier est pratique courante. Elle me répond sans sourciller qu’elle aussi doit faire face à cela en rentrant chez elle, que cela ne la touche pas et que si cela me dérange, qu’il suffit que je ne sorte pas la nuit ou du moins que je me fasse raccompagner. J’hallucine. Elle rajoute qu’on ne peut changer le monde et qu’on doit accepter cela. Avant de tourner les talons, je lui fais savoir que je me renseignerai sur la loi et que je reviendrai. C’est à ce moment qu’elle change d’attitude et demande conseil à son collègue à l’arrière du bureau. Visiblement, elle n’avait pas compris que malgré l’heure, j’étais en pleine possession de mes moyens et que j’étais déterminée. Elle revient et me propose de faire une fiche d’information. J’accepte. Bien que je sache que cette fiche, succincte, sensée laisser une trace de mon passage, se perdra aussi rapidement qu’elle a été griffonnée sur le morceau de papier qu’elle tient en main. Mais je me dis que c’est déjà ça.

En 2014, la Belgique a adopté la loi Milquet tendant à lutter contre le sexisme dans l’espace public et contre la discrimination entre les femmes et les hommes afin de pénaliser l’acte de discrimination. Elle stipule clairement que son application vise « tout acte qui exprime un mépris à l’égard d’une personne, en raison de son appartenance sexuelle, ou de la considérer, pour la même raison, comme inférieure ou comme réduite essentiellement à sa dimension sexuelle et qui entraîne une atteinte grave à sa dignité. »

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Mes recherches internet nocturnes me mènent sur le site de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes. La Belgique possède carrément une administration fédérale qui s’occupe de ces matières. C’est une avancée certaine, que peu de pays ont la chance de posséder. Sur leur site je trouve la définition de harcèlement : « comportement indésirable en rapport avec le sexe ou toute autre caractéristique, qui a pour objectif de porter atteinte à une personne dans sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant. »

Nulle indication qu’un harcèlement se doit d’être un acte répété ! Cependant, la définition correspond à ce que je viens de vivre.

Je me renseigne un peu plus, et déchante rapidement, car cette loi est soumise au code pénal. Ce qui veut dire soumise à des procédures longues et où l’absence de preuves tangibles ne permet pas une application effective de la loi. Cela est confirmé par un article de La Libre de janvier 2017 qui indique que depuis l’entrée en vigueur de la loi, seules 3 plaintes ont été déposées. Je ne peux m’empêcher d’avoir une pensée cynique : si toutes les femmes qui essayent de faire une déposition sont déboutées comme je l’ai été, cela ne m’étonne pas qu’un nombre si ridicule de plaintes n’ait été enregistré.

Je partage ceci, car je suis indignée par l’ensemble de cette histoire :

– Tout d’abord que la police ne veuille recevoir ma plainte et qu’elle m’en dissuade par un argumentaire tronqué, voire erroné. Est-ce de la mauvaise foi ou le corps de police est-il mal (in-)formé ?

– Que la femme flic se permette de juger ma perception des actes de ces hommes et ne montre aucune empathie parce qu’elle « subit la même chose et qu’elle l’accepte ».

– Que cette policière ne se résout à faire un geste envers ma requête que lorsque je me défends en lui montrant que je connais la loi et que je suis déterminée. Cela ressemble presque au mécanisme de défense que j’ai dû appliquer pour éloigner cette voiture : montrer que je suis plus informée et forte qu’eux…

– Je ne comprends pas pourquoi la loi ne prévoit pas des procédures de type administratives, comme celles existant pour les faits d’incivilités et qui pourraient alléger les démarches et faciliter la reconnaissance des victimes.

Enfin, le seul conseil que je puisse donner aux victimes et témoins suite à mon expérience, c’est d’agir. Lorsqu’une femme est harcelée en rue, défendez-vous comme vous pouvez. Montrez aux agresseurs que vous les avez identifiés, prenez une photo, retenez un signe distinctif de la personne, relevez la plaque d’immatriculation et faites-leur savoir. Et si vous pouvez, portez plainte, demandez que votre témoignage soit au moins retranscrit au poste. Nous ne pouvons continuer à penser que rien ne peut être fait pour changer ces comportements déplacés qui nous insécurisent dans l’espace public. La prévention via l’éducation est une chose, mais elle passe également par l’application de cette loi, que nous en Belgique avons de la chance d’avoir inscrite dans nos textes législatifs. Et espérons que cette loi puisse évoluer vers une application administrative pour plus d’efficacité.

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