Confidences et recettes exclusives de Laure Genonceaux, la Lady Chef of the Year 2017

Laure Genonceaux © FREDERIC RAEVENS
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Dans son restaurant Brinz’l, à Bruxelles, la Chaudfontaine Lady Chef of the Year 2017 brille par une cuisine ouverte sur le monde, inspirée aussi par ses racines ardennaises et mauriciennes. Confidences et recettes exclusives !

On aurait tort de croire qu’il n’existe aucun lien entre philosophie et gastronomie. Bien qu’ils citent rarement Kant ou Levinas, les chefs marchent souvent, même si c’est sans le savoir, sur les traces des penseurs. C’est le cas de Laure Genonceaux (34 ans), que tout porte à rapprocher d’Edouard Glissant. On le sait, cet intellectuel venu de la Martinique a théorisé la  » créolisation « , un concept ayant l’avenir de nos sociétés pour horizon. Mais de quoi s’agit-il exactement ? Le mot désigne chez lui  » l’imprévisible  » du monde, c’est-à-dire  » le surgissement d’identités culturelles inédites situées à la confluence des différences « .

Bien sûr, cette perspective est radicalement opposée aux replis identitaires et autres fermetures sur soi que revendique une certaine cuisine bornée à son terroir. Avec un père ardennais et une maman mauricienne, la Chaudfontaine Lady Chef 2017 – un prix qui met annuellement à l’honneur ces femmes qui signent une cuisine de haut vol, mais sont trop souvent reléguées dans l’ombre de leurs homologues masculins – matérialise à la perfection cette  » créolité « , cette possibilité de faire du neuf sans renier aucune part de soi.

L’île Maurice étant loin, j’essaie désormais d’exprimer ce cachet sans avoir à faire venir des ingrédients de là-bas.

De son paternel, Laure Genonceaux a hérité le caractère volontaire et déterminé. Son parcours tout entier en témoigne, qui a débuté dès 14 ans à l’école hôtelière provinciale de Namur. Après une spécialisation  » pâtisserie-traiteur  » au CERIA, à Bruxelles, et une paire d’années passées chez des traiteurs, l’intéressée s’est dirigée vers la restauration. Après six ans en compagnie d’Evan Triantopoulos – le Gril aux Herbes, le Fourneau -, elle s’est retrouvée aux côtés de ce qui se fait de mieux dans la capitale : Christophe Hardiquest.

Au total, quatre années auprès du chef de Bon Bon, dont deux, excusez du peu, en tant que sous-chef. Cet apprentissage doré l’a menée en toute logique à voler de ses propres ailes. Ouvert depuis janvier 2016, son restaurant de 30 couverts au décor classieux a pour nom Brinz’l –  » Brinzelle  » signifie  » aubergine  » en créole. Mais la jeune femme porte également la trace de sa mère et de sa grand-mère, Solange, toutes deux issues de l’île Maurice. A l’instar de ses figures tutélaires féminines, elle fait son miel d’une pratique familiale insulaire – celle des repas pris sur la plage – nourrie aux influences chinoises ou indiennes. Lorsqu’on la rencontre à la veille de la réouverture de son restaurant, on prend la mesure de quelqu’un qui, pour évoluer, n’a de cesse de se frotter à d’autres registres.

Etre son propre patron est le rêve de beaucoup de chefs. Cela fait un an et demi que vous avez franchi le pas… La réalité est-elle à la hauteur des attentes ?

Confidences et recettes exclusives de Laure Genonceaux, la Lady Chef of the Year 2017
© FRÉDÉRIC RAEVENS

Je suis très contente du chemin parcouru en un an et demi. Même si l’année dernière n’a pas été facile, entre les attentats et l’arrivée de la fameuse caisse blanche. Tout l’horeca bruxellois a souffert, donc moi aussi en toute logique. Dans mon cas, ce qui est difficile, ce sont les midis. Il n’y a pas de bureaux dans les environs, ce n’est pas un endroit de passage, je ne travaille que sur réservation. J’ai désormais pris cet élément en compte en n’ouvrant plus que deux midis par semaine, le jeudi et le vendredi. L’essentiel de mon énergie est désormais axé sur les soirs. La bonne nouvelle, c’est que j’ai réussi à me forger une clientèle de quartier fidèle sur laquelle je peux compter. Il y a également le fait que le restaurant a été mentionné dans le dernier Michelin et que je faisais partie des trois nominées parmi lesquelles a été élue leur femme chef de l’année.

Dès lors, être Chaudfontaine Lady Chef 2017 doit être une bonne nouvelle pour vous… Ne regrettez-vous pas que  » femme chef  » soit une catégorie à part, comme s’il y avait d’un côté la gastronomie et de l’autre la gastronomie au féminin ?

Je suis très fière d’avoir remporté ce prix. Je trouve dommage qu’à notre époque on fasse une distinction entre les hommes et les femmes, mais vu que nous sommes peu à évoluer dans la restauration, il est important qu’il y ait des initiatives afin que nous soyons mises en avant. Il faut parler de nous car nous sommes là… et bien là (rires).

Vous êtes née sous le signe du mélange. L’île Maurice est une influence majeure, y en a-t-il d’autres ?

Laure Genonceaux
Laure Genonceaux© DR

En passant près du comptoir, vous avez peut-être vu L’assiette sauvage, le livre de Jean Sulpice. Cette cuisine de montagne a les herbes en son centre, ce qui est l’une de mes préoccupations majeures du moment. Cela résulte d’une réflexion que je mène sur moi-même et sur ce que j’ai envie de faire. Jusqu’ici, j’ai pratiqué une cuisine française avec des touches mauriciennes. Je continue en ce sens mais l’île Maurice étant loin, j’essaie désormais d’exprimer ce cachet sans avoir à faire venir des ingrédients de là-bas. C’est un travail sur l’essence des produits et des styles dans lequel les herbes et les épices m’aident beaucoup. Parfois, les convergences sont plus faciles à identifier. Par exemple, la lentille, qui est très présente là-bas, mais est également cultivée ici. Cela dit, j’aime aussi des produits qui ont d’autres horizons, comme l’agneau gallois qui est une viande bien équilibrée.

Les voyages sont-ils une source d’inspiration pour vous ?

Je reviens d’un séjour au Pérou. Le but était clairement de voir ce qui se faisait là-bas. J’ai découvert la cuisine de Virgilio Martinez, l’un des meilleurs chefs au monde. Les produits péruviens m’ont beaucoup impressionnée, notamment l’oca, une plante dont le tubercule est travaillé de manière très intéressante.

Y a-t-il une préparation plus emblématique que les autres de cette rencontre dans l’assiette entre l’île Maurice et la Belgique ?

Confidences et recettes exclusives de Laure Genonceaux, la Lady Chef of the Year 2017
© FRÉDÉRIC RAEVENS

Je suis beaucoup influencée par un fournisseur ardennais, la Boucherie de la Ferme, à Pondrôme. Leur boudin noir m’a inspiré un rougail, du nom de ce mets d’origine créole, que je sers avec de la langouste. C’est le plat phare de la maison, il est toujours à la carte.

Il est difficile de ne pas évoquer la figure de Christophe Hardiquest quand on aborde votre travail. Est-ce que cela vous ennuie ?

Pas du tout, car cela fait partie de mon parcours et de ce que je suis en cuisine maintenant. C’est Christophe qui m’a ouvert les yeux sur la gastronomie. Sa rigueur et son perfectionnisme m’ont marquée. Il est un très grand technicien. Je lui serai à jamais reconnaissante de ce qu’il m’a transmis.

Une particularité de Brinz’l est que le sucré y est aussi bon que le salé. C’est rare, un chef qui pratique ces deux registres avec le même bonheur…

C’est mon cas. J’aime autant l’un que l’autre. Je n’ai pas de pâtissier, je réalise ce volet de la carte moi-même. Pour faire les choses convenablement, je divise ma journée en deux. Le matin, je fais le sucré, l’après-midi le salé. Il est impossible de se livrer à ces deux exercices en même temps.

Brinz’l, 93, rue des Carmélites, à 1180 Bruxelles.

Tél. : 02 218 23 32.

www.brinzl.be

Curry d’épaule d’agneau gallois/aubergines grillées/farata

INGRÉDIENTS

Pour 4 personnes

Pour la marinade :

Confidences et recettes exclusives de Laure Genonceaux, la Lady Chef of the Year 2017
© FRÉDÉRIC RAEVENS
1 pot de yaourt,

1/2 c à c de curcuma,

1 c à c de mélange ail/gingembre,

sel, poivre, huile,

1/4 de c à c de piment en poudre,

cannelle, cumin.

Pour le curry :

1 épaule d’agneau gallois,

2 c à s de noix de coco râpée,

graines de coriandre, cumin,

poivre, cardamome, clous de girofle, huile,

2 gros oignons,

3 gousses d’ail, 1/4 c à c de curcuma en poudre,

cannelle,

4 tomates, feuilles de coriandre,

4 aubergines.

Pour le farata (pain indien) :

250 g de farine,

150 g d’eau,

1 pincée de sel,

1 c à s d’huile.

A faire la veille :

mélanger tous les éléments de la marinade et verser le tout sur la viande.

Laisser mariner toute la nuit.

Le jour J :

griller légèrement la noix de coco râpée,

les graines de coriandre, le cumin, le poivre, la cardamome et les clous de girofle.

Faire chauffer 3 c à s d’huile, dorer les oignons et l’ail.

Ajouter le mélange d’épices.

Colorer la viande.

Assembler le tout.

Ajouter les tomates avec un filet d’eau.

Laisser mijoter 2 heures.

Pour le farata :

mettre dans un cul de poule la farine, le sel, ajouter l’eau, bien mélanger.

Terminer avec l’huile.

Laisser reposer 30 min.

Faire 4 petites boules.

Ensuite, les étaler au rouleau à pâtisserie.

Cuire à feu doux dans une poêle.

Griller les aubergines.

Parsemer de coriandre au dernier moment.

Déguster avec le farata.

King crabe/ponzu/avocats grillés

INGRÉDIENTS

Pour 4 personnes

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© FRÉDÉRIC RAEVENS
4 manchons de king crabe,

3 avocats mûrs,

2 cl de ponzu,

1 cl de crème fleurette,

8 tomates confites,

1 échalote,

coriandre,

50 g de beurre,

sel, piment d’Espelette,

1 citron vert.

PRÉPARATION

Couper 8 cubes d’avocat et griller chaque face.

Mixer les parures d’avocats avec l’échalote, le jus de citron et les zestes, du sel et le piment d’Espelette.

Terminer avec la coriandre.

Chauffer le ponzu avec la crème, monter la sauce au beurre.

Cuire le king crabe au four vapeur à 70 °C pendant 4 minutes.

Dresser et garnir avec les tomates confites.

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