La renaissance écologique de Mauro Colagreco, chef à la tête du 50 Best

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En 2019, le Mirazur, à Menton, était sacré meilleur restaurant du monde. Son chef, Mauro Colagreco, nous explique ce que cela lui a apporté mais aussi comment il a traversé la pandémie, et repensé, depuis, sa façon de travailler… en regardant les étoiles.

Hasard du calendrier, c’est le jour de ses 45 ans, le 5 octobre prochain, chez nous, à Anvers, que le chef italo-argentin Mauro Colagreco connaîtra son successeur au classement des 50 meilleurs restaurants du monde, la fameux « 50 Best », comme l’appellent les initiés. C’est que, la Covid ayant reporté l’édition 2020, le propriétaire du Mirazur, à Menton, occupe avec son établissement triplement étoilé la première place de ce palmarès depuis l’été 2019. Une consécration pour ce chef passé par les plus prestigieux fourneaux – Bernard Loiseau, Alain Passard, Alain Ducasse… – et qui, depuis quinze ans, officie sur la Côte d’Azur, non loin de son Italie grand-maternelle. Dans un superbe bâtiment aux vitrages panoramiques surplombant la Méditerranée, niché au coeur d’une nature luxuriante, il propose des assiettes faisant la part belle aux produits de la mer et des monts tout proches, ainsi qu’aux fruits et légumes de ses jardins. Le tout coloré d’influences locales, entre Botte et Hexagone…

L’homme est également un fervent défenseur de l’environnement et cette année entre parenthèses pour l’horeca a été pour lui une occasion supplémentaire de revoir sa copie. En 2020, sa table est devenue la première du monde a recevoir le label « Plastic free » (sans plastique). Confiné chez lui, après une période de découragement extrême, il a également revu sa carte pour la faire coller encore plus à la nature, aux saisons…. et au cycle de la Lune! Il nous dévoile les coulisses de ce renouveau.

On peut dire que nous travaillons au fil de 365 saisons. C’est un exercice extrême pour l’équipe, mais c’est aussi merveilleux pour nos hôtes.

Etre le meilleur restaurant du monde, cela signifie quoi pour vous?

C’est la reconnaissance du monde de la gastronomie pour le chemin parcouru ces quinze dernières années avec mon équipe et une formidable motivation pour les personnes avec qui je travaille, évidemment… Mais le plus important, c’est que ce titre nous permet d’être écoutés, de faire entendre notre voix et de nous exprimer au nom de l’ensemble du secteur sur certaines questions qui me tiennent beaucoup à coeur en tant que chef. C’est une énorme responsabilité. Cela fait des années que je réfléchis à des thèmes importants qui touchent à l’environnement – je songe par exemple ici à nos efforts pour limiter le plastique dans les restaurants. Grâce à ce titre, les autres perçoivent davantage mon message. Alors qu’auparavant, ce genre de discours était tenu par des extrémistes aux opinions très tranchées, désormais, les personnes concernées sont plus ouvertes au dialogue, ce qui fait avancer les choses. Je suis heureux de pouvoir y contribuer, avec une foule d’autres chefs qui se battent depuis longtemps. Cela dit, décrocher un tel titre n’a jamais été mon objectif. Lorsque j’ai quitté l’Argentine pour la France, je n’en avais même jamais entendu parler… Et heureusement, au fond. Il faut travailler pour faire le bonheur des clients, pas celui des guides gastronomiques. Cette reconnaissance découle de nos efforts pour offrir à nos visiteurs un beau moment de plaisir. C’est une récompense pour notre manière de travailler, et cet esprit doit être préservé!

Et si vous deviez citer une seule raison qui a fait de votre restaurant le meilleur au monde?

Lorsque je me suis installé sur la Côte d’Azur, je n’avais jamais mis les pieds dans la région, je ne connaissais pas ses produits ni ses traditions culinaires. Je suis donc parti d’une page blanche, en faisant complètement mon truc. J’ai une vision de la cuisine assez unique et qui, clairement, a fait mouche. Moins de six mois après avoir ouvert nos portes, les premiers guides parlaient déjà de nous. Menton n’est pas vraiment un haut-lieu du tourisme, mais le fait de nous retrouver dans les guides et dans le classement des meilleurs restaurants du monde nous a fait connaître et a attiré de plus en plus de monde. C’est grâce à cela, mais aussi et surtout grâce au travail acharné de mon équipe durant toutes ces années, que le restaurant est devenu ce qu’il est aujourd’hui.

La renaissance écologique de Mauro Colagreco, chef à la tête du 50 Best

Ce titre a-t-il changé votre manière de cuisiner ou l’établissement lui-même?

Nous n’en avons pas eu l’occasion! Nous avons décroché nos trois étoiles et le titre de meilleur restaurant du monde en 2019… et puis, à peine arrivés au sommet, nous avons été confrontés au coronavirus et tout s’est écroulé. J’ai vraiment eu peur, peur de mourir, j’ai sombré dans la dépression. L’humanité tout entière était remise en question. Quand on a commencé à parler de rouvrir les restaurants, je me suis vraiment demandé avec quel message j’allais pouvoir me remettre aux fourneaux. J’étais complètement vidé. A ce moment-là, j’ai eu la chance de pouvoir passer énormément de temps dans mon jardin, et c’est là que je me suis réinventé. La révélation est venue deux semaines avant la reprise: l’homme a perdu son lien avec les rythmes de la nature et nous devons revenir à la source. Continuer à rêver, les yeux rivés sur les étoiles, tout en oeuvrant à un monde meilleur. C’est ainsi qu’est né le nouveau concept de Mirazur, qui suit le rythme de la Lune.

Un projet ambitieux, non?

Ce fut un travail de fou! Tout le monde était en train de se préparer pour la réouverture, deux semaines plus tard, et nous avons décidé de tout chambouler. Tous nos plats signatures ont disparu pour faire place à un nouveau concept, où le menu est lié au calendrier lunaire. Nous en avons créé quatre, dédiés respectivement aux feuilles et à l’eau, aux fleurs et à l’air, aux racines et à la terre et aux fruits et au feu. L’offre du jour dépend de la position de la Lune dans le ciel et à chaque nouvelle phase, nous adaptons non seulement tout le menu, des amuse-bouches aux mignardises, mais aussi la présentation des tables et d’autres éléments du restaurant. Il nous arrive ainsi de proposer quatre menus différents en l’espace d’une semaine. Mes collaborateurs ont d’abord cru que j’étais tombé sur la tête, mais cela les a aussi beaucoup motivés… Même si nous avions tous conscience de prendre un gros risque.

Comment s’est passé le processus créatif?

Une fois la décision prise, nous avons commencé à imaginer des plats, d’abord sur papier puis dans notre cuisine expérimentale. Le processus créatif proprement dit a presque coulé de source. Quand je suis dans mon jardin, il arrive qu’un plat se forme dans ma tête. J’aime aussi que ma cuisine soit spontanée. Je veux utiliser les produits lorsqu’ils sont à leur apogée et ce moment est parfois très court, de l’ordre de quelques heures. Quand je vous un produit à ce moment-là, je ne peux pas me permettre d’attendre la recette parfaite, donc je prends le risque de le préparer immédiatement. Du coup, les plats qui composent les quatre menus évoluent en permanence avec les produits. On peut dire que nous travaillons au fil de 365 saisons. C’est un exercice extrême pour l’équipe, mais c’est aussi merveilleux pour nos hôtes.

Le jardin luxuriant de Mauro Colagreco, à front de montagne, et son restaurant panoramique, avec vue sur mer.
Le jardin luxuriant de Mauro Colagreco, à front de montagne, et son restaurant panoramique, avec vue sur mer.

Vous qui, en tant que chef, avez un lien si fort avec la nature, quel regard portez-vous sur le changement climatique?

J’essaie de rester positif parce qu’il le faut, pour mes enfants et pour les générations futures, mais la situation est critique et les perspectives, plus que préoccupantes. Nous devons vraiment changer nos comportements et renoncer à beaucoup de choses. Ce sera le grand défi. Quels aspects de notre confort personnel sommes-nous prêts à sacrifier pour sauver le climat? Quand je vais dans le centre, est-ce que j’accepte de le faire sans voiture? Est-ce que j’ose rayer l’ananas de ma carte si je dois l’importer de l’autre bout du monde? Ce sont des choix que nous allons devoir poser. Nous devons sauver la vie humaine sur terre. La nature, elle, nous survivra, mais si nous voulons préserver notre espèce, nous allons devoir nous comporter en conséquence. C’est quelque chose que nous devons faire pour nous-mêmes. Au cours de la pandémie, on a vu que les gouvernements sont capables de prendre des mesures impopulaires quand il le faut vraiment. Pourquoi ne le font-ils pas pour sauver l’environnement?

D’ici quelques jours, c’est un autre chef qui prendra votre place dans le classement des World’s 50 Best Restaurants. Quel conseil voudriez-vous lui donner?

Avant toute chose, de remercier et de féliciter l’équipe qui l’a aidé à décrocher ce titre. Pour moi, c’est capital. Je voudrais aussi le préparer au fait que c’est vraiment un moment unique dans la vie, avec un tourbillon d’émotions et plein de choses qui vous passent par la tête. Et enfin, le plus important, c’est que ce titre offre une opportunité unique de faire passer un message d’espoir.

Vous avez entre-temps plusieurs autres projets sur le feu. Pouvez-vous lever un coin du voile?

Pour comprendre pourquoi je multiplie ainsi les projets, il faut savoir que je n’avais pas grand-chose lorsque j’ai ouvert Mirazur – et à l’époque, nous ne faisions pas tous les jours salle comble. Pour pouvoir continuer à réaliser ce rêve, j’ai dû chercher des fonds. Heureusement, mon savoir-faire m’a valu d’être régulièrement sollicité pour des missions de consultance. C’est ainsi que j’ai eu l’occasion d’ouvrir un restaurant à Shanghai en 2011, et cette expansion internationale s’est poursuivie à partir de là. Au-delà de l’intérêt financier pour le Mirazur, cela m’a permis de voir le monde, de découvrir de nouveaux produits et de nouvelles traditions culinaires. Ces cinq dernières années, j’ai moins voyagé et j’ai décidé, avec mon épouse, de me concentrer sur des projets plus proches de chez moi. Ils doivent toujours avoir un lien avec notre vision de la gastronomie et il y aura toujours une connexion avec le jardin du Mirazur, c’est une philosophie que nous voulons garder dans tout ce que nous faisons – même pour nos restaurants de burgers, Carne. Chez Mirazur, nous cuisinons pour une sorte d’élite, mais nous pouvons aussi nourrir les masses dans le même esprit. C’est un message important que je veux faire passer avec tous mes projets. Et à propos de Carne, je peux vous dévoiler un petit secret en avant-première: la toute première adresse européenne ouvrira ses portes en octobre… à Bruxelles!

En bref

  • Mauro Colagreco est né à La Plata en Argentine, en 1976. Passionné de voyages, il parcourt, jeune, l’Amérique latine, et suit des cours dans une école hôtelière de Buenos Aires.
  • En 2001, il arrive en France pour compléter sa formation au Lycée hôtelier de La Rochelle.
  • En 2006, il ouvre le Mirazur à Menton et est sacré « Révélation de l’année » par le Guide Gault & Millau. Il obtient sa première étoile l’année suivante.
  • Le chef se voit attribuer une seconde étoile en 2012 et une troisième en 2019. Parallèlement, il gravit les échelons du classement World’s 50 Best pour finir en haut, en 2019 aussi.
  • En 2020, le Mirazur est lauréat de la nouvelle catégorie du Guide Michelin « Gastronomie Durable » et est le premier restaurant au monde à obtenir la certification « Plastic Free ».

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