Lisette Lombé
Combien de pas vers ce nouvel endroit de soi?
Les rues sont pavées d’humeurs, de rencontres, de silences ou d’aveux. Lisette Lombé s’y abandonne et s’y émerveille, humant l’air du temps de sa prose nomade.
En écrivant cette chronique de rentrée, après quelques semaines de repos et de respiration, je repense à la première rédaction qui est encore souvent demandée aux élèves de primaire au retour de leurs grandes vacances. Exercice joyeux ou redouté. Quand la langue française écrite pique comme un hérisson ou quand on n’a pas l’opportunité, enfant, de voyager ou de participer à des stages d’été, il faut apprendre très tôt à broder autour du rien. Il faut aussi un peu crâner dans la cour de récréation en prétendant qu’on s’en contrefout d’être resté.e à quai. J’ai connu cela, la petite pointe de jalousie quand d’autres égrainaient avec fierté les destinations de rêve ou leurs chouettes activités de juillet et août.
Qu’est-ce qu’on peut s’aimer et semer en marchant côte à côte!
Me voilà aujourd’hui à la place des «parents qui peuvent se le permettre». J’ai pu fuir les averses, me dorer la pilule au soleil, me déconnecter des réseaux sociaux et de mes boîtes mails, nager dans la mer, éprouver une sensation de grande liberté, me ressourcer. En écrivant cela, je n’oublie pas comment certaines collègues autrices se firent critiquer lorsqu’elles chroniquèrent leur quotidien enviable durant le confinement, mais je milite aussi pour un petit droit à l’indolence pour tous et toutes, peu importe la classe sociale à laquelle on appartient.
Je retiens surtout qu’au cœur de cet été, mon fils aîné a fêté ses 17 ans. Nous marchions le long de l’eau lorsque je l’ai remercié de m’avoir fait naître en tant que maman. Je fais partie de ces gens pour qui l’acte tendre prend plus facilement son élan avec le mouvement du corps. Qu’est-ce qu’on peut s’aimer et semer en marchant côte à côte! Probablement connaissez-vous cette tribu des marcheuses et marcheurs sensibles, peut-être en faites-vous, vous aussi, partie.
Evidemment, j’ai cité à haute voix le célèbre vers d’Arthur Rimbaud – «On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept-ans.» On aurait dit que j’attendais cela depuis 2006 mais mon petit effet est tombé à l’eau car mon fils avait écarté cette phrase, jugée peu inspirante, de ses sujets de dissertation en juin. Evidemment, j’ai rappelé à celui-ci des anecdotes concernant son arrivée dans la lumière du monde. Il a levé les yeux au ciel et m’a dit que je commençais à radoter, que je lui faisais le coup chaque année. Et hors de question que je le prenne en photo cette fois-ci, a-t-il ajouté, juste au moment où je m’apprêtais à lui demander de prendre la pose. Evidemment, il nous aurait été impossible de ne pas évoquer la triste actualité française parce que dans tous les titres des journaux il en avait été question, de ce fameux «17 ans».
Temps précieux de l’échange de ressentis. D’abord écouter, ne pas plaquer ma grille de lecture de poétesse engagée sur la perception de mon fils, ne pas lui imposer mon analyse systémique des violences, ne pas lui ressasser mon vécu de la cité, ne pas lui reprocher de ne pas comprendre dans sa chair claire ce que ma peau métisse a appris à craindre. Et toujours ce proverbe congolais transmis par mon père: «On met au monde nos enfants, pas leur cœur». Donc, oui, écouter et respecter la manière dont les infos parviennent aux jeunes, ce qu’ils en retiennent, ce qui les révolte ou ce qui les indiffère. Ecouter, se renforcer dans les zones de valeurs communes, reconnaître avec joie et humilité des petits bouts de son éducation et accepter les points d’achoppement, accepter les rives distinctes des générations. Accepter que ma colère m’appartient. Ma lassitude, mes écœurements, mes nausées aussi. Je ne souhaite pas être une membrane perméable pour ces états-là, mais peut-être que je me trompe.
J’ai beaucoup marché seule aussi cet été. Nouveaux territoires. Marche vers plages, marche vers théâtres, marche vers amitiés délaissées durant l’année, à cause du travail. Mon podomètre m’a annoncé 2 000 kilomètres depuis le début du téléchargement de ma nouvelle application et m’a indiqué que c’était comme si j’avais marché jusqu’au Sahara. Est-ce donc cela la distance entre la rupture et la reconstruction? Est-ce donc cela la distance entre l’emprise et l’inouï retour au respect de soi-même? Combien de pas pour fouler le moelleux de ce sol-là?
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