Calixthe Beyala

L’âge de l’apprentissage
Derrière son rire communicatif et sa trempe de battante, Calixthe Beyala cache une sensibilité qui nourrit son héroïne Pauline, une enfant des cités, souffrant des cécités de ses proches. Seule son enseignante, Mlle Mathilde, décèle en elle la capacité de lire et de se surpasser.

Vos plus beaux souvenirs d’enfance ?
En vieillissant, ils se font d’autant plus présents… Des images me reviennent : les contes et les conseils de ma grand-mère ; ma soeur et moi sous une pluie torrentielle africaine et nos disputes qui n’étaient qu’une autre forme d’amour.

Peut-on oublier ses blessures du passé ?
Jamais, ni ses blessures, ni ses bonheurs ! Pour devenir l’homme ou la femme qu’on est, il est essentiel de rester l’enfant qu’on a été. Alors que je voulais me révolter contre ma grand-mère, je suis devenue la femme qu’elle désirait que je sois. Nul n’échappe à son enfance.

Ni à son apprentissage de la vie ?
L’éducation, inculquée par ma grand-mère, était digne du XIXe siècle. « Rien ne saura te dominer ! » Comme je craignais l’eau, elle m’a obligée à traverser une rivière en pleine nuit. Outre l’obligation envers le groupe, elle m’a transmis le secret des plantes.

Qui était votre Mlle Mathilde » ?
Dyslexique, j’avais beaucoup de difficultés à l’école. Grâce à mon maître Effanden, j’ai pu surmonter mon handicap. Il m’a fait exploser sur le plan intellectuel en me transmettant la passion de lire et d’écrire.

Quel monde s’est ouvert avec les livres ?
Celui du rêve et de l’ailleurs. Zola m’a ouvert au rapprochement des humains en montrant que les enfants européens souffraient parfois autant que les enfants africains.

Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire ?
Les chansons de Léo Ferré et de Brel. Ils manipulaient la langue de façon si subtile et ludique, qu’elle devenait aussi malléable que la terre glaise. On peut jouer au potier pour construire son identité intellectuelle. Je n’avais pas l’ambition d’être écrivain. Ma réussite est un accident, dont je ne reviens toujours pas !

De par votre parcours, vos livres et votre engagement, êtes-vous un modèle ?
Il paraît que je le suis en Afrique. Je reçois des lettres de parents disant à leurs gamins qu’ils ne pourront pas m’épouser s’ils ne vont pas à l’école (rires). Certaines jeunes filles rêvent de me ressembler, mais j’attire aussi beaucoup de haine.

L’écriture est-elle vitale ?
Oui, parce qu’elle m’a permis d’exprimer une gamme d’émotions qui va de la douleur au rire. Quand j’ai perdu ma soeur, j’étais dans une telle souffrance, que l’écriture m’a aidée à me guérir de mes maux.

L’écriture peut-elle être prise comme une évasion ?
L’écriture favorise la projection dans un pays où je suis libre de toute contrainte. Reine illusoire, je crée un monde, dont le peuple se compose de personnages.

Est-elle aussi une arme ?
Oui, puisque ma plume dénonce la condition des femmes, la misère dans le monde, les inégalités par rapport aux minorités visibles dans les médias français, l’oppression et la dictature en Afrique. Ce roman met en exergue les jeunes de banlieue, qui sont tellement caricaturés, qu’on croit qu’il n’y a que des voleurs et des violeurs parmi eux.

La famille est-elle un cocon ou une prison ?
La famille africaine s’apparente à une prison car elle vous enferme dans une manière d’être, d’agir, de dormir et de se marier. Toute rupture avec ces normes est gravement sanctionnée. Mais quand on trébuche, la famille constitue le dernier rempart.

Et pour votre héroïne Pauline ?
La famille est à conquérir. Sa mère étant disloquée par son amour, elle n’a plus d’élan envers ses enfants. Pauline lui tend la main, en vain, et n’a pas d’image du père. Alors qu’elle était proche de son frère, ils prennent des chemins différents à l’adolescence. Mon héroïne est en permanence en quête d’amour, d’explication et de rêve.

Pourquoi vos héros sont-ils toujours en quête de quelque chose ?
On n’a jamais fini d’apprendre, de s’enrichir en pensées, en réflexions et en actes. A près de 50 ans, je pensais tout savoir. Or j’ai plus de doutes qu’hier. Comme si rien n’était réel…

Que fuit et qu’affronte Pauline ?
Sa vraie fuite, c’est la maison. Cette fille ne vit pas dans le mensonge, mais dans l’affrontement constant de sa propre réalité. Elle revient toujours vers sa mère qui ne cesse d’esquiver les explications et la tendresse.

Est-ce « le livre de votre mère » ?
Certaines choses interviennent inconsciemment dans l’écriture, mais il y a surtout une dimension instinctive. J’ai un désir, de là naît une phrase puis des héros qui vont grandir hors de moi et me rendre modeste par rapport l’écriture. A l’instar d’Albert Cohen, j’aborde des êtres fracturés, qui nous ramènent à la racine. La mère est le socle de l’identité.

Pourquoi l’adolescence vous fascine-t-elle ?
Avez-vous déjà vu une plante grandir ? Voir pousser les graines qu’on a semées est le moment le plus magique de la vie. J’aime l’enfance, l’innocence qu’elle renferme, la pureté de l’être humain. Pourquoi devenons-nous sclérosés par les crispations identitaires, le rejet et les haines calculées ?

Qu’est-ce que l’amour pour vous?
Je ne sais pas, chacun habille cette notion de ses désirs. C’est si complexe… il existe des amours haineuses et des haines amoureuses. L’amour devrait être gratuit et se suffire à lui-même. Mais aujourd’hui, on se dit « je t’aime » avant de se déchirer le lendemain.

Qui vous a enseigné la féminité ?
Mes tantes rebelles. La féminité englobait une manière de marcher, de se tenir, de s’asseoir et de tenir sa maison. Ce n’était pas les vêtements qui comptaient mais la coiffure, l’odeur qu’on dégage, le sourire et la façon de poser sa voix. Elles m’ont transmis l’art d’être une femme, tout en étant indépendante.

Vous suivez la mode ?
J’aime bien la mode, surtout les chaussures. Si j’ai toujours choyé mes pieds, c’est pour ne pas avoir mal car ce sont eux qui portent la souffrance du corps.

Quel est votre style vestimentaire?
Simple, confortable et très féminin. Dépouillé mais raffiné.

Quel est votre rapport au corps ?
Je veille sur lui parce que c’est la plus grande richesse que le destin nous ait donnée. Prendre soin de son corps, c’est prendre soin de son esprit. Pour l’entretenir, je cours 10 km par jour et ne bois pas d’alcool, juste du thé. Vieillir me semble très doux. Les rides racontent notre histoire. Or aujourd’hui, à cause de la chirurgie esthétique, les visages des femmes ne disent plus rien.

Etre noire c’est…
Une fierté, mais je refuse de m’enfermer dans une couleur. C’est réducteur : j’appartiens à la famille humaine ! Plus que ma peau, c’est mon époque qui me définit. L’identité est mouvante, elle se construit avec nos rencontres, nos expériences, nos amours et nos haines. C’est une totalité.

Etes-vous fataliste ?
Avec le peu que le destin vous donne, on peut trouver la force de le dépasser. Pauline rêvait de devenir écrivain, alors qu’elle ne savait pas lire. Chaque jour, on construit son destin en devenant celui qu’on a envie d’être. Il y a tous les possibles dans le monde. Il suffit d’y cheminer pour s’en sortir.
« Si certains croupissent ici, c’est parce qu’ils ne rêvent pas. »

A quoi rêvez-vous ?
Un monde en paix, où les hommes se donnent la main. Si la paix universelle règne avant ma mort, j’aurai totalement réussi ma vie. Je suis une jouisseuse, en quête de bonheur, de rire et de plaisir ! Mais que signifie tout cela sans paix ?

Propos recueillis par Kerenn Elkaïm

Le Roman de Pauline, par Calixthe Bayela, Albin Michel, 214 pages.

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