Bière: rencontre avec la nouvelle génération de brasseurs belges

© Frederic Raevens
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Aux quatre coins de la Wallonie, de jeunes brasseurs s’emparent du fourquet pour redorer le blason de la bière artisanale belge. Cette « défense et illustration » du bon goût s’opère le plus souvent loin des feux de la rampe. Ces passionnés méritent pourtant que l’on s’arrête sur leur travail, eux qui contrent l’uniformisation de nos papilles.

– Province de Liège Brasserie de la Lienne: petits brassins en famille

La province de Liège est sans doute celle qui compte le moins de brasseries en Belgique. La raison ? Certains observateurs pensent que la grande popularité du pékèt a longtemps empêché le développement d’autres boissons sous ces latitudes. Il reste qu’aujourd’hui la situation est en train de changer sous l’impulsion de jeunes brasseurs bien décidés à promouvoir l’orge et le houblon. Parmi ces pionniers, il faut compter Mélissa et Nicolas Résimont, deux jeunes entrepreneurs basés dans le charmant hameau de Reharmont au coeur des Ardennes belges. A respectivement 27 et 33 ans, ce duo de néo-brasseurs enthousiasme par la qualité de son travail. C’est Mélissa qui a mis le feu aux poudres : « En 2006, dans le cadre de mon cursus de Bachelier en Chimie, j’ai réalisé un premier brassin. Cela m’a énormément plu. Très vite, j’ai voulu reproduire ces expériences à la maison. J’ai mis mon frère dans la confidence. Chaque semaine, on sortait des brassins d’une dizaine de litres. Je pense qu’au total, on a dû faire 80 recettes différentes. Nos proches étaient nos premiers cobayes », explique la jeune femme.

En 2012, le hobby du départ prend une autre tournure. Mélissa et son compagnon achètent une maison. « A l’époque, j’évoluais dans le monde pharmaceutique, je faisais de la paperasse… Je me suis dit que l’on pourrait aménager une partie de notre maison, qui est une ancienne ferme, pour en faire une micro-brasserie », raconte l’intéressée. Ni une, ni deux, elle quitte son travail pour se lancer dans l’aventure. Sans hésiter, son frère, qui exerce ses talents dans l’industrie graphique, lui emboîte le pas. Tous deux partagent une vision locale de leur activité. « 80% de notre production est écoulée dans un rayon de 30 km, explique Nicolas Résimont. Nous privilégions la vente directe pour éviter les intermédiaires et les frais de transport. » Ensemble, Mélissa et Nicolas signent deux bières. La première, une blonde cuivrée, s’appuie sur trois houblons différents au sein desquels on trouve le Citra et le Cascade pour le côté aromatique. En revanche, le Magnum apporte quant à lui une belle amertume se situant aux alentours de 35-40 EBU (une unité qui mesure le caractère amer d’une bière, à titre d’exemple l’Orval affiche environ 28 EBU). La seconde est une brune qu’ils qualifient de « chaleureuse comme un bon feu de bois après une promenade en forêt ». Elle titre 8% de volume d’alcool. Ce sont quatre malts et deux houblons qui lui apportent sa couleur, son goût légèrement torréfié et sa douce amertume.

Brasserie de la Lienne, Reharmont 7, 4990 Lierneux, 080 39 99 06. www.brasseriedelalienne.be.

Visites : uniquement sur rendez-vous. Celles-ci consistent en une découverte du processus (environ 30 min.) et une dégustation qui se déroule dans l’ancien fenil joliment rénové. Prix : 5 € comprenant la visite et 1 Lienne 33 cl au choix.

– Province du Hainaut Brasserie des Carrières: éloge du circuit court

Trentenaires depuis peu, François Amorison (en photo) et Julien Slabbinck sont des amis de longue date, passionnés depuis longtemps par la bière. François se rappelle : « A notre sortie de rhéto, Julien et moi nous sommes lancés dans un tour de brasserie à mobylette. L’objectif était de découvrir les principales brasseries wallonnes. Une épopée que je ne suis pas près d’oublier. » Vient ensuite le temps de l’université, ils entament des études d’agronomie à Gembloux que François mène jusqu’à leur terme. Julien, quant à lui, bifurque vers un cursus d’ingénieur brassicole. Le tandem ne se perd pas de vue pour autant. « Le goût pour la bière a cimenté notre amitié, même si nous nous sommes dirigés dans des carrières professionnelles différentes, nous retrouvions pour faire des micro-brassins pour nos copains », explique François Amorison qui officie aujourd’hui dans le secteur du bois.

En 2010, les deux compères décident de passer à la vitesse supérieure et d’imaginer leur propre brasserie qu’ils gèreront parallèlement à leurs métiers respectifs. Une certitude les guide : celle de développer un projet local, en harmonie avec Basècles, l’endroit d’où ils viennent. Il faut dire que ce village de 4000 habitants possède une âme, celles d’une histoire liée aux carrières d’où l’on extirpait autrefois le marbre noir. Tout le reste, le duo va devoir le forger à la force des poignets. Le lieu ? Par un hasard faste, François Amorison a la possibilité de racheter la scierie de son grand-père, située sur la commune. Le matériel ? Ils le récupèrent « au prix de la ferraille » aux quatre coins de la Belgique et de la France.

En octobre 2012, les deux brasseurs sont au taquet, ils inaugurent la Brasserie des Carrières dont le nom rend hommage au passé glorieux des marbriers. Dans un souci de cohérence, Amorison et Slabbinck décident de miser sur une approche de circuit court : l’orge est cultivée par deux agriculteurs du village et est transformée en malt à la malterie du Château située à 7 km de Basècles – c’est d’ailleurs là que travaille Julien -, tandis qu’une partie du houblon utilisé est produit sur les terres de la brasserie. Les deux inséparables ont poussé le détail jusqu’à réaliser des casiers distinctifs en bois de peuplier, arbre emblématique du Hainaut. Dans ceux-ci prend place la Diôle, une bière blonde cuivrée dont le nom vient du picard et désigne à la fois le diable ainsi qu’un instrument qui servait à polir le marbre. Titrant 6,5% de volume d’alcool, la Diôle fait valoir des notes d’agrumes et de fruits de la passion. On pointe également une bouche légèrement caramélisée ainsi qu’une très agréable digestibilité en raison de l’absence de sucres résiduels.

Brasserie des Carrières, rue de Condé 62, 7971 Basècles (Beloeil), www.brasseriedescarrieres.be

Visites gratuites tous les samedis, de 8 h à 18 h.

– Province du Luxembourg Gengoulf: le goût de l’amitié

« Au départ, créer une bière relevait avant tout un délire entre copains », explique Marc Hisette (37 ans). Le délire en question remonte à 2010. « Pour se faire plaisir, on chipotait des casseroles sur une gazinière », précise-t-il. Ses complices ? Olivier Tarnus (36 ans) mais également deux « sages », tout juste quadragénaires, l’illustrateur André Odwa et Vincent Habran. Ce dernier, laborantin à l’abbaye d’Orval, est en raison de son expertise une pièce majeure du puzzle. Question : comment d’un projet informel mené en dilettante débouche-t-on sur une véritable production à visée commerciale ? « A cause d’un barbecue qui a mal tourné », sourit André Odwa. Il explique : « Nous avions décidé de terminer cet agréable repas sur un bon Orval, ce qui n’a pas ravi nos compagnes, assez rétives à l’amertume de ce breuvage emblématique de notre province. Par défi, elles nous ont lancé « Quand est-ce que vous nous faites une bière ? ». On s’est pris au jeu. Après quatre brassins, nous tenions notre recette. » Reste alors à imaginer tout un univers autour du produit. Vu que la bière est brassée à Villers-devant-Orval, la petite bande décide de lui donner le nom du saint-patron du village, Gengoulf. « C’était un grand militaire de Pépin Le Bref qui a connu un destin assez malheureux », explique Vincent Habran. « La légende veut que sa femme l’ait trompé lorsqu’il était en campagne. Un des amants de celle-ci l’aurait même tué pendant son sommeil. Il est devenu le patron des cocus dans le folklore et, plus pudiquement, celui des maris aimants pour l’église. »

Fort de cet imaginaire, André Odwa va dessiner l’étiquette de la bouteille. Il va également transformer une partie de sa maison, un ancien dépôt de trams, en brasserie. En avril 2013, Olivier, André, Marc et Vincent se lancent officiellement sous le statut de coopérative. Même si la brasserie constitue une activité complémentaire, le succès est immédiat. La Gengoulf séduit les alentours – 85% de la production est vendu sur la commune de Florenville. En cause, une bière blonde légèrement ambrée caractérisée par l’utilisation d’un houblon alsacien, du Brewer’s Gold, ainsi que du malt caramel et Pilsen. Le tout pour un résultat très équilibré, assez doux, que la fine équipe qualifie de « bière de soirée ». En phase avec un développement régional, les mousquetaires de la Gengoulf développent des synergies avec les artisans du coin. Ainsi d’un excellent pâté gaumais mariné à la bière et signé par le non moins excellent Didier Felsch. Ou encore des ganaches et des caramels créés en collaboration avec le chocolatier François Deremiens à Prouvy.

La Brasserie des Carrières, rue des Hawys 24, 6823 Villers-devant-Orval, 061 29 22 39. www.gengoulf.be.

Visites gratuites un samedi sur deux, de 6 h à 16 h.

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