Lisette Lombé

Chronique | Dis-moi ce que tu lis et je te dirai ce dont tu as besoin

Les rues sont pavées d’humeurs, de rencontres, de silences ou d’aveux. Lisette Lombé s’y abandonne et s’y émerveille, humant l’air du temps de sa prose nomade.

Soleil doux d’automne. Assise sur les marches de la Cité Miroir de Liège. Manches retroussées. L’été lutte encore un peu. Envers du décor des réseaux sociaux, parent parmi les parents, attente pendant les entraînements des enfants. Parfois, on rentre à la maison et on abat, au pas de course, quelques tâches entre le début et la fin de l’activité, parfois, on reste. J’écris cette chronique sur des prospectus. J’ai oublié mon calepin dans ma voiture et la batterie de mon téléphone est à deux doigts de rendre l’âme. Moyens du bord. Le papier glacé menace mon encre de ne pas tenir mais j’aime l’immédiateté de la pensée, la sensation agréable de la matière sur le tranchant de la main, les ratures, les flèches, les astérisques et le plaisir anticipatif de retaper le texte en soirée, sur l’ordinateur.

J’observe la manifestation culturelle sur la place, en face. L’orchestre joue à l’ombre. Version revisitée de l’hymne belge. C’est joyeux et déjanté. Je pense au mot belgitude qu’il n’est pas si aisé que cela de définir en dehors de nos frontières. La liberté des marges, les diversités, les compromis, le grain de folie, la fracture linguistique, l’autodérision, un tout bien à nous. 

Sur un banc, une jeune femme allaite. Je m’imagine le calme, la complicité. Je m’imagine l’abondance, le soin, la tendresse. A quoi ressemblerait le monde si nous démarrions tous et toutes avec le même capital douceur? Comment ne pas penser à toutes ces mères qui donnent le sein en ce moment même en zones de guerre, en situations de violences, en pleurs, en corps en bord de gouffre?

Un homme me demande si je suis triste. On ne se voit pas écrire. La concentration doit certainement modifier mes traits. Mon corps doit être replié sur lui, arqué dans le geste d’écriture, tendu, nœud créatif, à la fois poreux et fermé au monde. Je réponds à l’homme que c’est tout l’inverse. Je suis emplie de voyages en France et en Tunisie, d’images d’ateliers et de scènes, de lieux prestigieux et de ruelles, de langues connues et étrangères. J’ai entendu des textes de jeunes à l’avenir incertain sur les toits de la Medina de Tunis. J’ai entendu des peurs et des espoirs. J’ai entendu des chanteurs et des poètes qui m’ont donné envie de danser et de créer. J’ai entendu des applaudissements dans des jardins, dans des classes et dans des librairies. 

Les mots du poète Kae Tempest, jamais loin de la pratique: «Réciter des poèmes remet tout le monde au même niveau. (…) Toutes les fois où j’ai franchi le seuil d’un endroit insolite avec mes poèmes à faire entendre, j’ai dû affronter mes propres complexes et les a priori que je nourrissais sur les gens à qui j’allais m’adresser, ainsi que les raisons qui me poussaient à cela, et j’en ai retenu une leçon: ce qui nous connecte pèse plus lourd que ce qui nous divise.»

L’homme s’excuse, me demande un peu d’argent. Malheureusement, je n’ai pas pris mon porte-monnaie. Je viens de m’offrir des bouquins à la librairie d’en face avec les bons cadeaux de mes amies pour mon anniversaire. Les titres de livres, dans mon sac, mélange de nouveautés et de leçons de rattrapage, forment un poème. Jacaranda. Un autre m’attend ailleurs. Firestar. Quand je ne dis rien, je pense encore. 

Et vous, qu’a à vous dire de vous votre dernière lecture?

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